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CHAPITRE VI

Table des matières

LES TEMPS MÉROVINGIENS.

L’Église sort la première de la torpeur générale. Elle se trouve d’autant mieux en position de dominer les Barbares que leur force toute physique ne peut rien contre sa force morale et que la dernière vitalité intellectuelle du vieux monde se réfugie à la hâte en elle comme en un dernier lieu d’asile. Malgré sa primitive répugnance contre tout ce qui vient de Rome elle reprend la continuation du rôle de Rome. Tout d’abord elle restaure l’ancienne unité morale en imposant une même doctrine religieuse à tous les envahisseurs: elle convertit le roi frank Clovis et ses leudes (496) elle le lance ensuite contre les autres barbares adonnés à l’arianisme, et, après qu’il a vaincu les Burgondes (500) et rejeté les Wisigoths sur l’Espagne (507), elle acquiert la direction spirituelle du monde nouveau. Alors, sûre de retrouver un surcroit d’ascendant en se manifestant de plus en plus latine, elle se remet à la culture des arts et des lettres.

Aussitôt un immense mouvement de construction d’églises commence. Il s’agit de réparer ou de réédifier les sanctuaires saccagés. Moines, prêtres, rois, grands, tous se mettent à l’œuvre. Rebâtir une basilique ou fonder un oratoire est en ce moment la meilleure action qui puisse mériter à un fidèle le titre de bienheureux, faire chanter sa gloire en vers latins par les clercs et assurer sa mémoire par quelque belle épitaphe sur son tombeau.

Mais comment donner à toutes ces églises la suprême beauté nécessaire à frapper de respect les barbares éblouis de la splendeur de Rome, sans leur rendre quelque chose de la physionomie des édifices romains. Ces grands temples qu’on a si furieusement démolis jadis, on ne les considère plus déjà avec la même horreur. Sous l’aversion qu’inspire leur caractère idolâtrique, renaît peu à peu le respect qu’impose leur origine romaine. «Les chrétiens, écrit le pape Grégoire - le - Grand, doivent éviter de démolir les temples profanes: qu’ils se bornent à les nettoyer de leurs idoles, à les asperger d’eau bénite, à les munir d’autels et à les doter de reliques. » Mais, hélas! presque tous sont détruits. A leur défaut le clergé se complaît à édifier les églises nouvelles sur leurs emplacements . S’il retrouve dans leurs décombres quelques colonnes ou quelques frises épargnées, il les recueille pour en orner le lieu saint. Puis, afin de rapprendre l’art de bâtir oublié pendant la tourmente, de raviver son inspiration affaiblie et d’épurer à nouveau son goût déjà barbarisé, il reporte anxieusement ses regards vers Rome.

Mais Rome n’est plus dans Rome. Abandonnant l’Occident aux barbares elle s’est réfugiée aux confins mêmes de l’Europe, à Constantinople. Là, obligée de se prêter à toutes les concessions qu’exigent d’elle les habitudes d’un milieu essentiellement grec, exposée à toutes les influences qui viennent de l’Orient, elle s’est en peu de temps transformée. Ses empereurs ont pris l’existence somptueuse et sensuelle des monarques orientaux; ses mœurs se sont faites presque asiatiques; sa littérature s’est hellénisée; et son art, envahi de traditions grecques, syriaques, phéniciennes et persanes, s’est métamorphosé en un art nouveau, l’art byzantin. Aussi, ce n’est plus l’architecture de Rome que les clercs vont y trouver à étudier, c’est, à leur insu, celle de Byzance.

Comment pénétrera-t-elle jusqu’à nous? Précisément par les relations que la Gaule entretient toujours avec le pouvoir impérial pour continuer la tradition romaine. Relations religieuses: les grands conciles se tiennent désormais dans les régions helléniques, les théologiens fameux discutent à Byzance, les empereurs continuent à dicter leurs édits ecclésiastiques au monde entier. Relations politiques: les agents impériaux parcourent toujours l’Occident, Clovis s’enorgueillit de recevoir les insignes consulaires, et, jusqu’à Dagobert, les rois franks, se considérant encore comme les lieutenants des empereurs, font frapper leurs monnaies à l’effigie impériale. Relations artistiques: c’est de Constantinople que viennent, pour approvisionner les églises et les monastères, les manuscrits aux délicates enluminures, les beaux reliquaires, les somptueuses tapisseries, les tableaux précieux, les joyaux renommés . Relations commerciales: les ports de la Méditerranée poursuivent leur commerce maritime avec la nouvelle capitale de l’Empire et des marchands orientaux s’établissent en petites colonies jusque dans nos grandes villes du Nord. Un souffle d’orientalisme traverse en tous sens le pays.

Ce n’est pas à dire toutefois que l’art byzantin va s’acclimater de toutes pièces dans le monde gallo-frank. Trop d’influences climatologiques y protestent contre lui pour qu’il puisse y trouver un terrain de croissance. Par des fonctionnaires, des marchands, des moines ou des voyageurs, il n’y peut d’ailleurs arriver que par bribes. Aussi ce ne sera pas une rénovation complète que notre architecture religieuse subira de son fait; il lui imposera seulement une série de modifications secondaires qui, sans lui faire perdre encore son caractère latin, la désorganisera cependant assez pour que l’inspiration nouvelle des races blondes puisse à son tour s’y glisser.

Or, ces races blondes, stimulées par la contemplation des beaux édifices de leurs vainqueurs, commencent, elles aussi, à bâtir, et à bâtir suivant leurs instincts propres. A côté des constructions de pierre où se mêlent les anciennes traditions romaines et la nouvelle inspiration byzantine, s’élèvent les monuments de bois et les édifices faits de charpentes et de moëllons des envahisseurs: «Mos romanus », ou encore, à cause de son nouveau caractère byzantin, «Novum ædificandi genus», et «Mos Gallicanus», disent les textes de l’époque, — c’est-à-dire la construction «à la manière romaine » et la construction «à la manière populaire» .

Parcourons, en effet, la France mérovingienne et nous verrons ces deux architectures si différentes coexister partout sans néanmoins se mêler encore.

Voici d’abord les églises. Nous nous tromperions fort en les croyant d’austères et silencieux asiles de prière: elles sont toujours, comme les anciennes basiliques profanes, le bruyant forum où, une fois les offices célébrés, les foules font ce que bon leur semble. Les marchands y traitent leurs affaires, les oisifs y devisent, les pèlerins y campent, les hommes d’armes s’y disputent et les filles de joie y chantent des chansons obscènes jusqu’au pied de l’autel . Aussi ces édifices, gardant leur caractère ancien, n’ont-ils que faire de contracter une forme nouvelle. C’est toujours sur le plan de la basilique profane qu’ils sont construits. Leurs trois nefs , faites de belles colonnes de marbre enlevées à quelque temple, s’allongent toujours parallèlement jusqu’au transept, au-dessous de leurs deux galeries supérieures que de larges fenêtres garnies de vitraux enchâssés dans des réseaux de plomb , inondent de lumière. D’autres fenêtres éclairent pareillement l’abside et les deux extrémités du transept, car, circonstance que les auteurs contemporains ne manquent jamais de signaler, une église n’est réputée belle que quand le jour la pénètre de toutes parts . Pour rendre le saint lieu plus gai encore on prend même bien soin de décorer, comme dans les villas, ses murs de peintures et de tapisseries . En tout cela ce sont encore les traditions latines qui persistent. Mais d’autres éléments assurément byzantins commencent déjà à se manifester. Au croisement du transept et de la grande nef, par exemple, s’élève, pour supporter un campanile de bois où placer la cloche, la coupole introduite dans les églises orientales par les architectes syriens et persans ; des absidioles, bien orientales elles aussi, s’arrondissent au dehors à la terminaison des nefs latérales ; mille motifs ornementaux, où prédominent les lignes courbes et brisées particulières aux tissus byzantins, décorent les chapitaux et les corniches; enfin, souvenir des pylônes orientaux gardant les portes d’entrée, deux grandes tours commencent à se hausser aux deux coins de la façade .

D’autres églises, moins riches, se résignent à adopter les procédés nouveaux des races blondes. Quelques-unes, par économie, ont déjà remplacé les plafonds plats des nefs par les fermes en charpentes apparentes et sculptées qui continueront à rester en faveur, même pendant le règne de l’architecture gothique, dans les régions plus profondément germaniques de l’Allemagne et de l’Angleterre . D’autres sont construites entièrement en bois . Il en est même — telle la primitive cathédrale de Strasbourg — qui, comme une cabane franque, se composent de grosses pièces de charpentes reliées entre elles par des empilements de moellons .

Les monastères gardent leur apparence de villas romaines, seulement, pour se soustraire aux coups de mains des bandes qui passent, ils commencent à s’enceindre de murailles crénelées et flanquées de tours aux fenêtres étroites .

Les villas, se transformant, elles aussi, en camps retranchés, s’enveloppent de murailles et de tours. Dans le Midi elles affectent encore la physionomie romaine avec leurs portiques à colonnes, leurs longues galeries de pierre, leurs thermes et leurs belles salles aux murs richement peints . Dans le Nord, au contraire, le bois commence à prédominer dans la construction des portiques, des plafonds et surtout de la petite tour qui s’élève à l’un des coins de la cour centrale — tour que les anciens Germains érigeaient jadis, comme poste d’observation, aux abords de leurs camps et qui deviendra bientôt le donjon. Certains riches se font même construire des maisons entièrement faites de planches juxtaposées où — comme on le voit encore aujourd’hui en Allemagne et en Norvège et comme on l’a vu chez nous pendant tout le moyen âge — les charpentes apparentes, les parties en saillies et les piliers des porches sont capricieusement découpés et sculptés .

Pendant les temps mérovingiens, deux architectures sont donc en concurrence, celle de l’ancien monde du Sud et celle du nouveau monde du Nord. — L’une des deux doit-elle un jour supplanter l’autre? Telle est la question qui se pose alors, et dont rien encore ne permet de prévoir la solution.

L'évolution de l'architecture en France

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