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CHAPITRE VII

Table des matières

LES TEMPS KAROLINGIENS.

Charlemagne paraît. Ce barbare de génie, germain de corps et d’âme, a, comme tous les grands chefs goths et franks, l’ambition de réincarner en lui l’antique toute-puissance impériale. Il ne croit trouver rien de mieux pour y parvenir que de chercher à se montrer romain dans ses attitudes et dans ses actions. Il se fait décerner à Rome les titres d’Empereur et d’Auguste, revêt la chlamyde et la tunique longue, chausse les brodequins et ceint la grande couronne d’or . «Pendant tout son règne, il n’eut rien de plus à cœur que de rendre à la ville de Rome son antique prépondérance .» De tous les points de l’Europe il attire autour de lui les savants les plus renommés pour leur connaissance des sciences antiques. On le voit s’efforcer d’apprendre la grammaire, la rhétorique, la dialectique et l’astronomie. Des écoles sont fondées dans toutes les églises pour enseigner les lettres et les arts de l’ancien monde. Ses lois se modèlent sur les lois impériales, son système administratif imite le système administratif de l’Empire d’Orient, ses architectes, enfin, ne cherchent plus à s’inspirer que des édifices fameux de l’architecture byzantine. Ayant à élever une basilique auprès de son palais d’Aix-la-Chapelle, il en fait venir les colonnes d’Italie et en emprunte le plan à l’église byzantine de Ravenne.

Le résultat immédiat de cette tentative de renaissance latine est de contrecarrer brusquement l’expansion première du génie frank. Comment les humbles constructions de bois de la «manière populaire » oseraient-elles se dresser devant les nobles bâtisses de pierre de la «manière romaine» ressuscitée! Fragiles, modestes, toujours délabrées par les pluies, à la merci du moindre incendie, elles constituent une architecture précaire qui pourra bien convenir pendant des siècles encore à des régions pauvres telles que la Scandinavie et quelques provinces allemandes, mais qui ne saurait satisfaire une société aussi avide de jouer un rôle glorieux que ce nouveau peuple gallo-frank. Des églises de bois, des palais de bois, des villas de bois, l’ère est désormais close.

Comme toute coutume déchue la pauvre architecture à «la manière populaire » s’en ira finir obscurément ses jours dans les basses classes. Pendant sept siècles encore nous la verrons — avec quelle grâce et quelle fantaisie parfois! — épuiser sa dernière verve à prodiguer le long des rues de nos villes du Nord les pittoresques maisons aux lacis de charpentes, aux chambranles sculptés et aux pignons frangés de découpures, jusqu’à ce qu’une seconde renaissance latine, celle du XVIe siècle, vienne achever de l’anéantir.

Donc c’en est fait du règne exclusif du génie germanique parmi nous. Mais le règne exclusif du génie romano-byzantin n’en est pas pour cela mieux assuré, car tous les instincts artistiques des races du Nord, qu’il a dépossédées de leur architecture propre, vont faire irruption dans la sienne pour la dénaturer.

L’ancienne société gallo-romaine, en effet, reste trop saturée de barbares pour redevenir jamais gallo-romaine. Charlemagne lui-même, en dépit de sa volonté, ne se latinise pas. Tout en s’efforçant de rejouer le rôle des Césars, il ne peut se déshabituer du vêtement frank et des mœurs frankes et, tout en se consacrant à faire reflorir la civilisation latine, il se complaît malgré lui à rédiger une grammaire franke, à faire recueillir les chants populaires des Franks, ou à vouloir substituer des noms germaniques aux noms latins des douze mois . Et ce monde, dont il est la personnification, ne se latinise pas mieux que lui. En vain les architectes essaient-ils de se conformer aux traditions venues de Byzance dans la construction des édifices royaux, en vain les fils des nobles apprennent-ils le latin et le grec dans les écoles ecclésiastiques, en vain les manuscrits, les bijoux, les tapis, les tentures, arrivent-ils à flots continus de l’Orient dans les églises et dans les châteaux, ce monde reste à demi-germanique et ne réussit qu’à devenir à demi-latin.

Bien plus, comme pour contre-balancer la renaissance romaine que son maître lui impose, de nouveaux apports germaniques recommencent à affluer en lui. Par ses grandes expéditions contre les Longobards et les Saxons, par sa résidence favorite à Aix-la-Chapelle, Charlemagne remet ses leudes et ses hommes d’armes en communion constante avec les races blondes. Et d’autres hommes blonds, les Northmans, pénètrent déjà en barques par tous les ports et tous les fleuves jusqu’à parvenir, sous les successeurs du grand empereur, à prendre définitivement possession de tout le littoral de la Manche.

Si attentifs que soient les architectes à se renfermer dans la stricte culture de l’art byzantin, il leur est de plus en plus difficile de se soustraire à l’influence des goûts nouveaux de toutes ces masses populaires qui les entourent sur les chantiers. Autrefois, une certaine discipline artistique leur était encore possible dans les petites familles de maçons recrutés, choisis, éduqués et inspirés par eux. Mais Charlemagne, renouvelant un vieil édit théodosien, veut que tous les fidèles indistinctement contribuent de leur travail à l’édification des lieux saints. «Il était alors d’usage que le comte se chargeât de tous les travaux commandés par l’empereur, ponts, vaisseaux, routes, etc., et prit soin de les faire exécuter par ses viguiers et leurs officiers, le plus économiquement possible, en y employant le bas peuple. Et s’il fallait bâtir quelque nouvelle église, tous, évêques, ducs, comtes, abbés, chefs d’église, bénéficiaires, étaient tenus de l’édifier de la base au faîte .» En de telles conditions, il est impossible que le populaire n’ait pas bientôt sa part d’inspiration dans l’architecture.

Ainsi, la question qui se posait à la fin des temps mérovingiens se trouve à présent résolue. On est désormais certain que le monde germanique ne subjuguera pas le monde gallo-romain et que le monde gallo-romain ne subjuguera pas le monde germanique. Tous deux sont fatalement contraints de s’associer, c’est-à-dire de former, en se fusionnant, un monde nouveau manifestant un nouveau génie. A peine Charlemagne mort, on voit, en effet, dans un immense cataclysme de guerres et de convulsions s’abimer son œuvre, ses institutions, et son empire. Et quand, dans le vaste creuset où elle bouillonne, de la Manche à la Méditerranée et de l’Atlantique au Rhin, l’inéluctable fusion est accomplie, ce monde nouveau apparaît. Les peuples antérieurs s’y sont fondus en un seul peuple: la France, — les empereurs à la romaine et les chefs à la franke en un seul souverain: le roi capétien, — la langue latine et la langue germanique en un seul groupe de dialectes: les langues romanes, — et les arts des races du Sud et des races du Nord, en un seul art: l’art roman.

L'évolution de l'architecture en France

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