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DÉVOUEMENT

Table des matières

Impossible de jeter plus follement son bonnet par-dessus les moulins, et d’abuser plus consciencieusement de sa jeunesse, que la charmante Lucie. Trop même. Il paraît que le docteur a ordonné des douches, pas d’excitants, et une vie relativement austère. Et il s’est trouvé précisément à point pour faire exécuter ces prescriptions un brave prince Robanoff qui tient surtout à avoir une maîtresse pour la montrer et se soucie assez peu des droits du seigneur.

Lucie dit en riant:

–C’est une mère que Robanoff!

Et de fait les yeux sont moins cernés, et les couleurs sont un peu revenues, mais le docteur exige encore quelque temps de repos.

Précisément Raoul est arrivé devant le petit hôtel de Lucie dans l’avenue Kléber. Tout le premier est brillamment éclairé. On dirait qu’on donne une fête.

Ma foi, il n’est que onze heures et demie, Raoul va demander en passant des nouvelles de son amie.

Il sonne et Francine, la jolie femme de chambre, vient ouvrir, Francine est une brave fille, dévouée corps et âme à sa maîtresse.

–Ahh! parbleu, Monsieur arrive bien. Il faut absolument que madame prenne sa douche, et je ne suis pas assez forte pour la maintenir sous le jet d’eau. Monsieur va m’aider.

Maintenir Lucie sous la douche! Au premier abord cela paraît une besogne agréable, mais en y réfléchissant bien, comme après la douche il faudrait probablement s’en aller, ce serait un supplice atroce. Raoul monte derrière Francine, très décidé à refuser.

Arrivé dans le cabinet de toilette de Lucie, il la trouve étendue sur une peau d’ours, fumant une cigarette et à peine vêtue d’un péplum cerise qui bàille aux bons endroits. Dans un coin, l’appareil de la douche profile sa silhouette menaçante.

–C’est monsieur Raoul qui vient aider madame à prendre sa douche, dit Francine.

–Oh! comme c’est gentil! s’écrie Lucie en se levant.

Et sans fausse honte (un vieil ami), elle laisse glisser à terre le péplum cerise et jette ses deux bras autour du cou de Raoul qu’elle embrasse à pleines lèvres.

–Pardon, s’écrie Raoul en se débattant, il y a erreur. Je ne suis monté qu’une minute pour savoir de tes nouvelles, et je me sauve.

–Tu refuses de me maintenir sous la douche?

–Absolument, Je ne tiens pas à me donner soif pour qu’on me retire le verre au moment de boire.

–Eh bien, tu ne sais pas ce que tu perds. Il y a quinze jours que le prince me prêche morale et hygiène, et précisément il ne vient pas ce soir.

–Ah! s’il ne vient pas ce soir, cela change complètement la question. Alors, après la douche, je pourrai rester?

–Parfaitement.

–Marché conclu! s’écrie Raoul avec joie.

Et retroussant ses manchettes, il s’approche du bassin.

Lucie, toute frissonnante, se cambre debout, les yeux fermés, les deux bras appuyés sur l’épaule de son ami. Francine tire la ficelle, et une pluie glacée tombe en gouttelettes d’argent tout le long des reins de Lucie.

Celle-ci pousse un cri et enjambe le bassin pour se sauver à travers l’appartement. Mais Raoul, fidèle à son devoir, la prend à bras-le-corps, l’étreint, l’enlève et la reporte sous le jet d’eau. Pendant ce temps, Francine inexorable abusait de la situation et, saisissant une immense éponge, faisait ruisseler l’eau froide à partir de la nuque de sa maîtresse.

Celle-ci, affolée, se tordait contre Raoul, l’attirant près de lui, serrant autour de son cou ses deux bras à l’étouffer, frôlant contre tout son être son épiderme frais et parfumé. La situation était délicieusement atroce.

Que fut-ce quand Raoul, ganté d’un gant en poil de chameau, fut chargé de rétablir la circulation du sang! Éperdu, énervé, il glissait le long des pentes, gravissait le long des montées, rencontrant tout le temps sous l’effort de sa main des chairs potelées, dures comme du marbre, et douces comme du satin. Les lèvres sèches, la tête en feu, il murmurait d’une voix étranglée par l’émotion:

–Tu me jures que je resterai!

–Mais oui, mais oui, répondait Lucie.

–Parce que, tu comprends, dans l’état où je suis, si je devais partir.

–Une honnête femme n’a que sa parole.

Là-dessus, elle échange avec Raoul un dernier baiser qui augmente encore son trouble, puis elle lui dit:

–Maintenant, tu vas être bien gentil. Tu vas aller dans le boudoir dix minutes. Je ne te demande que dix minutes.

–Pourquoi?

–Voyons, sois raisonnable. Francine te préviendra quand tu pourras revenir.

Raoul obéit à regret et gagne le petit salon dans un état d’exaltation difficile à décrire. Les dix minutes lui paraissent longues, et avec cela l’imprudente Francine, avec ses yeux de velours et son petit bonnet coquettement posé sur ses cheveux noirs, continue à trotter dans le boudoir, et tout en rangeant glisse parfois un regard malicieux du côté de Raoul.

–Elle est vraiment très jolie cette Francine; il y a des moments dans la vie où l’on apprécie tout à coup les choses à leur juste valeur. Ma petite Francine, viens donc t’asseoir un peu sur ce canapé?

–Et pourquoi donc? monsieur le vicomte.

–Parce que j’ai un tas de choses à te dire!

–Dites vite alors, monsieur, parce que madame va sonner, dit Francine, en se rapprochant tout près, tout près de Raoul.

Quelques minutes après, un coup de sonnette se fait entendre. Francine, un peu décoiffée et son bonnet de travers, s’échappe des bras de Raoul, et revient ensuite lui dire que madame l’attend.

Mais les idées de Raoul ont complètement changé. Devenu calme et maître de lui, il trouve maintenant que ce serait très mal de compromettre la santé de Lucie, à qui le docteur a tellement recommandé le repos.

–Non, dit-il, je suis trop délicat pour abuser de la situation. J’ai rempli mon devoir d’ami, et maintenant je rentre tranquillement me coucher. Souhaite une bonne nuit à ta maîtresse.

Là-dessus il prend sa canne, son chapeau, et s’en va avec la conscience du devoir accompli.

–Ah! s’écrie Francine en réparant le désordre de sa toilette, je savais bien que je sauverais madame!

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