Читать книгу Feux de paille - Richard O'Monroy - Страница 9
III
ОглавлениеRue Murillo, on fit un peu attendre le capitaine. Dame, il n’était plus le maître de la maison. Enfin la femme de chambre vint lui dire qu’il pouvait entrer. Tournecourt passa dans le cabinet de toilette et trouva Suzanne étendue sur une chaise longue. Elle était plus jolie que jamais dans sa robe de chambre de peluche blanche toute garnie de nœuds roses et de cascades de dentelles, et avec cela une certaine pâleur des plus intéressantes.
Elle était en train décrire sur un livre de comptes très élégant et doré sur tranches, qu’elle referma en entendant entrer Tournecourt.
–Pardon de vous avoir fait attendre mon ami, mais j’étais souffrante et j’avais même défendu ma porte. Elle ne sera d’ailleurs jamais fermée pour vous.
–Je ne compte pas abuser de la permission, répondit le capitaine, mais je tenais à vous mettre sous les yeux un petit papier qui j’espère vous intéressera.
Il lui tendit la lettre de Bellantroy, et tandis qu’elle lisait:
–Jee suis heureux, continua-t-il, de vous montrer non seulement la valeur morale de celui que vous m’avez préféré, mais aussi le cas qu’il fait de vous.
Il replia le papier et le remit gravement dans sa poche, puis il salua et se disposa à se retirer.
Mais Suzanne se jeta à son cou en versant des larmes, de vraies larmes, et en déclarant qu’elle ne le laisserait pas partir. Jamais elle n’avait aimé que lui, Tournecourt, il le savait bien. Elle connaissait très peu Bellantroy; c’était un moment d’oubli, impardonnable sans doute, mais il fallait faire la part de la solitude, de l’ennui. Elle parlait, elle parlait, évoquant le passé, rappelant les bons moments d’autrefois; ses larmes ruisselaient sur la figure de Tournecourt qu’elle embrassait avec furie; ses beaux bras blancs lui servaient de collier et l’attiraient de plus en plus vers le canapé, en lui disant:
–Pardonne-moi1prouve-moi que tu ne m’en veux plus!...
Tournecourt pardonna comme tout autre eût fait à sa place et prouva avec une conviction profonde qu’il n’avait plus la moindre rancune.
–Alors je t’attendrai ce soir, dit Suzanne en rajustant ses dentelles.
–Ici, jamais, dit Tournecourt, mais si tu veux venir chez moi, je te recevrai avec grand plaisir.
–J’ai promis de dîner chez Caroline, à Auteuil, mais je reviendrai directement, et à minuit je serai avenue des Champs-Elysées.
On échangea un dernier baiser et Tournecourt parti complètement rasséréné.
A minuit, dans son petit rez-de-chaussée de garçon, il attendait Suzanne et, réfléchissant à ce qui s’était passé, il trouvait dans son cœur mille bonnes raisons pour l’excuser. Pourquoi se brouiller? pourquoi perdre quelque chose de bien bon? Comme il avait bien fait de se raccommoder!
A minuit un quart, personne n’était encore arrivé. A minuit et demie, n’y tenant plus et frappé d’un pressentiment, le capitaine prit son chapeau et se dirigea vers l’hôtel de Suzanne. Une large raie de lumière filtrait entre les grands rideaux et le plafond par les fenêtres du cabinet de toilette. Suzanne était chez elle. Elle avait donc menti en affirmant qu’elle reviendrait directement d’Auteuil? La première idée du capitaine fut de monter, mais, qui sait? peut-être Suzanne n’était-elle rentrée que pour un instant. Elle allait ressortir sans doute. Mieux valait patienter.
Les moments se passèrent. Tournecourt restait fasciné par cette raie de lumière, ne pouvant en détacher ses yeux. A mesure que l’heure avançait, sa jalousie renaissait plus violente. Était-ce une hallucination? Parfois il croyait voir comme des ombres sur cette partie du plafond qui était éclairée, puis, après quelques instants, la ligne de feu reparaissai t claire, nette. Évidemment, Bellantfoy était là-haut. Il était revenu malgré sa promesse. Devait-il assez se moquer du naïf capitaine qui avait cru en sa parole! Et tandis que lui, Tournecourt, était là, transi, à faire le pied de grue, ils étaient, eux, dans les bras l’un de l’autre, dans la grande chambre tiède et close, heureux. comme lui l’avait été jadis. Il se représentait Suzanne, les yeux mi-clos, disant à un autre toutes ces folies qu’elle lui disait à lui, balbutiant ces mots étranges dont il avait conservé un souvenir si âcre et si précis. A cette pensée il se sentait envahi par une rage atroce. Saisi par la fraîcheur de la nuit, il avait cependant la tête en feu; son cœur battait à tout rompre. Jamais il n’avait éprouvé une souffrance aussi aiguë.
Dans la rue déserte, les sergents de ville regardaient avec étonnement ce monsieur qui restait immobile, les yeux rivés sur le même point.
–Allons, dit-il, secouant sa torpeur, je vais monter, moi aussi, et cette fois ce sera drôle!.
Mais à ce moment il tressaillit comme frappé d’une commotion électrique. La ligne de lumière avait disparu, la fenêtre était toute noire. On venait d’éteindre le gaz du cabinet de toilette, et l’on s’en allait. Tournecourt se rangea contre la porte cochère, puis d’une main qui tremblait, il saisit le billet qu’il avait conservé.
–Voilà, dit-il, quand Bellantroy sortira je le moucherai avec sa lettre!
La porte cochère s’ouvrit, et, à la lueur du réverbère, Tournecourt aperçut qui?.... Larmejane qui, sans le voir, le collet de son pardessus relevé, s’éloigna à grands pas dans une direction opposée.
Pour le coup c’était trop fort! Tournecourt rentra dans l’hôtel sans prendre cette fois la précaution de dissimuler son arrivée. Il monta l’escalier quatre à quatre et arriva comme une bombe dans la chambre de Suzanne. Celle-ci, la chemise fripée, décoiffée, pieds nus, était assise devant un guéridon et écrivait sur le livre doré sur tranches que Tournecourt avait déjà aperçu dans la journée.
A la vue du capitaine, elle jeta un cri et s’enfuit dans le cabinet de toilette dont elle poussa le verrou.
Tournecourt s’approcha curieusement du registre et vit le nom de Larmejane écrit en encre toute fraîche; et au-dessus, tracée à la main, une petite étoile qui n’était pas encore sèche. En face du nom il y avait la date et l’heure.
Deux lignes plus haut, il aperçut son nom à lui, Tournecourt, même date, cinq heures du soir; le nom était également orné d’une petite étoile.
Puis, feuilletant les pages et remontant deux mois en arrière, Tournecourt trouva au milieu de quelques inconnus les noms d’une foule d’amis du Cercle: Taradel, Parabère, Précy-Bussac. Les uns avaient en observation: Visite simple; d’autres avaient en exergue une, deux ou trois étoiles, mais toujours l’heure et la date étaient soigneusement indiquées. Enfin, détail important, quelques-unes des étoiles étaient barrées, et dans ce cas, il y avait en marge: Réglé.
C’était le livre des amours de Suzanne par Doit et Avoir et la signification de la petite étoile n’était pas douteuse.
Tournecourt partit d’un grand éclat de rire; l’aventure, loin d’être tragique, n’était plus que drôle. Il avait cru descendre dans un hôtel privé, bien cossu, bien bourgeois; il était descendu dans une auberge, voilà tout! Il chercha donc, sur le livre de l’hôtel, son nom qu’il n’eut pas de peine à trouver, déposa cinq louis en regard sur la page blanche, barra l’astérisque et d’une main ferme il écrivit en grosses lettres: Réglé.
Le lendemain il repartait pour Pont-à-Mousson, cette fois guéri, et bien guéri par ce petit voyage dans les étoiles.