Читать книгу Feux de paille - Richard O'Monroy - Страница 5

II

Оглавление

Table des matières

Néanmoins, Parabère n’était pas’homme à jeter le manche après la cognée. Et tout d’abord il se fit présenter à l’heureux Palamède, qui n’eut rien de plus pressé à son tour que de le présenter très cérémonieusement à Alice. Celle-ci, en s’inclinant, avait un certain air espiègle. Avait-elle dû rire de lui, l’autre jour, en se rendant au bateau! Qui sait? Elle avait peut-être raconté tout à Palamède. Cette idée exaspérait Parabère. Était-ce de la haine? était-ce de l’amour qu’il avait maintenant pour Alice? Je ne sais, mais le fait est qu’il la désirait plus que jamais. La plus douce intimité s’était d’ailleurs bien vite établie entre Palamède et son nouvel ami.

Parabère venait chaque jour faire des visites dans la petite maison de la rue des Sablons. Julie elle-même, la femme de chambre, avait fini par le considérer comme de la maison: mais Palamède était toujours là et ne quittait pas plus Alice que son ombre.

Un jour, cependant, Parabère invita le jeune ménage à dîner aux Roches-Noires.

–Impossible, répondit Palamède, je dîne ce soir à PUnion Club.

Parabère saisit la balle au bond.

–Eh bien, mon cher, si vous n’acceptez pas mon dîner, venez au moins déjeuner avec moi. Il y a un petit restaurant au Havre-de-Grâce, près de Honfleur, d’où l’on jouit d’une vue superbe. C’est à peine à deux lieues d’ici. Je vous mènerai avec ma voiture.

–J’accepte! s’écria Alice, qui adorait ce genre de parties.

–Alors j’accepte aussi! dit Palamède en riant. Mais l’on me promet que je serai revenu à temps pour le dîner du Club?

–Soyez sans inquiétude, la voiture nous ramènera en moins d’une demi-heure.

Le lendemain matin, en effet, les trois voyageurs partirent dans la victoria de Parabère, dont les deux chevaux percherons allaient comme le vent. On arriva au petit restaurant établi au Havre-de-Grâce sur la falaise, d’où l’on aperçut toute la côte du Havre et l’embouchure de la Seine. Le coup d’œil était magnifique. Les petits bateaux à vapeur allaient et venaient, traversant cette langue de mer dans laquelle il est facile de distinguer les eaux de la Seine, d’une nuance plus claire. A l’horizon l’on apercevait lesphares et Sainte-Adresse. Parabère fit installer une table sur la falaise même, et partit donner quelques derniers ordres à son cocher. Puis il revint s’attabler. Je ne sais pourquoi, il avait l’air radieux; quant à Palamède, il se laissait tout entier aller au plaisir de passer quelques heures agréables avec un excellent ami et une maîtresse adorable . Aussi le déjeuner fut très gai et se prolongea assez avant dans la journée. C’était si bon de rester tranquillement à causer, les coudes sur la table, en fumant de bons cigares et en regardant le panorama ensoleillé qu’on avait devant soi. Néanmoins Palamède n’oubliait pas le dîner du Club.

–Je crois, dit-il, que ce serait peut-être le moment de faire atteler?

–Eh bien, je vais donner les ordres, dit Parabère; précisément voilà Jean.

Le cocher venait, en effet, d’apparaître, mais avec une telle figure qu’on vit bien qu’il venait annoncer un malheur.

–Monsieur, dit-il à Parabère, je ne vais pas pouvoir vous ramener à Trouville. Le sabot de la roue de gauche s’est dévissé, et je n’ai pas ma clef.

–Sacrebleu! dit Parabère, feignant une vive contrariété, avez-vous au moins demandé le charron de Villerville?

–Oui, Monsieur, mais sa clef ne va pas à la voiture; il faudrait une clef anglaise et ici on n’en possède pas.

–Comment allons-nous faire? gémit Alice.

–Ma foi, dit Palamède, il n’y a pas d’autre moyen que de revenir à pied, car nous ne trouverions pas de voiture dans le pays. Pour deux lieues, nous n’en mourrons pas, et moi je ne puis manquer le dîner de l’Union.

–Si vous voulez partir en avant, insinua Parabère, je ramènerai Alice.

Ceci était une faute. Alice le regarda et je ne sais ce qu’elle lut dans son regard, mais elle se hâta de s’écrier:

–Non, non, je puis très bien revenir à pied. Je ne quitte pas mon Palamède.

Elle prit le bras de son ami et l’on partit bravement par la route de la Corniche. La première lieue s’effectua très bien; le soleil était encore très chaud, mais une bonne brise soufflait du large. Au cinquième kilomètre, Alice commença à souhaiter vivement une voiture. Au sixième, elle se suspendit au bras de Parabère et cria qu’elle n’en pouvait plus. A force d’exhortation, on parvint cependant à la décider à se traîner jusquaux Roches-Noires, et, lorsque arrivée là, elle eut enfin trouvé une voiture de l’hôtel, elle déclara qu’elle était brisée de fatigue.

La voiture arriva à Trouville à six heures et demie.

Palamède n’avait plus que le temps d’aller s’habiller. Il se fit déposer rue Dumont-d’Urville et pria Parabère de reconduire son amie jusqu’à la rue des Sablons.

Arrivée chez elle, la belle Alice monta d’un pas traînant le petit escalier de bois blanc qui menait à sa chambre, tandis que Parabère se précipitait à la lingerie pour lui envoyer Julie, sa femme de chambre.

–Tenez, Julie, lui dit-il, vous m’avez souvent parlé du bal de Skating, voilà deux billets pour vous et Marie, et voilà quelques louis pour vous y distraire.

–Oh! que Monsieur est bon? lui dit Julie rouge de plaisir, mais Madame ne nous permettra jamais.

–Eh bien, arrangez-vous pour que Madame ne dîne pas chez elle, et je me charge de vous avoir votre soirée libre.

–Ah! Monsieur, c’est bien facile! je vais comploter cela avec la cuisinière. Elle viendra au bal avec moi.

Parabère remonta chez Alice et la trouva étendue dans un fauteuil, n’ayant même pas eu la force d’ôter son chapeau.

Quelques secondes après, la cuisinière éplorée arrivait annoncer à Madame qu’ayant voulu attirer un sac de charbon de bois trop lourd pour elle, tout était tombé sur le fourneau, et que le dîner était perdu.

–Ah çà, mais j’ai donc tous les malheurs aujourd’hui! s’exclama la pauvre Alice.

–Eh bien, dînez avec moi à l’hôtel de Paris, c’est à deux pas, proposa Parabère. Ce n’est pas plus fatigant que de descendre à votre salle à manger.

–Que dira Palamède?

–Il n’en saura rien. Nous dînerons dans le petit salon, et je vous ramène tout de suite après dîner.

–Bien sûr?

–Ma parole d’honneur.

La belle Alice, résignée, fit contre fortune bon cœur, et partit dîner avec Parabère. Celui-ci, tenant avant tout à la rassurer, s’assit à table, très loin, bien en face d’elle, et se montra pendant tout le repas le meilleur camarade du monde. Le dîner fut exquis et arrosé des vins les plus généreux; mais bien qu’au dessert, Alice, que la digestion rendait bonne, parût vouloir autoriser quelques privautés, Parabère resta tout le temps sur la limite d’une extrême politesse et ne lui embrassa seulement pas le bout des doigts. Alice, piquée au jeu, déploya toutes ses séductions, montra ses dents, fit des effets de bras qu’elle avait fort beaux. Parabère ne broncha pas, et dès que le café fut pris, il fut le premier à dire:

–Maintenant, ma chère amie, je vais vous reconduire chez vous.

Alice se pinça les lèvres. C’était la première fois qu’un homme paraissait aussi pressé dans sa compagnie. Peut-être avait-il quelque rendez-vous, quelque autre maîtresse à aller voir.

–Eh bien, rentrons, dit-elle brusquement.

Quelques minutes après, ils traversaient ensemble, au milieu d’une obscurité profonde, le petit jardin de la rue des Sablons. Alice frappa à la porte, personne ne répondit. Elle appela:

–Marie? Julie?

Rien. La porte resta close.

–Elles auront été probablement faire une course et ne tarderont pas à rentrer, dit Parabère. Promenons-nous sur les planches et dans une demi-heure nous reviendrons savoir si elles sont revenues.

–Mais vous oubliez, mon cher ami, que je ne tiens plus debout: il me serait impossible de faire un pas de plus avec mes souliers à hauts talons. Ah! si j’avais seulement mes mules!

–C’est bien simple, dit Parabère; donnez-moi un de vos souliers comme modèle, je vais aller vous en acheter une paire.

Alice se rendit à tâtons vers un petit bosquet qu’elle connaissait, et là elle s’assit sur un banc de pierre, tandis que Parabère se mettait à genoux et l’aidait à se déchausser. L’obscurité était complète. Elle avait appuyé son petit pied sur le genou de son ami, qui se sentait des envies folles de lui sauter au cou et de l’embrasser. Il lui fallut une force surhumaine pour ne pas abuser de la situation, mais ce banc eût été si peu confortable que c’était peut-être risquer de tout perdre. Rouge, la joue en feu, il partit vers la rue de Paris avec son petit soulier à la main, à la recherche d’une paire de mules.

Il choisit exactement le numéro des souliers, se gardant bien de les prendre plus larges, et bientôt il revenait dans le bosquet, et chaussait avec amour les petits pieds couverts de bas de soie bleue brodés de fleurs qu’on lui abandonnait.

–Décidément, c’est un bien charmant garçon, pensait Alice.

Malgré elle, elle était touchée de ce respect, de ces prévenances, de ces attentions, et surtout de cette loyauté vis-à-vis d’un ami. Quel est l’homme qui, dans un bosquet, n’aurait pas essayé de l’embrasser, et peut-être même...? Et alors son imagination battait la campagne, l’influence du bon dîner commençait à se faire sentir. Elle se sentait tout attendrie. En somme, il est très bien, Parabère, jeune, riche, joli garçon, mieux même que Palamède; mais à quoi allait-elle penser là.? Elle prit vivement le bras de son ami pour échapper à toutes sortes d’idées qui lui passaient par la tête.

–Allons, faisons un tour sur la jetée, dit-elle, j’ai besoin d’air.

Mais elle oubliait les kilomètres de la journée. Malgré les mules, ses pauvres pieds ne pouvaient plus la porter.

–Ma chère amie, vous n’en pouvez plus; voulez-vous aller au Casino? demanda hypocritement Parabère.

–Non, Palamède m’a défendu d’y aller sans lui; et puis, voyez-vous, ce qu’il me faudrait, c’est mon lit, ou tout au moins ma chaise longue et ma robe de chambre. Rentrons plutôt.

On retourna rue des Sablons, mais on ne trouva encore personne pour ouvrir la porte. C’était désespérant.

–Ecoutez, dit Parabère, voici ce que je vous propose. Je vous offre ma chambre de l’hôtel. Vous vous y étendrez sur mon lit pendant un heure; quant à moi, si vous le désirez, pendant ce temps-là, j’irai fumer une cigarette, puis je reviendrai vous prendre pour rentrer chez vous. Est-ce convenu?

Alice hésita un moment, mais Parabère toute la soirée avait été si réservé, si discret.

–Eh bien, j’accepte, dit-elle, mais je ne veux pas vous chasser de votre chambre, et pour vous prouver comme j’ai confiance en vous, je vous permets de rester. Vous vous asseoirez à mon ou plutôt à votre chevet, et nous causerons comme de bons amis.

Ils montèrent ensemble au premier. Parabère un peu tremblant ouvrit la porte d’une grande chambre qui donnait sur la plage et alluma les bougies. La nuit était fraîche. Il se hâta de fermer la croisée et les grands rideaux; quant à Alice, elle alla se jeter avec bonheur sur le grand lit du milieu.

–Eh bien! dit Parabère en rapprochant sa chaise tout près d’elle, vous sentez-vous bien? regrettez-vous votre chaise longue?

Il lui avait pris la main sans trop savoir ce qu’il faisait; Alice le regarda un instant, puis tout à coup, lui jetant ses deux bras autour du cou, elle l’attira à elle.

Et comme minuit sonnait à la pendule de l’hôtel:

–Je crois, dit Parabère en riant, que Julie doit maintenant être rentrée.

–Bah! dit Alice, je ne voulais certes pas venir chez toi, mais puisque j’y suis, j’y reste.

Feux de paille

Подняться наверх