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LA VEILLE D’UNE PETITE FÊTE
SCÈNE DE LA VIE DE CERCLE

Table des matières

La commission des fêtes plus qu’au complet: Taradel, président; Précy-Bussac, Tosté, Parabère, Tournecourt, Comfort, Boisonfort, Chameroy et autres membres du cercle n’ayant d’ailleurs aucun droit d’assister à la réunion.

Ces messieurs sont assis, dans des poses diverses, autour d’une table. On fume à outrance.

Taradel.–Eh bien, la pièce marche-t-elle? La représentation pourra-t-elle avoir lieu mardi?

Tosté.–Heu! heu! Malvina a encore man qué la répétition.

Taradel.–Pourquoi cela?

Boisonfort.–Dame, il faisait beau, elle a été faire son persil. Elle ne vient que quand il pleut.

Taradel.–Aussi, Tosté, pourquoi, comme régisseur, êtes-vous si faible?

Tosté.–Je ne peux pourtant pas la mettre à l’amende.

Tournecourt.–Moi, je ne la manquerais pas!

Chameroy.–Ceci n’est pas prouvé. Et puis, tout le monde ne peut pas être gendarme.

Taradel.–Non, mais Tosté est beaucoup trop faible avec les petites femmes. Soyez ferme sans dureté et indulgent sans faiblesse.

Chameroy.–Portez sur votre tête le casque de la fermeté surmonté du panache de l’énergie. (Bruit.)

Taradel.–L’incident est clos. Messieurs, je reçois une demande de M. de Larmejane qui désire faire partie de la fanfare.

Comfort.–C’est impossible. Il y a dans le texte: «Voici les quatre messieurs de la fanfare.»

Parabère.–On dira: «Voici les cinq messieurs de la fanfare.»

Précy-Bussac.–Pourquoi pas alors les six, les huit, les dix?

Tournecourt.–Les quarante?

Taradel.–Pas d’exagération. Mais il est un fait certain, c’est que si nous nous laissons déborder, tous les membres du Cercle voudront être de la fanfare.

Tosté.–Histoire de rire avec les actrices et d’empêcher tout travail sérieux.

Parabère.–Vous m’amusez avec votre travail sérieux.

Taradel.–Si la commission des fêtes se donne du mal, c’est bien le moins qu’elle ait quelques privilèges. Ce serait trop commode de ne rien faire, et puis d’arriver la veille de la représentation se proposer comme pompier pour emmener ces dames à notre nez. Je propose de repousser la proposition Larmejane.

Tous.–Oui! oui! refusée!

Taradel.–Et après la pièce, qu’a-t-on organisé?

Précy-Bussac.–J’ai proposé un petit café chantant, où chacune de nos amies pourrait déployer ses talents.

Taradel.–Eh bien, avez-vous quelques noms à me donner?

Chameroy.–Je vous propose Juliette de Montléry, du Vaudeville.

Tous.–Ah! ah!

Chameroy.–Pourquoi ah! ah! Ce n’est qu’une amie pour moi, pas autre chose.

Taradel.–Là n’est pas la question. Que chantera-t-elle?

Chamery.–Les Malheurs du petit baron. C’est charmant.

Taradel.–De qui est-ce?

Chameroy.–La musique est de Juliette et les paroles sont de moi. (On rit.)

Taradel.–Je vous félicite de votre modestie. Et ensuite?

Précy-Bussac.–Moi, j’offre la petite Klody, des Bouffes, elle dira une fable: Le Lapin et le Financier.

Taradel.–J’espère que cette fable ne contient pas de personnalités.

Précy-Bussac.–Elle m’en a donné sa parole d’honneur.

Taradel.–Ce sera à vérifier. Et après?

Tosté.–Moi je propose une petite fille encore peu connue.

Taradel.–Votre petite de la maison de correction? Nous n’en voulons pas!

Tosté.–Mais non, il s’agit d’une petite qui a débuté au Conservatoire tout dernièrement.

Boisonfort.–C’est Thérésa.

Parabère.–C’est Suzanne Lagier. (Bruit.)

Taradel.–Laissez parler l’orateur.

Tosté, ému.–Merci, monsieur le président. L’enfant s’appelle Alida Brechu. C’est une excellente fille qui soutient toute sa famille.

Tournecourt.–Sur sa solde du Conservatoire.

Taradel.–Enfin, adoptons Alida. Que chantera-t-elle?

Tosté.–La Culotte d’un zouave. (Exclamations.) C’est une romance.

Taradel.–Va pour la romance. Et ensuite?

Tournecourt.–Moi, j’ai composé une petite machine, cela s’appelle: la Chair à Canon. Le brave clairon monte à l’assaut... Il sonne toujours. Une balle lui enlève l’usage du bras droit, il sonne toujours. Un boulet lui emporte le bras gauche,-il sonne toujours. Un obus lui emporte la tête, il sonne toujours.

Chameroy.–Cette histoire est invraisemblable.

Tournecourt.–Je l’ai vue de mes yeux. Léa Shako, de la Renaissance, propose de la chanter. Moi, je l’accompagnerai avec un tambour.

Taradel.–Ce sera un beau coup d’œil. Mais, vous m’aviez parlé d’un clairon.

Tournecourt.–Je ne sais que le tambour.

Parabère.–Moi, je joue du cor de chasse. Si vous voulez, je me propose.

Tournecourt.–Le cor n’a rien à faire avec le clairon.

Taradel.–Bast! laissons-le accompagner sa Léa. Ensuite?

Comfort.–Léontine Vauban dira sa grande scène de Joseph Balsamo.

Tous.–Jamais! autre chose! La Censure à Comfort.

Comfort.–Vous n’aimez que les gaudrioles. Préférez-vous: la Tour Saint-Jacques?

(Chantant). Mais pour moi qui voyais ses yeux,

Qu’importaient les étoiles!

Tous.–Bravo! Bravo! Bis!

Parabère.–Il chante comme un vieux chapeau.

Comfort.–Mais puisque c’est Léontine qui chantera, ma voix n’a aucune importance.

Tous.–Aucune! aucune!

Comfort.–Merci.

Boisonfort.–Je demande la parole pour un fait personnel. Mademoiselle Klody et mademoiselle Vauban m’avaient prié de demander à Marie Pigeonnier, de l’Odéon, de vouloir bien leur prêter quelques morceaux à réciter.

Tournecourt.–Naïves enfants!

Boisonfort.–J’apporte les morceaux prêtés par Marie Pigeonnier, en les prévenant que je ne crois pas que celle-ci ait détaché les perles de son répertoire. Elles me répondent qu’elles s’attendaient à cette preuve de camaraderie. et qu’elles ont apporté autre chose. Alors, pourquoi m’avoir chargé de la commission?.

Parabère.–Pourquoi nous demandez-vous cela?

Taradel.–Oui, quel est le but de cette anecdote?

Boisonfort (interloqué).–Ma foi, je n’en sais rien.

Taradel.–Un blâme à Boisonfort qui profite de la réunion de la commission pour nous faire des narrations dépourvues d’intérêt.

Tous.–Oui! oui! un blâme sévère!

Taradel.–Arrivons à la question du costume. A la répétition j’ai vu plusieurs choses qui m’ont choqué. Ainsi j’ai remarqué, Précy-Bussac, que votre habit dépassait sous votre blouse bleue.

Précy-Bussac.–Il y a pour cela deux raisons: une bonne et une mauvaise. Je vais d’abord vous donner la mauvaise.

Taradel.–C’est beau la classification.

Précy-Bussac.–La mauvaise raison c’est que pour rien au monde vous ne me feriez consentir à me costumer. Je veux bien passer pardessus mon habit une blouse bleue et me coiffer d’un vieux chapeau, mais je ne veux pas me costumer.

Taradel.–Pourquoi?

Tournecourt.–C’est un vœu?

Précy-Bussac.–Je me le suis juré à moi– même. C’est une sombre histoire.

Tous.–Pas d’anecdotes?

Taradcl.–Vous aviez raison, votre motif est déplorable. Et l’autre motif?

Précy-Bussac.–L’autre motif, c’est que les paysans ont toujours un habit qui dépasse sous la blouse.

Taradel.–En êtes-vous bien sûr? Qui est-ce qui est sûr de cela? Qui a vu de vrais paysans?

(Profond silence.)

Taradel,–Puisque personne ne peut affirmer le contraire, admettons que Précy-Bussac ait raison. Autre chose. Quand Tournecourt consentira-t-il à savoir son rôle?

Tournecourt.–Ne vous inquiétez pas. Quand la mémoire me manque, je remplace la phrase par une charge. Je fais, par exemple, comme si mon râtelier se décrochait.

Taradel.–Ça doit être peu gracieux.

Tournecourt.–Ou bien encore, je frotte mon rhumatisme, je fais claquer mon fouet, etc.; pendant ce temps le souffleur.

Comfort.–Le malheureux! Il faudra doubler ses appointements.

Tournecourt.–Vous verrez que ça ira tout seul.

Taradel.–Est-ce qu’on soupera après la représentation?

Tous.–Bien entendu.

Taradel.–Il va sans dire que les membres de la commission des fêtes, seuls, auront le droit d’assister à ces agapes fraternelles.

Chameroy.–Les autres seront furieux.

Tous.–Tant pis! Nous seulement! Parbleu! ce serait trop commode. Il n’y a déjà que quinze femmes et nous sommes vingt-trois, etc., etc.

Taradel.–Messieurs, croyez bien que vous me trouverez toujours sur la brèche pour défendre vos droits. Les membres du Cercle auront un buffet, un plantureux buffet, mais n’assisteront au souper que ceux qui auront travaillé. (Applaudissements frénétiques.)

Taradel.–Le souper aura lieu chez Voisin, à trois heures du matin. Nous placerons Tournecourt à la porte et, pour entrer, il faudra montrer patte blanche.

Tournecourt.–Colonel, vous pouvez compter sur moi.

Taradel.–Capitaine, je suis content de vous.

Tosté.–Cette scène est touchante. Moi j’en pleure d’attendrissement.

Comfort.–Et maintenant, en mon nom et au nom de la commission, je viens vous demander de bien vouloir remercier avec nous notre brave et digne président Taradel des efforts et du zèle qu’il a témoignés.

Tous.–Bravo! bravo! Hipp! hipp! Hurrah!

Taradel.–Vraiment, messieurs, je suis confus.

Comfort.–Qu’il me soit permis d’ajouter un mot.

Tous.–Hip! hip! Hurrah!

Comfort.–Je parlerai! Qu’il me soit permis d’ajouter.

Tous.–Hipp! hip! Hurrah!

Taradel.–Renoncez-y.

Comfort.–Jamais! (Bruit, tumulte, cris du coq, etc.)

Taradel.–La séance est levée.

Tout le monde se lève. Comfort proteste et sort en racontant à Tosté, qui ne l’écoute pas, ce qu’il aurait dit si on avait voulu l’écouter.

Feux de paille

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