Читать книгу Feux de paille - Richard O'Monroy - Страница 8
II
ОглавлениеEt tandis que le train l’emportait à grande vitesse:
–Une véritable surprise pour Suzanne! pensait Tournecourt. Après lui avoir télégraphié que j’étais retenu par mon service, j’arrive en pleine nuit. Heureusement que j’ai la clef. Chère petite clef! S’il m’avait fallu risquer les hasards d’un réveil à une pareille heure, avec la crainte de ne pas être entendu, peut-être aurais-je hésité, mais avec la clef rien à craindre.
Arrivé devant le petit hôtel de la rue Murillo, Tournecourt introduisit sans bruit sa clef dans la serrure de la porte cochère qu’il ouvrit et referma avec précaution, tenant absolument à ne réveiller Suzanne que par un gros baiser. Le gaz de l’escalier était toujours allumé comme au bon temps où sa belle amie l’attendait. On n’avait rien changé aux habitudes de la maison. Arrivé au second étage, le capitaine traversa le cabinet de toilette, puis il souleva la portière qui le séparait de la chambre à coucher éclairée par une lampe persane. et resta pétrifié.
Les cheveux épars, le bras replié sous la nuque, Suzanne dormait dans une adorable attitude; mais à ses côtés, sur l’oreiller garni de dentelles, apparaissait une tête brune frisée, avec une diable de moustache qui menaçait le ciel! Il y avait là un homme, très joli garçon, ma foi, qui dormait la bouche ouverte!. En approchant, Tournecourt reconnut Bellantroy, un camarade du Cercle.
Exaspéré, le capitaine cueillit le monsieur d’une main, puis de l’autre il prit à poignée les effets déposés sur un fauteuil et porta le tout jusqu’à l’escalier, tandis que Suzanne, réveillée et croyant faire un mauvais rêve, assistait stupéfaite à ce petit drame intime. Arrivé sur le palier, Tournecourt jeta ses effets à la tête du monsieur, puis il lui dit:
Voici ma carte: «Capitaine de Tournecourt, 22, avenue des Champs-Élysées.»
Ceci fait, il lui ferma la porte au nez et rentra chez Suzanne.
–Ma chère amie, lui dit-il, peut-être eussiez-vous mieux fait de me quitter lorsque je vous l’ai proposé. Cela vous eût rendu votre liberté, et vous eût évité cette scène désagréable à laquelle je vous demande un million de pardons de vous avoir fait assister.
Et, craignant sa faiblesse, tandis que Suzanne éplorée lui tendait ses bras en voulant lui expliquer je ne sais quoi et lui donner je ne sais quelle raison fantastique, il s’arracha de cette chambre où il avait été si heureux et redescendit quatre à quatre l’escalier. Le monsieur avait disparu.
Toute la journée, Tournecourt resta chez lui, attendant les témoins qu’on ne pouvait manquer de lui envoyer. A huit heures, il reprenait exaspéré le train de Pont-à-Mousson, n’ayant vu personne, mais obligé de se trouver rentré le lundi matin au rapport.
Lui qui d’habitude dormait tout d’une traite jusqu’à l’arrivée en gare, il ne put fermer l’œil. Au fond, Suzanne lui tenait au cœur, bien plus qu’il ne se l’était figuré, et cette trahison le navrait. La tête dans les mains, il revivait le passé et se répétait machinalement cette phrase:
–Pourquoi ne m’a-t-elle pas quitté? C’était si simple.
Tout à coup une idée lui vint à l’esprit. Tandis que ses devoirs militaires l’obligeaient à quitter Paris, eux allaient vivre là-bas, tranquilles, heureux. Bellantroy allait jouir du même bonheur que lui, Tournecourt, avait éprouvé! C’était impossible!
–Parbleu! s’écria-t-il, cela ne sera pas! Pas à moi, soit, mais pas à lui non plus!
Le lendemain matin, à six heures, Tournecourt se présentait chez le colonel et lui expliquait que des motifs graves exigeaient qu’il repartît immédiatement pour Paris.
Il avait l’air si troublé que le colonel, sans demander de plus amples explications, lui signa immédiatement une permission en blanc en lui disant:
–Allez, mon cher ami; prenez le temps qu’il vous faudra et revenez dès que vos affaires seront arrangées.
Le capitaine remercia chaleureusement, et a deux heures il était de retour à Paris. Il se précipita au Louvre où il était sûr de trouver ses anciens camarades, les capitaines Pouraille et Larmejane. Tout en se promenant fiévreusement dans le cabinet de service, Tournecourt leur expliqua son affaire et les pria d’aller de sa part demander raison à Bellantroy.
A sa grande surprise, Larmejane resta très froid.
–Vois-tu, dit-il en tortillant sa moustache, je ne demande pas mieux que de te rendre service, mais, crois-moi. ce duel est impossible.
–Pourquoi ça? dit Pouraille en allongeant un immense coup de poing sur la table; un duel est toujours possible.
–Mon brave Pouraille, insista Larmejane, vous n’êtes pas comme moi au courant de la question; eh bien, je conseille à mon vieux camarade Tournecourt, que j’aime de tout mon cœur, de laisser Bellantroy se débrouiller comme il le voudra avec Suzanne.
–Les laisser heureux ensemble, jamais! s’écria Tournecourt avec rage.
–A la bonne heure! appuya Pouraille, pour l’honneur de l’arme il faut couper les oreilles du bourgeois.
–Allons, dit Larmejane en soupirant, mon pauvre Tournecourt, tu es plus malade que je ne pensais; nous irons, puisque tu l’exiges, demander raison à ton adversaire; rentre chez toi, et nous te rapporterons immédiatement le résultat de notre entrevue.
–Tâche que ça ne traîne pas! lui dit encore Tournecourt.
Puis il rentra chez lui, et trouva que le temps était d’une longueur désespérante. Enfin une voiture s’arrêta devant la porte, ramenant Larmejane et Pouraille.
–Eh bien? demanda Tournecourt dès qu’il les vit entrer.
–Le bourgeois a canné! répondit Pouraille.
–Pardon, dit Larmejane, M. de Bellantroy est un galant homme qui nous a reçus d’une façon très correcte. Il nous a dit: «Je croyais M. de Tournecourt parti en province, et par conséquent ne pensais pas marcher sur ses brisées; d’ailleurs la femme en question n’est pas ma maîtresse, et je ne trouve vraiment pas qu’il y ait matière à duel.»
–Et qu’est-ce que tu dis de cela?
–Mon Dieu, étant donnée la scène de l’escalier, ce n’est peut-être pas très crâne. mais en tout cas c’est très intelligent.
–Et tu t’es contenté de cette déclaration
–Oh! pas du tout. J’ai répondu: «Monsieur, si vous trouvez que la personne ne vaut pas la peine qu’on se batte, il vous sera alors indifférent de nous signer une lettre dans laquelle vous vous engagerez sur l’honneur à ne plus remettre les pieds chez elle.–Oh! parfaitement.» Et voilà, mon cher Tournecourt, le petit mot en question.
–Le lâche! s’écria Tournecourt en parcourant le papier. Et dire qu’elle m’a préféré un monsieur semblable!
–Enfin! les voilà séparés; c’est ce que tu voulais, n’est-ce pas? Crois-moi, un duel pour Suzanne eût été ridicule.
Sur ce dernier mot, Larmejane et Pouraille sortirent, laissant Tournecourt relire mot à mot le billet de Bellantroy. Tout à coup il se leva brusquement:
–Je veux au moins qu’elle lise cette lettre et qu’elle sache à qui elle avait eu affaire!
Et il partit chez Suzanne.