Читать книгу Les mémoires de mon coupé - Robert de Nervo - Страница 12
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Et d’abord:
Il y a le monde de Paris–celui-là se divise presqu’à l’infini.–Le faubourg Saint-Germain et le faubourg Saint-Honoré ne vivent pas ensemble. –La haute banque ne vit pas avec la petite finance.–La jeunesse dorée des deux sexes se recrute de toutes les jeunes et jolies Parisiennes, quelles qu’elles soient, c’est le monde où l’on s’amuse.
La société de province est aux eaux ce qu’elle est chez elle, gourmée, divisée de caste, d’opinion, de situation, de prétention; elle fait bande à part. –C’est ainsi qu’aux eaux, on trouve à côté du groupe parisien, le groupe de Marseille, celui de Toulouse, parlant chacun son langage; je devrais dire son patois, très haut, très criard, et regardant d’en haut ou d’en bas, tout ce qui n’est pas de la Cannebière, du Capitole, ou d’autres lieux.
La société étrangère joue de son côté, aux eaux, un rôle très considérable.–Pour elle, venir aux eaux, c’est venir montrer ses jolis visages et ses jolies robes, elle n’y saurait manquer.
Les Espagnoles, les Américaines et les Russes, y figurent en première ligne.
Les Espagnols se mêlent très rarement–à quelque province qu’ils appartiennent (et cela est chez eux un trait caractéristique), de quelque société, de quelque famille qu’ils soient; ils ne se réunissent qu’entre eux, ne dansent qu’entre eux, ne parlent que leur langue.–Les femmes espagnoles sont jolies, aimables, élégantes.–Là où elles sont, elles règnent à peu près, par leurs charmes qui sont grands.–L’amour et la valse sont le régime à elles ordonné par le médecin.–Avec l’amour et la valse, on guérit tous les maux.
Les Américaines sont essentiellement sociables, elles sont de tous les groupes où l’on s’amuse.
Arrivées à Paris pour acheter des robes et des chapeaux, aux eaux pour les montrer;–là où le violon, les parties de campagne, les pique-niques les appellent, elles vont.–Comme elles sont en général, très jolies; elles ne laissent point d’avoir autour d’elles une cour nombreuse.
La société russe joue, aux eaux, comme partout, un rôle à elle.
La femme russe apporte en elle son esprit fin, sa conversation imagée, sa distinction, sa frivolité, son charme.– Elle ne dédaigne pas la galanterie– elle valse, elle polke, elle soupe; elle mène à grandes guides tout ce qui lui tombe sous la main, affection, amitié ou amour–elle est agréable et charmante,–aux eaux, comme partout elle est une ressource, et mieux un plaisir; quelquefois plus, un sentiment.–S’il dure, c’est bien,–s’il ne dure pas, c’est un des bons souvenirs qu’on emporte, mais qu’on ne retrouve pas.–On les accuse d’être un peu inconstantes, mobiles;–mais le ciel n’est pas toujours bleu et puis aussi, l’homme n’est pas parfait.
Il y a, aux eaux, un autre monde douteux, équivoque, qui a pour sobriquet la moitié du vrai monde.–Ce demi-monde s’y présente d’abord sous les dehors les plus discrets,–allure réservée, conversation sérieuse, yeux baissés, toilette noire; c’est le prélude de la comédie, avec les mouchoirs armoriés, les éventails armoriés; les porte-monnaie couronnés, des couronnes partout.
Les cartes de visite sont toutes de comtesse et de baronne, et toutes, par componction, portent des noms de saints ou de saintes: Saint-Georges– Saint-André–Saint-Clair; c’est presque un martyrologe et les martyrs ne manquent jamais dans ce calendrier.
«J’ai connu aux eaux, (dit le général), une certaine comtesse, sur la carte de laquelle j’ai lu:–«La comtesse de M., CHANOINESSE HONORAIRE.» – Honoraire! Il paraît qu’il existe un chapitre où il y a des chanoinesses en exercice et des chanoinesses en retraite.–«Celle dont je parle, ajoutait le général, était d’ailleurs une chanoinesse charmante; blonde, blanche, les yeux bleus, petite bouche, lèvres de grenade, lèvres curieuses.–En vérité, elle ne méritait pas la retraite, et je doute fort qu’elle l’eût prise!»
S’associer à l’un de ces mondes, poursuit le manuscrit, est cependant chose nécessaire, si on ne veut pas vivre comme un ours.
C’est avec l’un de ces mondes, qu’il faut exister, déjeuner, dîner, aller en partie, en voiture, à cheval, luncher sur l’herbe, parler de toutes choses; –d’amitié d’abord, d’amour quelque-fois, vivre enfin deux ou trois mois.
Les parties d’abord:–On sait ce qu’elles sont aux eaux, un nid à querelles ou à sympathies.
Vous projetez une promenade, un déjeuner.–Qui en sera?–Si madame X en est, madame Z n’y veut aller,–Si Monsieur A n’est point invité, madame B n’ira point; et puis, il y a les demoiselles, et puis, il y a les places dans les voitures;–graves questions.
Être, durant deux ou trois heures, nez à nez avec telle ou telle personne, c’est presque aussi grave que de passer une huitaine à la campagne;–il faut donc choisir ses partenaires.
Lorsque l’amour y entre pour quelque chose, tout est bien.–Lorsque seulement il y a sympathie de sentiment ou d’esprit, tout va encore; mais lorsque rien ne lie ces voyageurs de hasard, il y a fort à regarder–alors, le chapitre des déconvenues et des désillusions a commencé, c’est un des chapitres de l’histoire des eaux.
Le chapitre des bals, des valses, des cotillons est presque aussi scabreux, s’il n’est plus.
Danser souvent avec la même personne est, aux eaux, presque un engagement–de part et d’autre, on s’y fait, on s’y plaît, et l’on a vu bien des chagrins plus ou moins vifs, plus ou moins désagréables, naître de ces accouplements fortuits et regrettés.
Tel, ce monde des eaux, si bien crayonné par le général, qui en avait une si grande habitude:–Aussi, chaque année, le voyait-on, un des premiers, aller, tantôt à la gare, tantôt le long de l’allée d’Etigny, attendre les arrivants.
Aux eaux, les arrivants sont un des grands intérêts du jour,–on va à la découverte, comme Christophe Colomb, à celle d’un nouveau monde.– Quel sera ce monde?–Qui arrive?– Qui est arrivé?–C’est la question du jour, celle du moment, quelquefois celle du cœur.
A ce titre, elle intéressait plus que personne le général, qui, en dépit de son âge, sentait encore tout jeune en lui.
En latin: Semper virens!
En français: Toujours vert! toujours vert-galant!