Читать книгу Les mémoires de mon coupé - Robert de Nervo - Страница 8
ОглавлениеVI
Le prince qui avait tué le mari, ignorait absolument pour qui il avait été obligé de se battre.
Quelle était cette personne, la cause innocente de cette grande jalousie?– Quelle était cette veuve ainsi privée à jamais de son mari d’une façon si étrange, et il faut le dire, si grotesque?
Était-elle jolie, laide, désolée?– toutes choses qu’on veut savoir, surtout quand on est la cause, même involontaire, d’un si terrible événement.
Le prince se mit immédiatement à la recherche de cette énigme.
Voici ce qu’il apprit:
La comtesse de X… était mariée depuis quelques années à peine. C’était un mariage d’arrangement, l’amour n’y était pour rien.
Ils avaient tous les deux de la fortune–Les deux familles se valaient; –même monde,–mêmes relations, –bonne noblesse des deux côtés.
La comtesse jeune et jolie,–nous l’avons dit,–aimait le monde. Elle y était fort entourée–son mari, le plus jaloux des maris,–nous l’avons dit aussi–ne la menait dans le monde qu’à regret,–toujours le premier au milieu du cotillon ou du souper, à vouloir rentrer;–enfin, vous savez, un de ces tristes et insupportables tyrans qui adorent leurs femmes, en essayant de les priver de tous les plaisirs permis, pour jouir seuls du cercle, du baccarat, et quelquefois de certains autres.
Ce ménage était donc de ceux qu’on peut appeler troublés, par les scènes continuelles d’une jalousie injurieuse et sans motifs.
Hélas! lorsqu’une semblable injure est faite à une femme, souvent elle lui donne des idées qu’elle n’aurait jamais eues, et on a vu les plus sages accusées de légèretés, ne devenir légères et coupables que par esprit de vengeance et de contradiction.
La comtesse était sur cette pente dangereuse, lorsqu’elle était devenue veuve.
Telle était celle que le prince voulait absolument connaître.
Tous les moyens furent essayés, employés pour y arriver; mais d’un côté,–pour la veuve, recevoir le meurtrier de son mari;–et de l’autre, pour le prince, se trouver près de la femme de celui qu’il venait de tuer;–c’était pour les deux une situation, presque impossible.
Le prince cependant, avec l’espèce d’entêtement et de volonté que suggère une semblable aventure, n’insista, ne persista que plus.–Par ses amis, par les intermédiaires qu’il trouva, par l’or et l’argent, par tous les moyens plus ou moins permis, il se fit jour, et il arriva.
La comtesse, il faut se hâter de le dire, après la première douleur s’était assez vite consolée.–Comme la veuve de la légende, comme les veuves du royaume de Malabar, elle ne s’était point condamnée au bûcher–elle ne s’était point coupé les cheveux–elle n’avait pas laissé ses beaux yeux se rougir de trop de larmes; tout cela l’aurait enlaidie;–non, sous le grand voile de crêpe dont elle s’était enveloppée, elle restait encore la plus jolie des veuves.
Ce fut donc sous ce voile mystérieux que le prince la connut.
La première entrevue fut difficile– la seconde moins–la troisième presque de l’affection, et de visite en visite, bientôt on ne put se passer l’un de l’autre.
Le veuvage appelle ordinairement la consolation.–Or, il arriva qu’un jour, le consolateur parla d’autre chose–il arriva que l’amour arriva, –et que le prétendu voleur du balcon entrait désormais libre, amoureux et heureux, auprès de celle qui devint un jour sa maîtresse adorée!
Étrange histoire qui commence par un rendez-vous chez une femme galante–se poursuit et se dramatise par la fuite du galant sur un balcon voisin, celui d’une sage inconnue– amène par un duel la mort d’un mari jaloux–et finit par un amour insensé pour la veuve même de celui qu’on a tué!
Cette liaison défendue dura cependant et ne finit qu’avec la mort du prince.–Cette charmante personne fût celle qu’il aima le plus.
Le pauvre coupé avait commencé, un soir de neige, par la porte d’à côté: dorénavant c’était à celle du numéro suivant qu’il passait ses jours et presque ses nuits, attendant fidèlement, à une porte amie, le royal aventurier:
DES DEUX BALCONS.