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II

Table des matières

A la fin de janvier187., j’avais été attelé toute la journée, il neigeait et le soir vers onze heures, voilà qu’il me fallait aller avec mon prince, faire une visite, une visite amoureuse sans doute, au numéro… de la rue Auber.

Là, mon maître descendit et me laissa seul à la porte, avec le cocher et le pauvre cheval qui, la tête basse, semblaient se conformer à leur triste sort.

Il en est ainsi:–Pendant que le maître, bien encapuchonné dans sa fourrure, monte sur un moelleux tapis, les degrés d’un escalier bien chauffé; nous trois, le cocher, le cheval et moi, presque ensevelis sous la neige, nous réfléchissions.

Le prince était attendu, c’était un rendez-vous.

La déesse était seule:–son mari était sorti, il ne rentrait ordinairement de son cercle, que vers les trois heures de la nuit.–Il était un joueur, joueur heureux, gagnait souvent, et lorsqu’on gagne, on reste où l’on gagne.–Pauvre mari qui ne se doutait pas que lorsqu’il gagnait au cercle, il perdait ailleurs.

La femme de l’heureux joueur était une personne charmante.–Sans être du monde des belles petites, elle était de celui des femmes galantes.

La femme galante, à Paris, est mariée et baronne.–De son mari, elle n’a grande cure–s’il est joueur et il l’est ordinairement, il rapporte au logis ses bonheurs de jeu–c’est un métier lucratif et nécessaire.

La femme galante a de20à25mille livres de rente, elle en dépense100 mille.–Elle est jolie, coquette, provocante.

L’argent, l’élégance et l’amour jouent dans son existence un seul et même rôle–ils sont comme une trinité qui n’en fait qu’une seule et même passion, un seul et même besoin.

Le monde que voit la femme galante, sans être le monde vrai, n’est pas non plus le monde interlope, non.

–C’est le monde des artistes, le monde des théâtres, le monde des gens d’esprit.

Celle chez qui le prince avait rendez-vous, la baronne X… était presque une artiste.–D’un esprit fin, d’une conversation variée, primesautière, humoristique; elle chantait, fredonnait avec grâce ce que d’autres disent avec talent;–en un mot, elle plaisait,– elle faisait plus, elle charmait, et quand une femme a charmé, elle a tout dit.

Le prince avait remarqué cette femme à l’Opéra, où elle avait sa loge, entre les colonnes: loge sans cesse remplie de fleurs, et de tous ceux qui les offraient, et ils étaient nombreux.

A la première vue de cette personne, si entourée, si élégante, si désirable, le prince avait senti comme quelque chose qui l’avait frappé, là où l’on sait; avait senti la blessure qui ne se cicatrise que par la possession;–il se fit présenter, il était pris.

De là à une, à deux, à des visites plus fréquentes, il n’y avait qu’un pas, et bientôt (plus tôt même que cela n’eût dû être), le prince était plus que l’ami.

–Enfin, le soir où nous le voyons quitter son coupé, monter l’escalier et entrer dans le sanctuaire, il avait galant rendez-vous chez la belle.

Un rendez-vous, à onze heures, chez une femme, lorsque son mari est absent, absent pour toute la nuit est chose grave–on y joue ordinairement son cœur, quelquefois sa bourse, quelquefois aussi sa vie!

Ce fut le dernier enjeu que le prince y jouait.

Les mémoires de mon coupé

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