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IV

Table des matières

Le balcon sur lequel le prince avait émigré était celui d’un autre ménage.

Cette fois, ce ménage n’était pas celui d’une femme galante.–Le pays était un pays honnête, connu, blasonné.

L’une des fenêtres était à demi éclairée–derrière la persienne fermée, une veilleuse jetait ses lueurs mystérieuses.–Un silence complet régnait, celui du sommeil, sans doute, lorsque tout à coup, le prince sembla entendre comme des pas, comme quelqu’un qui montait un escalier.– Il était deux heures et demie du matin.

–Puis les pas s’arrêtèrent, puis il entendit comme une clef qui entrait dans une serrure, puis une porte se refermait, puis, après quelques minutes, un bruit de voix, de deux voix sembla s’élever.

Ces deux voix n’étaient pas du même sexe:–Il y avait une voix d’homme, voix de reproche, de colère– puis une voix de femme, voix de douceur, de larmes.

On accusait et on se défendait.

Le mari,–car c’était un mari– était rentré, avait trouvé de la lumière dans la chambre de sa femme,–en avait demandé la raison et, cherchant, furetant partout, s’était imaginé– jaloux qu’il était,–que sa femme n’était point seule dans son appartement.

Sa femme, la comtesse de X… très connue à Paris dans le monde, était une personne aussi charmante qu’irréprochable.

On avait bien dit sur elle, comme sur toutes les jolies femmes, quelques-unes de ces petites indiscrétions, de ces petites fables qui tombent d’elles-mêmes, mais qui ont le très grave inconvénient d’allumer dans le cœur des maris l’une de ces jalousies qui deviennent une véritable folie.

M. le comte de X… était donc ce mari jaloux,–jaloux de tout et de tous–jaloux au bal–jaloux à dîner, à souper, à l’Opéra, aux courses;–jaloux du moindre ruban, de la moindre dentelle que portait sa femme;–jaloux, un jour par exemple–de certaine ombrelle rouge qui, selon lui, devait être quelque signe convenu:–un jaloux féroce en un mot!

Surprendre sa femme en faute,– en faute de pensée, de parole ou d’action, était chez ce mari la seule occupation, le seul but de sa vie.

Or, arriver la nuit à l’improviste– trouver une lampe allumée–sa femme non endormie; il y avait là, il devait y avoir là quelque chose:–de là, la dispute, de là, le mari qui accuse, et la femme qui se défend–de là, les recherches du mari, partout, sous le lit, dans tous les cabinets, sous tous les fauteuils, derrière tous les rideaux! –Vaines recherches!

La femme avait beau jurer de son innocence, rien n’arrêtait le jaloux; lorsque soudain, il crut entendre un bruit au dehors, sur le balcon, un pas.–Il y avait quelqu’un sur le balcon!

La femme nia, le jaloux persista et aussitôt, sa petite lanterne à la main, (celle qu’il laissait chaque nuit chez le portier pour rentrer chez lui, ) il ouvrit la fenêtre et là, se trouva nez à nez avec un individu, le chapeau rabattu sur les yeux,–l’air inquiet, ahuri, désolé.

«Que faites-vous ici? lui dit-il.– Qui êtes-vous? répondez.»

–«Je ne suis point ce que vous croyez, repartit le prince, je suis égaré sur ce balcon–je ne demande qu’à descendre, qu’à sortir–laissez-moi aller, de grâce, je vous en prie!»

–«Comment, répliqua le jaloux, vous êtes ici, à cette heure, pour entrer chez moi, d’où vous sortez peut-être,–d’où vous sortez, n’est-ce pas? avouez-le, et vous voulez que je vous laisse aller, jamais!»

«Oui, vous êtes un voleur, un voleur que je vais faire arrêter, oui, je vais crier au voleur!»

Puis, lui mettant sous les yeux sa lanterne et reconnaissant le prince, (si connu de tout le monde).

«Comment, c’est vous, monseigneur, qui vous introduisez ainsi chez la femme des autres, et vous voulez que je vous laisse aller, jamais, jamais, et si vous êtes un gentilhomme, demain....!»

Le prince eut beau affirmer que le mari se trompait, affirmer qu’il se trouvait là, sur ce balcon, par un hasard qu’il ne pouvait expliquer; le jaloux ne voulut rien voir, rien entendre; la querelle s’envenima, on se menaça, des mots on allait en venir aux mains, et le pauvre prince allait être arrêté et mené au poste, comme un vulgaire voleur, lorsque poussé à bout, et forcé de se défendre, il accepta la réparation qui lui était demandée et se mit à la disposition du jaloux, pour le lendemain.

Il était plus de trois heures lorsque, plus mort que vif, transi de froid et d’émotion, le prince regagna le coupé qui l’attendait depuis près de quatre heures à la porte du voisin, ou plutôt de cette voisine, chez laquelle il était entré comme un prince et d’où il était sorti comme un amoureux surpris, ou un malfaiteur–par ce double balcon, ce maudit balcon, qui allait être la cause d’une si tragique aventure.

Les mémoires de mon coupé

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