Читать книгу La cathédrale de Strasbourg pendant la Révolution. (1789-1802) - Rodolphe Reuss - Страница 5
PRÉFACE.
ОглавлениеLa plupart de nos lecteurs connaissent, au moins dans ses traits généraux, l'histoire des édifices religieux de Strasbourg pendant la crise révolutionnaire. Changés en magasins de fourrages, en ateliers militaires, voire même en étables, après la suppression du culte, ils furent tous plus ou moins maltraités par l'administration terroriste et ses adhérents, de 1793 à 1794. Ornements extérieurs, vitraux, pierres tombales, inscriptions funéraires, mobilier d'église, furent enlevés ou détruits, là où ne se trouva point quelque citoyen habile et courageux, pour empêcher, du moins partiellement, ces actes de violence et de profanation. La cathédrale devait être tout naturellement exposée, plus que toute autre église, à des attentats de ce genre. Le sort de cet édifice pendant la durée de la Révolution n'est pas inconnu, sans doute, le récit des scènes tour-à-tour émouvantes et tumultueuses, dont il fut alors le théâtre, a été sommairement retracé dans la plupart des descriptions archéologiques consacrées à ce monument de l'art, depuis un demi-siècle et plus. Mais notre cathédrale est si chère à tout enfant de Strasbourg, quelles que soient du reste ses opinions politiques et religieuses, elle tient une si grande place dans ses impressions artistiques et ses souvenirs d'enfance, qu'on ne verra pas sans quelque intérêt, je l'espère, un tableau plus étendu des événements qui se rapportent, de près ou de loin, à son histoire d'alors.
Ce sera retracer d'ailleurs en même temps quelques-unes des pages les plus instructives et les plus curieuses de l'histoire générale de Strasbourg, pendant cette période si troublée de son existence. On connaît la lutte acharnée qui suivit partout la promulgation de la malencontreuse Constitution civile du clergé. En Alsace, comme dans les autres provinces du royaume, l'antagonisme entre les prêtres réfractaires et les prêtres assermentés vint compliquer la situation politique, déjà si tendue, et contribua, plus que tout le reste, à faire dévier la Révolution. Cette lutte, encore aujourd'hui peu connue dans ses détails, se rattache d'une façon trop intime à l'histoire matérielle et morale de la cathédrale, pour que nous puissions nous dispenser de la raconter ici. Elle forme le prologue douloureux du drame terroriste de 1793, et nous arriverons par elle aux saturnales qui suivirent l'écrasement et la disparition, au moins momentanée, des deux partis prétendant également représenter l'Eglise catholique. Quand une fois le préposé constitutionnel du diocèse du Bas-Rhin eut dû suivre dans la retraite le fastueux prince-évêque mis au ban de la Nation, la cathédrale s'appela bientôt le Temple de la Raison, sans que, pour cela, l'auguste déesse y vint élire domicile. Quelques jours avant la chute de Robespierre, un nouveau baptême en fit le sanctuaire de l'Etre Suprême et ce n'est que six ans plus tard, dans la dernière année du XVIIIe siècle, que la basilique du moyen âge redevint une église chrétienne.
Les deux dates de 1789 à 1802 nous fourniront donc les limites extrêmes du cadre de ces nouvelles causeries strasbourgeoises, pour lesquelles j'ose réclamer un peu de la bienveillance que le public a bien voulu montrer à ses devancières. Fidèle au système suivi jusqu'ici, nous nous efforcerons, cette fois encore, de ne pas charger ces pages d'une érudition fatigante, sans nous écarter en rien de la plus scrupuleuse exactitude dans les détails de notre récit. Il sera basé tout entier sur les sources authentiques qui existent en si grand nombre pour l'histoire de cette époque. Nous avons utilisé les procès-verbaux manuscrits des Conseils de la Commune, ceux de la Société des Amis de la Révolution, que la Bibliothèque municipale possède en partie, les milliers de brochures et de feuilles volantes, qui inondèrent notre ville de 1789 à 1795, et parlèrent à notre population, si paisible en général, le langage de toutes les passions, au nom de tous les partis. Nous tenons à signaler en particulier les renseignements puisés dans les papiers de feu M. Louis Schnéegans, le savant conservateur des archives municipales, mort il y a bientôt trente ans. M. L. Schnéegans avait voué un vrai culte à notre cathédrale, et son ambition suprême était de lui consacrer une œuvre définitive, basée sur tous les documents originaux encore accessibles et qui nous aurait fait assister au développement graduel de cette création magistrale à travers les âges. Pendant vingt ans il fouilla sans relâche les dépôts publics et les collections particulières, entassant avec une activité fièvreuse des matériaux toujours plus nombreux. Puis la mort vint et l'enleva avant même qu'il eût pu commencer l'ouvrage qui lui tenait à cœur. Ses papiers, légués à la Bibliothèque de la Ville par sa veuve, témoignent seuls aujourd'hui de ce long et fatigant labeur. C'est en les mettant en ordre naguère, en y retrouvant les extraits des pièces officielles de l'époque de la Terreur, que l'idée nous est venue de traiter cette matière tout en élargissant notre cadre, et c'est un devoir pour nous de payer ici notre tribut de reconnaissance à la mémoire du défunt.
Un mot encore, avant de terminer cette courte préface. Nous ne saurions nous flatter de contenter tout le monde, en entrant dans le vif de notre sujet et en traitant avec certains détails des questions aussi délicates que celles que nous rencontrerons sur notre chemin. La Révolution est trop près de nous, ou plutôt, tous, tant que nous sommes, que nous le voulions ou non, nous sommes encore trop plongés dans le grand courant historique, né de 1789, pour que les idées et les impressions si contradictoires d'alors ne soient pas toujours vivantes parmi nous. Toutes les émotions, douces ou violentes, par lesquelles ont passé nos grands-pères, tous les sentiments d'enthousiasme, de haine ou d'effroi qu'ils ont ressentis au spectacle des scènes que nous allons voir ensemble, vibrent encore dans nos âmes, et les malheurs communs eux-mêmes n'ont pu faire disparaître encore chez tous cet antagonisme bientôt séculaire. Je dois donc forcément me résigner à choquer une partie de mes lecteurs, soit en jugeant autrement certains hommes et leurs actions, soit en n'appréciant pas comme eux certains événements historiques. Peut-être même aurai-je le malheur de mécontenter à la fois les partisans de l'ancien régime et ceux des idées nouvelles, les adhérents de l'unité catholique et ceux de la libre pensée, en m'efforçant de rester équitable pour les uns et pour les autres. Je tâcherai du moins de ne froisser, de parti pris, aucune conviction sincère, et de ne jamais oublier qu'il y a sans doute parmi mes lecteurs plus d'un descendant des personnages qui figureront dans mon récit. Mais je revendique en même temps pour moi le droit le plus évident de l'historien, celui de signaler avec franchise les erreurs et les fautes du passé, d'autant que c'est le seul moyen parfois d'en empêcher le retour. On voudra donc bien m'accorder à l'occasion le bénéfice de cette parole bien connue d'un orateur célèbre: „L'histoire doit des égards aux vivants; elle ne doit aux morts que la vérité!”
NOTES
POUR SERVIR A L'HISTOIRE
DE LA
Cathédrale de Strasbourg
pendant la Révolution.