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CHAPITRE VII

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Table des matières

Dès qu’il avait été en état de sortir, le vieux Beson avait pensé à faire les démarches nécessaires à la sauvegarde des intérêts de sa petite-fille.

Ne sachant trop où aller pour cela, il s’était d’abord rendu à l’hôtel de son fils, afin de prendre quelques renseignements.

A sa grande surprise, il y avait vu les scellés partout apposés.

Le concierge, auquel il demanda des explications à ce sujet, lui apprit que c’était le fait du notaire, chargé d’affaires de l’ancien propriétaire de l’immeuble, qui, ayant eu connaissance du naufrage dans lequel avaient péri M. et Mme Beson, était venu un jour dresser l’inventaire du mobilier de l’hôtel et remplir ensuite la formalité des scellés, pour que tout restât dans le même état jusqu’à ce qu’il en eût référé à son client; car M. Pierre Beson, n’ayant pas payé régulièrement chaque année, se trouvait encore débiteur des deux tiers du prix convenu de la vente.

Le maître maçon courut alors chez le notaire, supposant qu’une solution avait été donnée à cette affaire; mais l’homme de loi lui répondit que celui qu’il représentait, voyageant pour le moment dans les Indes sans qu’il eût fait connaître depuis assez longtemps déjà sa résidence, il lui fallait attendre ou son retour ou tout au moins qu’il lui donnât de ses nouvelles; que jusque-là il ne saurait prendre aucune détermination.

Et, en forme de conclusion, il ajouta qu’il ne devait pas espérer toucher une forte somme sur les100,000francs versés, car il serait nécessairement tenu compte du loyer des six ans et-demi pendant lesquels l’hôtel avait été habité.

Jean lui objecta que la fille de son fils étant vivante, elle ne pouvait cependant être ainsi mise hors de chez elle; et que, dans tous les cas, il restait le mobilier qui au moins lui serait restitué.

–A coup sùr il y aura restitution, mais pas tout de suite, car rien ne peut sortir de l’hôtel l tant que mon client, qui est le seul arbitre en cette affaire, n’aura pas tranché le différend.

«Cependant soyez certain, monsieur, que je vais agir de telle sorte que cela ait lieu le plus tôt possible.

Gardez donc votre petite-fille près de vous, et dès que j’aurai du nouveau à ce sujet je vous préviendrai immédiatement; nous réglerons alors la situation sans plus tarder.

C’est, je crois, la seule marche à suivre actuellement.»

Jean, pensant avec raison que le notaire devait en savoir plus long que lui là-dessus, se rendit à ce dernier argument et se résolut à patienter.

Il se mit donc à vivre avec sa petite Jeanne, cherchant autant qu’il le pouvait à l’entourer des soins délicats auxquels elle était habituée.

Mais ayant avancé à son fils, qui au moment de son départ n’avait que très peu d’argent liquide, presque tout ce qu’il possédait, c’est-à-dire une trentaine de mille francs, et n’ayant conservé pour lui que le strict nécessaire, ses ressources étaient fort restreintes.

Bientôt même, par suite de quelques prodigalités qu’il avait faites pour les enfants, son modeste pécule fut largement entamé, et c’est avec effroi qu’il en vit venir la fin.

Il aurait pu certainement, en allant chez d’anciens clients de son fils ou d’anciens amis, obtenir qu’on lui prêtât, jusqu’à la liquidation des biens, ce dont il avait besoin, mais sa fierté s’y refusa, et il préféra s’imposer chaque jour, quelque privation nouvelle afin que la petite n’eût pas à souffrir de sa gêne.

Plusieurs fois il était retourné chez le notaire, mais ce dernier n’avait toujours rien à lui annoncer.

Une sorte d’homme d’affaires de ses voisins, consulté sur cette question, lui avait répondu qu’il devait tout bonnement se résigner à attendre, comme on le lui avait dit, à moins qu’il ne voulût risquer les chances d’un procès; mais qu’alors cela demanderait beaucoup d’argent et beaucoup de temps; que le mieux était donc encore de conclure avec l’ancien propriétaire un arrangement à l’amiable.

Au bout de six mois, le pauvre Jean, voyant sa bourse à peu près vide, fut forcé de se remettre à gâcher le plâtre comme par le-passé, car depuis le mariage de Pierre il n’avait guère travaillé qu’en amateur, plutôt pour surveiller «l’ouvrage» que pour être rémunéré, ses économies lui permettant de se reposer.

Mais aujourd’hui ce n’était plus-pour son plaisir qu’il fallait manier la truelle; c’était bel et bien pour gagner sa vie et celle de l’orpheline.

Aussi, bravement reprit-il son métier.

Pour ne pas laisser Jeanne seulette au logis pendant ses absences quotidiennes, il avait été convenu avec un voisin, M. Désiré, ancien avoué possesseur jadis d’une honnête aisance mais qu’une suite de malheurs imprévus avait si complètement ruiné qu’il avait dû, comme nous l’avons vu au commencement de ce récit, accepter une place d’employé subalterne dans un des bureaux du Mont-de-Piété, il avait été convenu que l’enfant resterait chez ce dernier tout le temps que le vieillard passerait au dehors.

Tranquille du ce côté, Jeanne songeait donc qu’à abattre le plus d’ouvrage possible afin d’augmenter sa paye, et souvent il prolongeait sa journée au delà de l’heure réglementaire.

Un jour qu’il avait travaillé jusqu’à la brune, –on était en été,–se voyant en retard et craignant qu’on ne fût inquiet de lui, il se mit à marcher si vite qu’il arriva à sa demeure tout en sueur et très altéré.

Sans prendre le temps de se reposer, il avala coup sur coup deux grands verres d’eau. L’effet de cette imprudence ne tarda pas à se faire sentir.

Après le repas, il fut saisi de frissons; de malaises, et dut se mettre au lit aussitôt.

Dans la nuit, une fièvre intense se déclara, et, le lendemain matin, le médecin constata une fluxion de poitrine.

Il fut cloué de nouveau trois mois sur son lit. Ne voulant pas aller à l’hôpital comme la première fois, il fallut, pour subvenir aux frais de la maladie, vendre au fur et à mesure tout ce qui était chez lui, linge et mobilier.

Quand il se retrouva sur pied, il vit avec effroi son appartement nu et son porte-manteau vide.

Alors, ne se souciant pas de donner plus longtemps le spectacle de son dénûment dans un quartier où on lui avait connu une existence aisée, il loua la petite chambre de l’impasse Rabot.

Là, sa misère ne fit qu’empirer. L’affaire de l’hôtel traînait en longueur, et rien jusqu’alors ne lui en laissait entrevoir l’issue.

Il essaya encore de travailler, mais ces secousses successives lui avaient, comme nous l’avons dit, ôté une partie de ses forces; on hésitait maintenant à l’employer, et il était quelquefois quinze jours ou trois semaines sans toucher un sou.

Enfin, après avoir vendu il vil prix ou engagé au mont-de-piété le peu qu’il possédait encore, il en était arrivé à un tel état de pénurie, que nous l’avons trouvé sur le point de mourir de faim, lui et sa petite-fille!...

Un an s’était écoulé depuis la mort de son fils.

Retournons maintenant dans la mansarde où nous les avons laissés au début de ce drame.

Leur faim est suffisamment apaisée.

Il ne reste plus sur la table que des miettes et le papier qui avait contenu la charcuterie, papier que Jeanne s’était chargée de rendre d’une netteté irréprochable.

Le poêle ronronne gaiement dans la chambre. et la petite s’en approche pour réchauffer plus vite ses membres encore transis.

A ce moment, le bruit d’un bouchon qui sort d’un goulot lui fait tourner la tête, et elle demeure saisie à la vue d’une demi-bouteille de vin à cachet rouge, que son aïeul lui montre d’un air triomphant.

–Comment! du vin, grand-père? exclama-t-elle la figure rayonnante, en frappant ses deux petites mains l’une contre l’autre pour mieux peindre sa joie.

–Oui, mon enfant, du vin; il n’y en a pas beaucoup, mais il est bon; je te le gardais pour ton dessert.

Et ayant versé dans le bol un quart du contenu de la bouteille, il y ajouta quelques morceaux de sucre qu’il fit dissoudre promptement.

Puis, lui tendant cette gourmandise:

–Tiens, fillette, bois-en une bonne gorgée, ça te remettra tout à fait l’estomac.

Pour expliquer l’allégresse de Jeanne, il faut dire que chez ses parents elle avait été habituée à prendre après chaque repas, à titre d’hygiène, un demi-doigt de vin sucré.

L’hygiène, peu lui importait, elle ne savait pas ce que c’était et ne s’en préoccupait guère; mais ce qu’elle savait bien, c’est que le vin sucré était délicieux et qu’elle l’aimait énormément.

Aussi longtemps que possible Jean lui avait servi cette petite gâterie, mais les jours mauvais étant venus, il avait, hélas! fallu l’en sevrer; et ce fut avec un gros serrement de cœur que le vieux vit, les premières fois, la petite attendre à la fin du repas son dessert accoutumé.

Mais il n’y avait pas moyen, du pain avant tout! Aussi, on juge du bonheur de Jeannette en voyant reparaître tout à coup son vin sucré.

Après les deux jours terribles qu’ils venaient de passer et la façon providentielle dont cet argent leur était venu, le vieux n’avait pu résister au plaisir de lui ménager cette surprise qu’il savait devoir lui être si agréable. Et certes il ne s’était pas trompé, car en deux lampées la petiote mit le bol à sec.

–Comme c’est bon! comme c’est bon! dit-elle en faisant claquer sa langue ainsi qu’un fin dégustateur et en jetant un coup d’œil de regret sur le vase vide qu’elle venait de poser sur la table. Oh! oui, c’est bien bon, et ça donne chaud tout de suite ici, ajouta-t-elle en portant sa menotte au creux de l’estomac.

«Mais toi, grand-père tu n’en bois pas un peu aussi?... bois en donc, dis?»

–Moi?... ma foi non, répondit le vieillard en rebouchant la bouteille, j’ai remarqué que le vin ne m’allait plus, me faisait même plutôt ma l; c’est pourquoi je préfère m’en passer, et si ça n’avait pas été entièrement pour toi, je n’en aurais pas acheté.

Oh! que si, le vin lui allait bien encore au pauvre vieux, et qu’il aurait eu du plaisir à s’en verser un plein verre! Mais il se serait fait scrupule de distraire une seule goutte de celui qu’il venait de rapporter; c’était pour la petite, qui en avait plus besoin que lui, et elle seule devait en profiter.

Et malgré l’insistance de Jeanne, il opposa toujours la raison qu’il lui avait donnée.

La mansarde prenait maintenant un tout autre aspect qu’une demi-heure auparavant.

Une douce chaleur l’emplissait peu à peu et chassait l’humidité au dehors; l’enfant avait retrouvé sa vivacité et son entrain, et le grand-père lui-même se sentait tout ragaillardi. Au silence lugubre qui avait régné toute la matinée succédait soudain le mouvement et la vie.

Qu’avait-il donc fallu pour opérer un pareil changement?

Oh! mon Dieu, bien peu de chose: quelques sous, tout simplement!

Hélas! oui, dans ce grand Paris où se gaspillent tous les jours des millions en fêtes, en plaisirs, souvent un pauvre diable meurt d’inanition faute de vingt centimes pour acheter une livre de pain!

Ce vieillard et cette enfant allaient succomber sous les tortures de la faim... Vingt ou trente sous avaient suffi pour les sauver!...

Deu existences pour un franc cinquante!

La petite Jeanne a raconté en détail à son grand-père la scène qui s’est, passée à la porte du bureau.

Du plus profond de son cœur, l’aïeul remercie celui qui les a si généreusement secourus.

–Il faudra, Jeanne, que tu m’aides à retrouver ce monsieur, car, vois-tu, ce n’est qu’un prêt qu’il nous a fait; et, foi de Jean Beson, je veux, en le comblant de bénédictions, lui rendre ses cinq francs dès que j’aurai touché l’argent de mon travail. Mais le reconnaîtras-tu si nous le rencontrons?

–Oh! oui, répondit l’espiègle avec un accent si convaincu qu’il frappa le vieillard.

–Tu es donc bien sûre de ton fait?

–Oui, oui, je suis bien sûre de le reconnaître parce que, pendant qu’il était dans le bureau avec moi, je l’ai regardé longtemps.

–Tu l’as regardé longtemps?... Et pourquoi donc, ma mignonne?

–Parce qu’il me plaisait beaucoup... Il était si beau! ajouta-t-elle avec une naïve admiration.

–Eh bien! Jeannette, il faudra que nous le retrouvions coûte que coûte.

–Oui, c’e est ça, grand-père, et nous réussirons, n’aie pas peur.

–Bien, bien, je compte sur toi.

«Mais à présent que me voilà réconforté, je veux aller immédiatemment trouver l’entrepreneur qui doit m’embaucher.

Il m’avait prié de l’informer du jour où je serais en état de me mettre à la besogne; j’espère qu’en me voyant ainsi tout gaillard, il n’hésitera pas à me donner du travail.»

Là-dessus, le vieillard, après avoir affirmé à Jeanne qu’il ne tarderait pas à revenir, sortit d’un pas presque léger.

–Je ne sais pourquoi, murmurait-il en descendant l’escalier, mais quelque chose me dit que tout ça va changer. Que va-t-il se passer., je l’ignore, mais certainement il y aura bientôt du neuf.

Et cet homme qui avait tant souffert voyait poindre au loin les premières lueurs d’une aurore nouvelle éclairant doucement une existence composée désormais de jours paisibles et consolants!

La Bigame

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