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CHAPITRE IV

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Mme de Moringes habitait, dans l’ancienne résidence royale, un petit hôtel coquet, de construction moderne, situé rue Galli, et qui était sa propriété. Une pelouse, de la largeur de la main, dans laquelle en été s’enchâssait une corbeille de myosotis comme une topaze sur une bague, séparait l’hôtel de la rue.

Derrière était le jardin, un vrai jardin cette fois, qui s’étendait au loin et au milieu duquel se dressait, sur un socle de marbre blanc, le pavillon aux dentelures bizarres, œuvre de Pierre Beson, une véritable petite merveille d’architecture orientale.

Tout cela indiquait une certaine fortune.

Mais si l’extérieur avait le caractère de notre époque, il en était tout autrement à l’intérieur.

De vieilles tapisseries, des meubles anciens, mille objets se rattachant aux siècles passés reportaient la pensée à des centaines d’années en arrière. On se serait cru au musée des arts rétrospectifs.

Du reste, celle qui vivait parmi toutes ces antiquailles se trouvait bien là dans son cadre. On eût dit qu’elle-même faisait partie de ces vestiges d’un autre âge.

Mme de Moringes était septuagénaire.

Veuve de M. le comte de Moringes, ancien chambellan de Charles X, il ne lui restait pour toute famille qu’un fils âgé de quarante ans, officier supérieur aux spahis, et sa nièce, Mlle de Breuilles, fille d’un frère, général de l’Empire, dont elle avait été l’aînée de beaucoup.

Éprouvée par bien des revers, qu’elle attribuait à la constitution de la nouvelle société, elle s’était isolée, gardant autour d’elle ses souvenirs d’antan et n’ayant que très peu de communications avec le dehors.

Une vieille femme de chambre, qu’elle supportait depuis un demi-siècle, et un ancien domestique de son mari la servaient seuls.

Son esprit se ressentait du milieu où elle végétait; il était resté stationnaire depuis1820.

A part la noblesse, qui devait reconquérir un jour son ancienne splendeur, le reste du monde pour elle n’existait pas. Elle niait le progrès et haïssait la bourgeoisie, cette caste bâtarde qui était venue en intruse s’interposer entre les nobles et le peuple.

Et elle s’était fâchée avec son frère le général, parce que celui-ci s’était mésallié en épousant la fille d’un banquier, lequel non seulement avait eu le tort d’être un bourgeois, mais encore celui de se ruiner sur la fin de sa vie.

Aussi n’éprouvait-elle qu’une médiocre affection pour sa nièce, issue d’une union qui l’avait fait rougir; et quand celle-ci devint orpheline, elle ne trouva rien de mieux, pour s’en débarrasser, que de l’interner à la Légion d’honneur, où elle la laissa douze ans sans trop s’occuper d’elle.

Cependant, étant son unique parente, il fallut qu’elle la reprît à sa sortie de cet établissement, mais ce ne fut pour ainsi dire que par commisération.

Mlle de Breuilles comprit sur-le-champ la situation qui lui était faite et les rapports qui devaient exister dorénavant entre elle et sa tante.

Trop fière pour laisser paraître le froissement qu’elle en ressentait, elle se résigna à subir sans plainte la vie nouvelle dans laquelle elle entrait.

Mais elle ne songea qu’à se soustraira au plus tôt à cette tutelle hùmiliante.

Elle chercha longtemps par quel moyen elle y parviendrait; ne se connaissant pas d’autre parente, sans relations, sauf quelques rares amies de la Légion d’honneur, lesquelles ne pouvaient guère lui être utiles en cette occasion, elle n’entrevit d’abord aucune issue.

Néanmoins, à force de chercher, une idée se fit jour peu à peu dans son cerveau; idée confuse encore et à peine formée, mais qui, ayant fini par prendre corps, lui fit un beau jour miroiter devant les yeux ce mot magique e: mariage!

–Oh! oui, c’est cela, se dit-elle, le mariage! Là seulement est le salut!

«Mariée, je deviens libre, indépendante, maîtresse entière de mes actions et de ma volonté; je ne subis plus les caprices et les manies d’une vieille femme que je n’aime pas et qui me le rend bien.

Je suismadame», je commande à mon tour, et on m’obéit; en un mot, je vis réellement au lieu de m’étioler comme je le fais ici.

«Puis, pour peu que mon mari ait de l’amour pour moi et que j’en aie pour lui, alors je suis tout à fait heureuse.

J’ai dix-neuf ans, on m’a dit que j’étais jolie, je possède environ quarante à cinquante mille francs de dot, ce serait bien étonnant que je ne trouvasse pas un parti convenable.

Quant à ma tante, je n’ose croire qu’elle mettrait obstacle à ce projet.

Attendons donc l’occasion, et, surtout, ne la manquons pas.»

L’occasion attendue vint d’elle-même, le jour où Pierre Beson fut chargé de la construction du petit atelier qui lui était destiné, sa tante trouvant que tout son attirail de peinture encombrait et salissait son appartement.

Disons ici, entre parenthèses, que c’était sur sa dot que devait être payé ledit atelier, Mme de Moringes lui ayant démontré logiquement que, puisqu’il était pour elle, c’était à elle d’en supporter la dépense.

Angèle n’avait fait aucune objection à cela, trop heureuse d’avoir un retiro où elle pourrait s’isoler quand elle le voudrait.

Quoique son cœur ne parlât pas bien haut pour le jeune architecte, lorsque celui-ci lui avoua son amour, elle en éprouva une grande joie, et, sans chercher à définir si cette joie était causée par la perspective de devenir sa femme ou par celle d’être soustraite à la tutelle de Mme de Moringes, elle lui en fut profondément reconnaissante.

Toutefois, un nuage assombrit quelque peu l’horizon brillant qu’elle entrevoyait.

Ayant appris que le père de celui qui allait devenir son époux était maçon, elle eut un moment d’hésitation; sa fierté se révolta, et elle fut sur le point de tout rompre. Une de Breuilles devenir la belle-fille d’un gâcheur de plâtre!

Mais lorsqu’elle eut mis en balance la vie qu’elle avait devant elle chez sa tante et celle qu’allait lui procurer Pierre Beson, son orgueil céda et elle n’hésita plus.

–Car, pensait-elle, si son père n’est qu’un maçon, lui est un architecte distingué, il paraît même qu’il est célèbre.

«Or, ce n’est pas avec le père que je me marie. Une fois sa femme, je saurai bien agir de telle sorte qu’il me mène dans un monde autre que le sien. M. le marquis de Breuilles, mon père, avait de hautes relations, nous les renouerons facilement, et je ne tarderai pas, j’en suis sûre, à détacher tout à fait mon mari d’une promiscuité roturière à laquelle je ne saurais m’astreindre.

Et enfin, raison majeure, je n’ai pas le choix: cloîtrée ici comme je le suis, ne voyant âme qui vive, et ma tante restant complètement indifférente à mon sort, je pourrais attendre encore longtemps avant de découvrir un parti sortable.

Donc, j’épouse M. Pierre Beson.»

Comme on le voit, ce n’était pas trop mal raisonné pour une petite fille en rupture de pension.

Dans son impatience du mariage, elle trouvait même que son futur était bien long à demander ou à faire demander sa main à Mme de Moringes, à laquelle elle avait laissé pressentir cette démarche, ce dont celle-ci n’avait paru aucunement étonnée.

Qu’attendait-il donc, puisqu’elle lui en avait donné l’autorisation?

Un matin, pendant qu’elle était occupée à arroser les fleurs de la pelouse, elle vit s’arrêter devant la grille un homme d’un certain âge qui, le chapeau à la main, lui demanda s’il ne pouvait pas parler à Mme de Moringes.

Avant de répondre, Mlle de Breuilles chercha à deviner quel pouvait être cet inconnu qui, malgré un extérieur annonçant l’aisance, appartenait certainement à une classe inférieure de la société, à en juger par ses allures d’ouvrier endimanché.

–Probablement un commis qui vient réclamer une facture, pensa-t-elle.

Et d’un ton légèrement hautain, elle répondit:

–Je ne sais si Mme la comtesse de Moringes est visible pour le moment, mais je vais vous envoyer un domestique qui vous renseignera à ce sujet.

Puis, ayant continué d’arroser ses fleurs encore quelques instants, elle rentra dans l’hôtel.

Jean Beson, car c’était lui, fut un peu interloqué de cette réception, affligé même, car un secret instinct lui disait que la jeune fille entrevue était celle que la destinée allait lui donner pour bru, et cette entrée en matière paralysait singulièrement la sympathie qu’il se sentait disposé à avoir pour elle.

Il se laissait aller à songer, quand un vieux domestique s’avança vers lui, et, à travers les barreaux de la grille, lui demanda ce qu’il désirait.

–Je désire parler à Mme de Moringes; j’ai une communication importante à lui faire.

–Votre nom, s’il vous plaît?

–Jean Beson, père de Pierre Beson, l’architecte du petit pavillon bâti dernièrement dans le jardin de cet hôtel.

–Ah! bon, vous venez pour régler? Eh bien! donnez-moi le mémoire, je vais l’aller présenter à Mme la comtesse pendant que vous attendrez dans l’antichambre.

Et le domestique daigna enfin ouvrir la grille.

–Je n’ai aucun mémoire à vous remettre, et je ne viens pas pour recevoir de l’argent; j’ai tout simplement à entretenir Mme de Moringes d’une affaire très sérieuse. Allez donc la prévenir sans plus tarder que M. Jean Beson attend qu’elle veuille bien le recevoir, ajouta Jean d’un ton de voix très ferme.

–Ah! monsieur, mille pardons, dit Mlle de Breuilles qui, en revenant au jardin, avait entendu le nom du visiteur. Je ne savais pas qui vous étiez; permettez-moi donc de réparer l’incivilité que j’ai commise envers vous, en vous présentant moi-même à ma tante, Mme la comtesse de Moringes.

Et par quelques gracieusetés elle chercha à atténuer son impolitesse première; puis elle conduisit Jean au salon où se tenait Mme de Moringes, ne doutant pas un seul instant que le jeune architecte n’eût envoyé son père pour demander sa main. Elle ne se trompait pas, comme nous le savons.

–Madame, dit Angèle à sa tante, je prends la liberté de vous présenter M. Beson père, dont j’ai eu l’honneur de vous parler plusieurs fois déjà.

Jean esquissa un salut cérémonieux et attendit, debout, que quelques mots de bienvenue l’invitassent à parler.

Mais Mme de Moringes qui, à l’entrée d’Angèle et du visiteur, avait fait un léger sursaut, comme si on l’eût brusquement tirée d’un rêve, se contenta pour toute réponse de regarder le vieillard, puis sa nièce, avec des yeux interrogatifs.

Angèle, habituée aux absences de sa tante, pria alors Jean, à mi-voix, d’expliquer sans préambule le motif de sa démarche.

–Madame!. commença-t-il un peu embarrassé.

–Madame la comtesse, lui souffla Angèle.

–Madame la comtesse, reprit-il, je viens, au nom de mon fils Pierre Beson, vous demander la main de Mlle Angèle de Breuilles, votre nièce.

–Madame, ajouta Angèle, j’ai l’honneur de vous rappeler que monsieur est le père du jeune –architecte qui a si artistement construit mon atelier.

–Ah! oui, oui, j’y suis, dit enfin Mme de Moringes à qui la mémoire revenait. Je me souviens en effet que tu m’as parlé de ce jeune homme comme d’un parti très sortable, quoiqu’il ne soit pas de ton rang, mais peu importe, nous passerons par là-dessus.

«Eh bien! qu’en penses-tu, toi, Angèle; ce mariage te convient-il? Si oui, j’accorde tout ce qu’on veut, moi.»

–Oui, ma tante, répondit Angèle, j’aurai le plus grand bonheur à devenir la femme de M. Pierre Beson.

–Parfait! alors c’est chose convenue, mademoiselle ma nièce, et puisqu’il n’y a pas d’obstacles, nous allons diligenter ce mariage autant que possible.

Puis, s’adressant à Jean n:

–Vous entendez, monsieur, votre fils peut venir prendre Mlle de Breuilles quand il lui plaira. Je vais vous faire remettre incessamment les comptes de tutelle par mon notaire, avec lequel vous vous arrangerez pour le contrat.

Et comme Jean croyait devoir balbutier quelques mots au sujet de l’honneur qu’il ressentait de se voir allier à une famille d’un si haut rang:

–Nous aussi, monsieur, nous aussi sommes très flattées de cette union, croyez-le, interrompit la douairière en jetant cette phrase comme par politesse.

Et, d’un geste qu’elle daigna rendre gracieux, elle fit comprendre que l’entretien était terminé.

Le pauvre Jean sortit du salon, tout contrit.

Il se sentait humilié dans sa fierté d’homme.

Mlle de Breuilles l’accompagna jusqu’à la grille en redoublant d’amabilité et de prévenances.

–Ah! monsieur, dit-elle au moment de le quitter, que je suis heureuse de devenir l’épouse de M. votre e fils!

«Sans parents, sans affection, car je ne compte pas Mme de Moringes qui n’a pour moi qu’une tendresse relative, la vie m’apparaissait sous un bien triste aspect!...

Aussi ne puis-je que bénir le jour où la Providence a amené ici M. Pierre Beson, jour où mon cœur a battu pour la première fois à l’appel d’un autre, jour qui devait me faire retrouver une nouvelle famille.

A! je suis bien heureuse!

Tenez, monsieur Beson, voulez-vous me permettre de vous embrasser comme un second père?»

Et sans attendre la réponse de Jean, elle baisa le vieillard sur les deux joues.

Il se laissa faire, mais sans paraître le moins du monde attendri.

Quand il se retrouva seul, le brave homme eut un serrement de cœur.

Une mauvaise impression lui restait de sa visite, et il en venait presque à regretter d’avoir réussi dans son ambassade.

L’accueil hautain des deux femmes,–car, malgré le baiser de Mlle de Breuilles qui avait ponctué sa phrase ampoulée, il se rappelait l’air dédaigneux de celle-ci avant qu’il se nommâ t,–la façon singulière employée par la tante pour accorder la main de sa nièce saris plus ample informé, les paroles dont elle s’était servie; tout cela ne lui présageait rien de bon.

Il voyait trop clairement que la tante et la nièce avaient hâte de se séparer, et que l’une et l’autre acceptaient le premier parti qui se présentait, ne cherchant par là qu’une délivrance mutuelle au lieu d’y chercher l’union des deux cœurs.

Et il réfléchissait.

Aurait-il donc eu tort de conseiller à son fils un mariage au-dessus de sa condition?

Un instant, il fut sur le point de le croire.

–Non cependant, finit-il par se dire, Pierre n’est que le fils d’un maçon, il est vrai, mais ses hautes capacités, son grand talent en font un homme supérieur, et il n’est pas bâti pour rester parmi nous, les ouvriers!

«Un mariage comme celui-là lui est donc nécessaire.

Toutefois, j’aurais préféré que son choix tombât sur une autre personne que Mlle Angèle de Brouilles.

Enfin! ajouta-t-il avec un soupir, si pourtant il l’aime, il n’y a pas à tortiller, il faut laisser marcher les événements. Qui vivra verra!

Après tout, peut-être me trompè-je dans mes prévisions. Rien ne prouve, en effet. que ça ne fera pas un excellent ménage.

Allons, voyons, n’ayons pas une triste figure pour annoncer la bonne nouvelle au petit, sacrédié! Il croirait que la chose me déplaît, et il serait capable de tout rompre.»

Mais malgré lui, un nouveau soupir encore plus profond que le premier vint clore ses réflexions.

Il n’est pas besoin de décrire les transports de joie folle auxquels se livra Pierre, lorsque le vieux, cachant ses appréhensions, lui fit part de l’heureuse issue de sa démarche.

Il était littéralement ivre de bonheur et, sautant comme un enfant au cou de son père, il déposa deux baisers sonores sur les joues sillonnées et parcheminées du maître maçon.

La Bigame

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