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CHAPITRE II

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A cette époque existait, non loin de la rue Servan, une petite ruelle étroite, puante, au ruisseau dans le milieu, et où le jour n’arrivait que difficilement jusqu’au sol par suite de la hauteur des maisons dont les faîtes, vus d’en bas, semblaient se toucher.

Cette ruelle, fondue depuis dans une grande artère, se nommait «passage Rabot».

Elle était habitée en grande partie par des ménages d’ouvriers, maçons ou terrassiers, qui trouvaient là, moyennant un prix modique, un local suffisant pour leur famille, généralement nombreuse. Mais l’air manquant dans les régions inférieures, il n’y avait guère que les logements situés à une certaine élévation qui fussent loués, ce qui donnait un singulier aspect à ce coin de Paris.

Les premier, deuxième, troisième étages, dénués d’habitants, aux croisées sans rideaux, aux carreaux étoilés ou cassés, paraissaient appartenir à une ville abandonnée, alors que des étages supérieurs s’échappait un bourdonnement continu indiquant la vie et l’activité.

A ces hauteurs, les fenêtres, munies de rideaux, avaient leurs carreaux intacts et clairs; sur les margelles se voyaient, attachés par du fil de fer et plus souvent par de la ficelle, quelques pots ou vases en terre, destinés à contenir des plantes dans la belle saison, et ayant toujours pour compagnie quantité de nippes étendues à sécher en travers de l’encadrement.

Quoique les croisées fussent presque constamment ouvertes, même l’hiver si Je temps était au sec,–car il fallait de l’air, beaucoup d’air à la marmaille qui grouillait dans ces réduits,–ce matin-là, en raison du brouillard épais et nauséabond qui couvrait la Capitale, tout était hermétiquement clos.

Dans une petite chambre, au sixième étage d’une de ces maisons, un vieillard était étendu tout habillé sur un mauvais lit de sangle, les yeux grands ouverts et fixes regardant le plafond, et les membres secoués par un frisson incessant.

La mansarde n’avait pour tout mobilier qu’une table de bois blanc de dimension exiguë, deux chaises à la paille échevelée, un poêle en fonte et le lit. Les murs nus laissaient pendre en maints endroits des langues de papier décollées par l’humidité qui suintait jusqu’à terre en gouttes jaunâtres et visqueuses.

Le froid devait avoir engourdi le vieillard, car il gisait sur le grabat dans un état de complète immobilité; sans le frisson qui l’agitait et le soulèvement irrégulier de sa poitrine, on l’eût cru inanimé.

Aux alentours, dans les logements, dans les couloirs, sur les paliers, la vie s’annonçait par des allées et venues continuelles, par des éclats de voix, des rires, des appels; mais là, dans cette chambre, régnait un silence de mort.

Tout à coup, le bruit d’un objet lourd qu’on heurtait contre les marches résonna dans l’escalier.

Aussitôt les yeux du vieillard perdirent de leur fixité, la vie sembla rentrer en lui et l’attention se peignit sur ses traits. Le bruit devenait de plus en plus distinct. Vivement il se dressa sur son coude et avança la tète, écoutant...,

–Quelques instants s’écoulèrent pendant lesquels on aurait pu entendre les battements précipités de son cœur...

Puis, brusquement, retombant en arrière dans sa position première, il poussa une exclamation de désespoir.

–O! mon Dieu, mon Dieu! fit-il, c’est Jeanne qui rapporte ses affaires... on n’a rien voulu lui prêter... qu’allons-nous devenir?...

Et deux grosses larmes descendirent lentement sur ses joues décharnées, en même temps qu’une expression de douleur poignante envahissait son visage.

Tout était donc fini, bien fini!... Il avait compté sur l’argent que devait apporter Jeanne pour pouvoir manger deux ou trois jours. Il était maçon et, quoique bien faible, car il relevait à peine de maladie, on lui avait promis un peu de travail au commencement de la semaine suivante; mais il fallait aller jusque-là, et on n’était qu’au vendredi!... Depuis l’avant-veille au soir, ni lui ni sa petite-fille n’avaient pris la moindre nourriture!...

O h! oui, tout était bien fini!... Ils allaient mourir de faim!...

Plus le bruit se rapprochait, plus le visage de l’aïeul s’assombrissait.

Enfin Jeanne ouvrit la porte et, tout essoufflée, entra, traînant sa charge.

Son grand-père tourna les yeux vers elle:

–On n’a donc pas pu te prêter quelque chose? lui demanda-t-il d’un ton navré.

–Non, grand-père. On a dit qu’il n’y avait pas assez.

–Pas assez!... et nous n’avons plus rien!... murmura-t-il en jetant un regard douloureux autour de la chambre vide.

–Mais, continua Jeanne, voici ce qu’un monsieur m’a donné malgré moi, dans la rue, sans vouloir de mon paquet comme gage.

Et elle montra la pièce de cinq francs.

–Quoi?... que dis-tu?... reprit le vieillard qui, malgré sa faiblesse, s’était, à la vue de l’argent, soulevé d’un bond. Cinq francs qu’un monsieur t’a donnés dans la rue?

Et son regard interrogea l’enfant embarrassée et confuse.

–Oui, grand-père, un monsieur qui avait l’air bien bon; mais je n’en voulais pas, parce qu’il refusait de prendre mon paquet; alors il me les a mis dans mon tablier, puis il s’est sauvé.

–C’est bien vrai, n’est-ce pas, Jeanne, ce que tu me dis l à?... bien vrai, bien vrai?

Et lentement, fixant la petite fille entre les deux yeux:

–Tu n’as pas tendu la main au moins? car si cela était!...

–Oh! grand-père, grand-père, peux-tu croire!...

Et elle sauta au cou de l’aïeul en pleurant.

–Bien, bien, ma chérie, ne pleure pas; je sais que tu n’aurais pas voulu me causer de la peine; c’est si laid de mendier, vois-tu!

Et il essuya doucement les yeux de l’enfant, ajoutant:

–Acceptons donc ce que la Providence nous envoie par la main de cet inconnu dont la générosité nous sauve la vie!

Puis, comprenant que sa Jeannette devait être fatiguée par la course qu’elle venait de faire, il entendit descendre lui-même chercher quelques provisions.

Un moment après, il revenait muni de pain, d’un peu de charcuterie, de plusieurs morceaux de bois et de charbon de terre, ainsi que d’un objet de forme cylindrique dissimulé dans l’une de ses poches.

Sans perdre un instant, nos deux affamés se mirent à entamer les victuailles, et il fallait voir comme ils s’en acquittaient!

Jeanne surtout mangeait avec une telle avidité, que l’aïeul, de crainte qu’elle ne s’étouffât, fut forcé à maintes reprises d’arrêter sa main mignonne qui portait à sa bouche encore pleine un morceau qui n’y aurait pu entrer qu’avec difficulté et au détriment des voies respiratoires.

Un bol d’eau claire réquisitionné chez une voisine aidait à la déglutition.

Pendant que les mâchoires de ces déshérités travaillent sans relâche, que leurs estomacs délabrés se restaurent et reprennent leurs fonctions habituelles qu’ils ne remplissaient plus depuis vingt-quatre heures, disons par quelle suite de vicissitudes imprévues ce sexagénaire se trouvait avec sa petite-fille dans cette horrible situation.

La Bigame

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