Читать книгу Au bord du lac - Souvestre Émile - Страница 10

§ 7.

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Deux heures après, Norva était étendue mourante sur la natte qui lui servait de couche, ses deux mains posées dans celles de son fils, dont elle murmurait encore le nom. Morgan, la tête basse et les bras croisés, se tenait debout au chevet.

La pauvre mère, qui sentait près d'elle Arvins, retenait ses plaintes, et tâchait, par instants, de lui sourire; mais ce sourire même glaçait le cœur. Son front avait été enveloppé d'une toile de lin, à travers laquelle suintait un sang noirci; ses paupières, gonflées par la douleur, ne pouvaient plus s'ouvrir, et son haleine sortait avec un sifflement funeste de ses lèvres déjà blanchies.

Arvins, abîmé dans son désespoir, retenait ses sanglots de peur d'ajouter aux souffrances de sa mère; mais les quelques heures qui venaient de s'écouler avaient sillonné son visage de traces aussi profondes qu'une longue maladie. Penché sur la couche de Norva, il observait d'un œil épouvanté chacun de ses mouvements, interrogeait sa pâleur, écoutait sa respiration haletante.

Tout à coup elle étendit les bras, et fit un effort pour se redresser.

—Arvins! balbutia-t-elle; où es-tu?... Tes mains, je ne sens plus tes mains. Oh! serre-moi sur ton cœur... Ne me quitte pas, Arvins... Pauvre enfant...

Sa tête retomba sur l'épaule de son fils. Il y eut un instant de terrible silence... Arvins éperdu n'osait regarder.

—Ma mère! répéta-t-il enfin d'une voix étranglée.

—Elle a rejoint Menru, murmura Morgan.

L'enfant releva brusquement la tête de Norva; mais cette tête retomba en arrière insensible et inanimée. Il était orphelin!

Nous n'essayerons point de dire son désespoir. Dans le premier instant, il effraya Morgan lui-même. L'enfant avait éprouvé depuis la veille tant d'émotions que ses forces étaient épuisées. Un fièvre brûlante le dévorait; il sentit sa tête s'égarer, et pendant quelques heures sa douleur fut du délire. Enfin l'épuisement ramena un peu de calme dans son âme.

Morgan, qui ne l'avait point quitté, en profita pour le rappeler au courage.

—Ils ont tué ta mère, dit-il à voix basse; la pleurer est inutile; songeons plutôt à la venger.

—La venger! répéta Arvins. Ah! que faut-il faire?

—Retrouver des forces pour me suivre quand le moment sera venu.

Le jeune Celte se leva d'un bond.

—Allons! dit-il.

—Il faut encore attendre, répondit le vieillard; mais ne crains rien: pour être retardée, la vengeance n'en sera pas moins terrible.

Il développa alors à Arvins le plan des esclaves. C'était à Rome même que la révolte devait éclater. L'ordre était de livrer la ville aux flammes, et d'égorger tout ce que le feu aurait épargné.

L'enfant écouta avec une joie farouche ces détails qui promettaient une pleine satisfaction à sa haine. Élevé dans les idées de sa nation, il croyait fermement que ces sanglants sacrifices devaient réjouir les mânes de Norva. Faire couler le sang romain, c'était donc prouver sa tendresse à la morte; il ne voyait pas dans la vengeance une joie personnelle, mais un devoir et une sainte expiation!

La pensée de satisfaire ainsi aux mânes de sa mère lui rendit des forces; il refoula en lui sa douleur et attendit avec impatience le signal.

Il fut enfin donné; les esclaves s'élancèrent sur le Forum des torches à la main; mais les consuls avaient été avertis; des mesures étaient prises, et les révoltés se virent presque aussitôt entourés.

La plupart jetèrent leurs armes et cherchèrent leur salut dans la fuite. Quelques Germains et quelques Celtes, parmi lesquels se trouvaient Morgan et Arvins, essayèrent seuls de résister. Écrasés par le nombre, tous tombèrent frappés par devant, et entourés de cadavres ennemis.

Morgan et Arvins furent relevés mourants de cette sanglante couche. Comme on espérait obtenir d'eux quelque utile révélation, ils furent déposés dans des cachots séparés, où l'on pansa leurs blessures.

Tous deux revinrent à la vie; mais l'interrogatoire ni les tortures ne leur firent trahir leurs complices. Les bourreaux durent s'avouer vaincus, et les deux Armoricains furent jetés dans la prison commune où l'on déposait les victimes destinées aux bêtes.

Lorsqu'Arvins et Morgan se revirent, ils se tendirent la main sans se parler, et s'assirent l'un près de l'autre. Tous deux avaient été trompés dans leur dernier espoir, et ils allaient mourir vaincus! Il y eut un assez long silence.

—Ma mère ne sera pas vengée! dit enfin Arvins d'un air sombre.

—Nos dieux ne l'ont pas voulu, répondit Morgan.

—Qu'est-ce donc que tes dieux? répliqua amèrement le fils de Norva. Ils ne peuvent ni nous défendre au foyer, ni nous protéger dans l'esclavage; pourquoi les adorons-nous s'ils manquent de puissance? et s'ils en ont, pourquoi nous abandonnent-ils? Les dieux de Rome sont les seuls vrais; car ils sont les seuls qui conservent les libertés.

—Invoquons-les alors, dit Morgan dédaigneusement. Crois-tu qu'ils entendent la voix d'un esclave? Ils n'accordent leurs faveurs qu'aux maîtres; pour nous, qu'ils livrent aux Romains, ce ne sont pas des dieux, mais des ennemis.

—Ainsi, reprit le jeune Celte, le monde entier n'existera désormais que pour être la bête de somme d'une seule ville. Oh! pourquoi naître alors? Pourquoi ne pas égorger par pitié l'enfant qui ouvre ses yeux à la lumière du jour? Quel mauvais génie a donc fait la terre, si elle doit être pour jamais abandonnée à l'injustice et à la servitude?

—Le règne de la paix et de la liberté approche, dit une voix douce.

—Arvins, étonné, releva la tête; c'était Nafel.

—Vous ici! s'écria-t-il... Avez-vous donc aussi conspiré contre les oppresseurs?...

—Non, répondit l'Arménien; ils m'ont condamné aux bêtes uniquement parce que j'adore un dieu tel que vous le désiriez tout à l'heure.

—Que voulez-vous dire?

—Je suis chrétien.

Arvins regarda Nafel avec curiosité. Il avait plusieurs fois entendu prononcer ce nom de chrétien avec mépris: c'était, disait-on, la religion des criminels et des misérables; une fable venue de Judée qui avait séduit les derniers du peuple, comme tout ce qui est nouveau.

—Si ton dieu est bon, dit le fils de Norva, il est donc sans puissance, puisqu'il vous abandonne à vos ennemis?

—Mon dieu m'aime, répondit Nafel; il veut se servir de moi pour soutenir sa loi. Chaque fidèle qui meurt féconde de son sang la croyance nouvelle. À force de voir tomber des martyrs en les entendant crier: Je suis chrétien! on se demandera ce que signifie ce mot qui apprend aux hommes à mourir sans regret et en pardonnant à leurs bourreaux.

—Et que veut-il dire? demanda Arvins.

—Il veut dire que l'on croit au seul vrai Dieu, à celui qui a fait la terre pour les hommes, et les hommes pour qu'ils vivent comme des frères. Toutes les fausses divinités qui se partagent maintenant l'adoration, tomberont bientôt; car elles ne sont que les symboles des passions humaines; il ne restera que le Dieu qui est à tous comme le soleil.

—Et qu'ordonne sa loi? demanda Arvins.

—La liberté et la fraternité entre les hommes; le bonheur de tous et le dévouement de chacun. Les plus saints, à ses yeux, ne sont pas les heureux, mais ceux qui souffrent. Elle vient pour détruire la violence et briser les fers, non par la révolte, mais par la persuasion. Un jour arrivera, et il n'est pas loin peut-être, où l'égalité des hommes sera proclamée; car le christianisme, ce n'est pas seulement une croyance, c'est la loi humaine, l'esprit de l'avenir; c'est une nouvelle ère annoncée au monde.

—Et nous ne la verrons pas, dit le fils de Norva.

—Qu'importe? la terre n'est qu'un lieu de passage. Même réformée par la loi du Christ, elle sera seulement l'ombre d'un monde meilleur où chacun sera récompensé selon ses œuvres.

—Et qui nous ouvre ce monde? demanda Arvins.

—La mort! répondit Nafel.

Arvins garda un instant le silence. Les paroles de l'Arménien l'avaient profondément ému. Il apercevait des éclairs d'une lumière inattendue et entrevoyait mille horizons nouveaux. Jamais idée si grande, si belle, si consolante, n'avait été offerte à son esprit. Il comparait cette religion, fondée sur l'équité et l'amour, aux barbares enseignements de Morgan, et l'impuissance de ses dieux qui le laissaient sans consolations dans son abîme, à la générosité de celui des chrétiens, qui, pour le dédommager de la vie, lui montrait au delà du tombeau une existence éternelle où le règne de l'équité commençait.

—Ainsi, reprit-il après une longue réflexion, ta croyance, Nafel, établit ici-bas une loi de justice et de vérité, et comme toute œuvre humaine est imparfaite, elle promet une autre vie où les iniquités seront réparées, les coupables punis, et les affligés consolés. Là, se trouvera dans toute sa perfection ce que la loi du Christ ne peut établir qu'imparfaitement parmi les hommes, et l'existence du ciel continuera et redressera l'existence de la terre.

—Oui, dit l'Arménien, et c'est à nous autres qui avons connu la vérité de la confesser en face de tous, et d'annoncer, en tombant dans le cirque, cette bonne nouvelle au genre humain.

—Nafel! s'écria Arvins en se levant, je veux mourir chrétien!

Au bord du lac

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