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§ 4.

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Table des matières

Un soir qu'Arvins était assis sur le seuil des remises, le visage dans ses mains et les coudes appuyés sur ses genoux, il entendit de grands cris de joie. Un Germain, dont il avait souvent remarqué la diligence et la sobriété, sortait du logement des esclaves la tête rasée, et entouré de ses compagnons, qui le félicitaient. Tous se dirigeaient vers l'habitation principale.

—Qu'y a-t-il donc? demanda Arvins étonné.

—C'est le Germain que l'on va affranchir, répondit l'interprète.

—Que dites-vous? s'écria le jeune Celte; un esclave peut-il jamais recouvrer la liberté?

—Lorsqu'il la paye.

—Et comment se procurer assez d'argent pour cela?

—En imitant ce barbare, qui, depuis trois années, ne fait qu'un repas sur deux, afin de vendre la moitié de son diarium, travaille la nuit et économise les moindres profits. Il a réussi, en mettant denier sur denier, à ramasser un pécule de six mille sesterces, avec lequel il a payé son affranchissement.

Pendant que l'interprète donnait ces explications, au jeune Celte, le Germain était entré dans le triclinium, où Corvinus se trouvait à table avec le préteur. Les autres esclaves s'arrêtèrent sur le seuil. Arvins se mêla à eux pour voir ce qui allait se passer.

Le Germain s'approcha d'abord du maître qui lui mit la main sur la tête, et dit:

—Je veux que cet homme soit libre et jouisse des droits de cité romaine.

Alors un licteur placé derrière le préteur toucha trois fois l'esclave de son faisceau; Corvinus le saisit par le bras, le fit tourner sur lui-même, et lui appliquant un léger soufflet:

—Va, dit-il en riant, et rappelle-toi que, lorsque je serai ruiné, tu me devras une pension alimentaire comme mon affranchi.

Le Germain se retira, et les esclaves, pour prendre congé de lui, le menèrent boire à la taverne voisine.

Ce que venait de voir Arvins donna un autre cours à ses idées, et fit naître en lui un nouvel espoir. Jusqu'alors, il n'avait songé qu'à retrouver sa mère, et qu'à se consoler avec elle des douleurs de l'esclavage; mais il se sentit enivré à la pensée qu'ils pouvaient encore tous deux recouvrer la liberté.

Avec cette résolution ferme et prompte qui caractérisait tout ceux de sa race, le jeune Celte se décida aussitôt à préparer leur commune délivrance, en même temps qu'il continuerait ses recherches. Il n'ignorait pas combien le but auquel il tendait serait long et difficile à atteindre; mais dès ses premières années il avait appris la patience, et il savait qu'il suffit d'attendre pour que le gland devienne un chêne.

Il commença par retrancher de sa nourriture tout ce qui ne lui était pas rigoureusement nécessaire; il se chargea, pour quelques sesterces, d'une partie du travail des autres esclaves employés comme lui aux équipages, et passa les nuits à fabriquer des armes de son pays, qu'il vendait ensuite aux curieux.

Quant aux perquisitions qui devaient lui faire retrouver Norva, il ne put les continuer longtemps; car l'été était venu, et son maître partit avec toute sa maison pour la villa qu'il possédait à Baies.

Le voyage se fit en litière, à petites journées. Claudius Corvinus, qui redoutait avec raison les hôtelleries, avait fait bâtir sur la route plusieurs diversoriola, ou lieux de repos. Ils arrivèrent enfin à sa villa, digne en tous points du palais qu'il occupait sur le mont Cœlius.

Arvins, qui avait quitté Rome avec chagrin, se demanda bientôt s'il ne devait point s'en réjouir. Forcé de vivre plus simplement, le maître exigeait moins de service de ses esclaves, et leur laissait plus de temps. Outre les moyens de gain qu'il avait déjà, l'enfant put donc louer quelques heures de sa journée à un jardinier voisin.

Son pécule grossissait ainsi lentement; mais il grossissait. Chaque soir il regardait les deniers, les quadrans, les as et les sesterces ramassés avec tant de peine; il les comptait, les faisait sonner l'un contre l'autre: le bruit de cet argent le réjouissait comme un avare; à chaque pièce tombant dans le vase d'argile qui renfermait son trésor, il lui semblait entendre se briser un des anneaux de la chaîne qui retenait sa mère et lui en captivité.

Les habitudes laborieuses d'Arvins ne lui laissaient le temps de se livrer ni aux causeries, ni aux débauches de ses compagnons de captivité; aussi, quoique vivant au milieu d'eux, leur resta-t-il étranger.

Un seul s'était rapproché de lui et semblait s'intéresser à ses efforts. C'était un Arménien à la figure douce et grave, que les autres esclaves tournaient en railleries à cause de sa résignation. Nafel était chargé de la copie des manuscrits dont Corvinus enrichissait sa bibliothèque. Son instruction était profonde et variée, bien qu'à voir sa modestie timide, on l'eût pris pour le plus simple des hommes. Il pouvait réciter, sans s'arrêter une seule fois, les plus beaux passages des philosophes, des orateurs et des poëtes de la Grèce; mais il préférait à tous, les écrits de quelques juifs inconnus, qu'il avait copiés pour son usage, et qu'on lui voyait relire sans cesse.

La fière patience d'Arvins et son activité persistante l'avaient frappé; il chercha à gagner la confiance du jeune Armoricain. Celui-ci repoussa d'abord les avances du vieillard; mais Nafel ne se rebuta point, et Arvins finit par se laisser gagner à son affectueuse douceur.

Il lui avoua ses espérances; l'Arménien sourit tristement.

—Tu crois donc que je ne pourrai arriver à racheter ma liberté et celle de ma mère? lui dit l'enfant avec inquiétude.

—Je ne crois point cela; mais que feras-tu de cette liberté? N'espère pas retourner en Armorique; ton ancien maître ne te le permettra point. Il faudra que tu vives sous son patronage, que tu le soutiennes, s'il tombe dans la pauvreté. La loi le fait ton héritier, au moins pour moitié de ce que tu possèderas; et s'il a sujet de se plaindre de toi, il peut t'exiler à vingt milles de Rome, sur les côtes de la Campanie. Voilà la liberté des affranchis; ce sont toujours des esclaves dont on a allongé les chaînes.

—N'importe, dit Arvins, je serai du moins près de ma mère; nous parlerons ensemble de nos grèves, de nos forêts, et j'attendrai de meilleurs jours en aiguisant mes armes.

—C'est-à-dire que tu vivras avec la vengeance pour espoir.

—Et les dieux de l'Armorique ne trahiront point ma confiance, dit Arvins d'une voix sourde. Nos druides l'ont dit: Un jour viendra où chaque orphelin pourra abreuver de sang ennemi la tombe de son père. Je connais la place où repose le mien, Nafel; je la rendrai plus rouge que la pourpre dont s'habillent nos vainqueurs.

La main droite du jeune Celte s'était étendue comme si elle eût tenu une épée; Nafel allait répondre; mais il s'arrêta tout à coup.

—Il n'est point encore temps, murmura-t-il; tant que tu espèreras en ta propre force, enfant, tu ne pourras comprendre la vérité.

Et s'enveloppant en son manteau de laine, il s'éloigna la tête basse et les mains jointes.

Au bord du lac

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