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§ 5.

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Table des matières

Cependant Arvins n'avait point tardé à se faire remarquer par son exactitude à exécuter tout ce qui lui était ordonné. La zèle que d'autres faisaient voir par crainte, il le montrait, lui, par fierté. Sentant l'impossibilité de la résistance, il y avait renoncé dès le premier instant, et s'était décidé à aller au delà de tout ce qui serait exigé de lui. Il évitait ainsi les réprimandes ou les châtiments qui lui eussent plus cruellement rappelé sa servitude, et son obéissance même avait l'air d'une libre soumission.

Cette bonne volonté lui valut la faveur de l'intendant, et le conducteur des Rhedæ étant mort, Arvins fut choisi pour le remplacer.

Cependant Corvinus n'avait quitté Rome que par ennui: lassé de fêtes, de luxe et de bruit, il s'était imaginé que la solitude serait pour lui une agréable nouveauté.

Il avait même voulu tenter un essai fort à la mode parmi les beaux de Rome, et il s'était fait arranger, dans sa splendide villa, un de ces appartements tapissés de nattes, et à peine meublés, que l'on appelait la chambre du pauvre. Il s'y était confiné quelques jours avec un seul esclave, se nourrissant de pois chiches et de radis qu'on lui servait dans des plats de terre sabine, et qu'il mangeait assis sur une escabelle à trois pieds. Mais cette vie frugale ne tarda point à le fatiguer. Le repos de la campagne lui avait fait regretter le tumulte de la ville, et, renonçant aux plaisirs champêtres tant vantés par les poëtes citadins, il donna ordre de retourner à Rome sans attendre la froide saison.

Les nouvelles fonctions d'Arvins l'obligeaient à suivre son maître dans les promenades en char qu'il faisait chaque jour hors de la ville. La voie Appienne, toute bordée de tombeaux, d'arbres et de statues funéraires, était alors le rendez-vous de la société la plus élégante. On y trouvait les femmes célèbres par leur beauté, leur richesse ou leur coquetterie; les sénateurs enrichis par leurs délations; les capteurs de testament et les affranchis devenus les favoris de l'empereur; enfin les descendants de ces chevaliers dont la mollesse avait déshonoré le nom de trossules donné à leurs ancêtres après la prise d'une ville d'Étrurie[4].

[4] Trossila.

Un jour qu'Arvins avait suivi son maître comme de coutume, un embarras força les Numides qui précédaient le char à s'arrêter. C'était Métella, la célèbre matrone, qui passait, précédée et suivie d'un peuple entier d'esclaves. Elle était à demi étendue dans une litière, le coude gauche appuyé sur un coussin de laine des Gaules, la tête ornée d'un voile si léger que chaque souffle du vent semblait près de l'emporter, et ses cheveux noirs ruisselants de perles fines. Pour combattre la chaleur qui était accablante, elle tenait à chaque main une boule de cristal, et autour de son cou découvert s'enlaçait un serpent apprivoisé. Deux coureurs africains, portant une ceinture de toile d'Égypte, d'une blancheur éclatante, et des bracelets d'argent, précédaient sa litière. Ils étaient suivis d'une jeune esclave qui ombrageait le visage de Métella avec une palme ornée de plumes de paon et fixée au bout d'un roseau des Indes; à côté, marchaient des Liburniens portant un marchepied incrusté d'ivoire pour descendre de la litière; enfin, derrière venaient près de cent esclaves richement vêtus.

Après avoir regardé un instant ce splendide cortége, Arvins détourna les yeux avec indifférence. Depuis qu'il fréquentait la voie Appienne, l'habitude l'avait blasé sur les prodiges du luxe romain. Les esclaves formant la suite de la matrone étaient déjà passés presque tous, et les Numides de Corvinus avaient repris leur course; le jeune Celte allait les suivre, lorsqu'un cri se fit entendre à quelques pas. Arvins détourna vivement la tête: une femme s'était séparée du cortége de Métella, et tendait les bras vers lui...

—Ma mère! s'écria l'enfant, en laissant tomber les rênes.

Les mules ne se sentant plus retenues partirent au galop. Arvins s'élança vainement pour les retenir; tous ses efforts ne firent qu'accélérer leur course. Enfin, désespérant de ressaisir les guides, il s'élança hors du char et regarda autour de lui.

Il était déjà loin de l'endroit où il avait aperçu Norva. Il courut pour la rejoindre; mais des cavaliers qui cherchaient à se dépasser, et de nouveaux cortéges l'arrêtèrent. L'enfant éperdu se précipita entre les chevaux et les équipages, recevant des coups et des injures sans s'en apercevoir. Il parcourut la voie Appienne jusqu'aux portes; mais ce fut en vain!... Métella était rentrée à Rome avec sa suite.

Arvins eut d'abord un mouvement de désespoir impossible à dire. Cependant il se rassura bientôt en songeant qu'il lui serait facile de retrouver Norva, puisqu'il avait entendu prononcer le nom de sa maîtresse. Il délibérait déjà sur les moyens de connaître la demeure de Métella, lorsqu'un des coureurs de Corvinus le rejoignit et lui ordonna de venir reprendre les rênes du char.

Arvins obéit après un moment d'hésitation.

Le jeune patricien, qui avait été forcé d'attendre, ne lui adressa aucun reproche; mais à peine fut-il de retour qu'il fit un signe à son intendant; Arvins n'en comprit la signification qu'en voyant paraître avec la fourche l'esclave chargé des supplices. Il poussa une exclamation de surprise et devint pâle. Le correcteur sourit.

—Eh bien, petit, dit-il, tu m'arrives donc enfin? Tu t'es bien difficilement décidé à faire ma connaissance?... Du reste, le maître est trop bon; il se contente de plaisanter avec toi. Par Hercule! si tu avais été l'esclave d'un affranchi, il t'eût fait manger aux lamproies.

En parlant ainsi, le correcteur avait fixé la fourche à la poitrine et aux épaules d'Arvins; il attacha ses bras aux deux extrémités qui dépassaient, et enchaîna l'enfant à un poteau placé près de l'entrée. Le regardant alors avec un rire féroce:

—Te voilà en excellente position pour prendre l'air, dit-il; la nuit va venir, tu pourras étudier les étoiles.

À ces mots, il fit un signe d'adieu à Arvins, et disparut.

Celui-ci avait gardé le silence: son corps était resté droit, sa tête fièrement levée, ses regards dédaigneux; mais au fond de son cœur grondait un orage de douleur et de colère. Dans ce moment il eût accepté tous les supplices avec joie, à condition de les voir partagés par Corvinus.

Le souvenir de sa mère venait encore augmenter sa rage. Sans le châtiment honteux qui lui était infligé, il l'aurait déjà retrouvée; il la serrerait maintenant dans ses bras. Elle l'attendait sans doute, et accusait peut-être son retard!

Il était tout entier à son désespoir, lorsqu'il entendit son nom répété à quelques pas. Tout son sang s'arrêta! Il avait cru reconnaître cette voix! Il détourna la tête... Une femme s'élança vers lui; c'était Norva!

Arvins fut un moment sans rien voir, sans rien entendre, et comme évanoui de joie dans les bras de sa mère! Jamais si grande émotion n'avait remué ce jeune cœur. Quant à Norva, elle était folle de bonheur; elle riait et sanglotait à la fois; battant des mains comme un enfant, et couvrant son fils de baisers.

Ce premier délire de tendresse apaisé, Arvins fit connaître le motif du châtiment qu'il subissait; en apprenant qu'elle en était la cause involontaire, la pauvre mère recommença ses caresses et ses pleurs.

L'enfant s'efforça de la consoler. La joie de la voir avait complétement éteint son indignation; il ne songeait plus à la fourche ni aux chaînes qui le garrottaient; il eût consenti à demeurer ainsi pendant sa vie entière, pourvu qu'il pût voir près de lui sa mère et recevoir ses embrassements.

Norva s'assit à ses pieds et lui raconta, à son tour, comment, après avoir appris le nom et la demeure de son maître, elle avait fui de chez Métella sans songer à autre chose qu'à trouver le palais de Corvinus pour le revoir. Elle l'interrogea sur tout ce qu'il avait fait, tout ce qu'il avait pensé pendant cette longue année de séparation. Quant à elle, elle avait épuisé les plus poignantes tortures de la servitude. Sans pitié, comme toutes les femmes uniquement occupées de leur beauté, Métella se vengeait sur ses esclaves de la moindre blessure faite, dans le monde, à sa vanité. Ses ennuis d'un moment, ses impatiences, ses caprices se manifestaient toujours par quelque punition cruelle infligée à ceux qui la servaient. Elle trouvait alors une sorte de volupté farouche à les voir souffrir sous ses yeux. À la plus légère négligence, elle les forçait de se mettre à genoux et de se gonfler la joue, afin qu'elle eût plus de facilité à les frapper au visage. Morgan, acheté par elle en même temps que Norva, avait déjà passé trois fois par les lanières pour avoir refusé de se soumettre à cette humiliation.

En écoutait ce récit, Arvins fut forcé de reconnaître que le hasard l'avait encore favorisé en le faisant l'esclave du sybarite Corvinus.

Cependant Nafel venait d'apprendre la punition à laquelle Arvins avait été condamné; il profita d'une visite du maître à sa bibliothèque pour solliciter la grâce de l'enfant. Corvinus fit signe qu'il l'accordait, et le jeune Celte fut délivré de ses entraves.

Il put alors conduire sa mère dans un lieu écarté, où tous deux reprirent leur entretien avec plus de liberté.

Pendant quelques heures, Norva et son fils oublièrent complétement leur situation. Ils parlaient de l'Armorique dans la langue du pays; ils rappelaient les circonstances de leur vie passée, les noms de ceux qu'ils avaient connus, les lieux où ils avaient été heureux! Arvins retrouvait l'accent, le geste, la poésie et les croyances auxquels son enfance avait été accoutumée; il n'était plus à Rome, plus esclave, c'était l'enfant du grand chef Menru, assis au foyer de sa mère, et apprenant d'elle les traditions de son peuple.

La nuit arriva sans que Norva ni son fils s'en aperçussent. Les yeux levés vers ce bleu ciel d'Italie tout parsemé de brillantes étoiles, ils continuèrent à s'entretenir de la patrie absente sans prendre garde à la fuite des heures. Arvins confia à sa mère son espoir d'affranchissement.

—Morgan nous parle aussi de délivrance, dit Norva; mais c'est avec du fer, non avec de l'or qu'il compte l'obtenir.

—Songerait-on à une révolte? demanda vivement Arvins.

—Je le crains, répondit Norva. Morgan entretient des intelligences avec des esclaves de notre nation. La plupart ont employé leur pécule à acheter secrètement des armes, et, à la première occasion, ils peuvent jeter le cri de guerre. Les Daces et les Germains complotent aussi mystérieusement, et j'entends rappeler sans cesse, tout bas, le nom de Spartacus.

Les yeux d'Arvins s'allumèrent: Norva s'en aperçut, et, saisissant avec une tendresse inquiète la main de l'enfant:

—Rappelle-toi que tu es trop jeune pour te mêler à une pareille entreprise, dit elle.

—J'ai quinze ans, répliqua Arvins avec impatience.

—Tu n'as point l'âge des guerriers, tu le sais: pour soutenir le grand nom que tu portes, il faut des bras plus exercés et plus forts. Morgan l'a dit, et moi je te défends de prendre part à cette révolte.

—J'obéirai, ma mère, répondit Arvins d'une voix sourde, et les yeux gonflés de larmes.

Norva attira sa tête sur ses genoux avec cette caressante compassion des mères et le baisant au front:

—Ne te chagrine pas, enfant, reprit-elle, tu arriveras à l'âge d'homme, et alors je n'aurai plus aucun pouvoir sur toi; tu seras maître de choisir un champ de bataille où tu le voudras; mais d'ici là, laisse-moi user de mon autorité pour préserver ta vie; que je puisse jouir de ces dernières joies de la mère qui sent que son fils va sortir de l'enfance et lui échapper. Hélas! bientôt tu ne seras plus à moi! tu appartiendras à tes passions, à ta volonté, à une autre femme peut-être... Ne me regrette pas ces dernières heures de royauté, et ne te révolte pas contre la tendre tyrannie de celle qui t'a donné le jour. Aujourd'hui je berce encore l'enfant dans mes bras, demain ce sera un homme, et je ne serai plus mère qu'à moitié; car je ne pourrai plus le protéger.

Norva avait prononcé ces mots avec une voix si triste et si douce, qu'Arvins en fut attendri; il la serra sur son cœur en l'appelant des noms les plus tendres, et lui promit de se soumettre sans regrets à tous ses désirs.

Au bord du lac

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