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§ 6.

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La nuit s'était écoulée dans ces intimes causeries; le soleil était de retour; Norva songea enfin à retourner chez sa maîtresse. L'enfant demanda et obtint la permission de l'accompagner.

Tous deux descendaient le mont Cœlius, lorsqu'ils aperçurent une troupe d'esclaves conduits par un affranchi. À leur aspect, Norva s'arrêta saisie.

—Ce sont les familiers de Métella, dit-elle.

Les esclaves venaient de reconnaître la mère d'Arvins; ils coururent à elle et l'entourèrent.

—Enfin te voilà reprise, dit l'affranchi.

—Que voulez-vous dire? s'écria Norva.

—N'as-tu pas fui de chez ta maîtresse?

—J'y retournais.

L'affranchi éclata de rire.

—Tous les esclaves échappés en disent autant, fit-il observer; qu'on lui lie les mains et qu'on l'emmène.

Norva voulut s'expliquer; mais on lui imposa silence. Arvins ne réussit pas mieux à se faire entendre, et l'on entraîna sa mère malgré ses efforts.

—Mais qu'allez-vous faire? demanda l'enfant effrayé.

—Ne sais-tu pas ce qui attend les esclaves fugitifs? De peur qu'ils ne se perdent une seconde fois, on les marque d'un fer rouge au front.

Arvins poussa un cri.

—C'est impossible, dit-il; je verrai votre maîtresse; je me jetterai à ses pieds.

—Si tu la fatigues, elle t'infligera le même supplice, interrompit l'affranchi.

—À moi! s'écria l'enfant.

—Elle le peut en payant à Corvinus le tort qu'elle lui aura fait. Oublies-tu qu'un esclave n'est autre chose qu'un vase de prix? Si on le fêle ou si on le casse, on en dédommage le maître, et tout est dit.

—Laisse-moi, laisse-moi, s'écria la mère épouvantée.

Mais Arvins ne l'écoutait pas. Ils arrivèrent tous ensemble à la demeure de Métella. La matrone n'était point encore rentrée. On avertit l'intendant qui vint savoir de quoi il s'agissait. Arvins voulut essayer la prière; il fut repoussé rudement.

—N'est-il donc aucun moyen de sauver ma mère? demanda l'enfant désespéré.

—Achète-la, répondit l'intendant avec ironie.

—L'acheter! répéta Arvins; un esclave peut-il en acheter un autre?

—Ne sais-tu donc pas ce que c'est qu'un vicaire?

L'enfant se rappela en effet que quelques-uns de ses compagnons avaient, sous leurs ordres, des esclaves auxquels ils laissaient faire les travaux les plus rudes et les plus grossiers; mais il ignorait qu'ils eussent été achetés de leur pécule.

—Que faudrait-il pour délivrer ma mère? demanda-t-il en tremblant.

—Trois mille sesterces.

L'enfant joignit les mains avec désolation.

—Je n'en ai que deux mille, murmura-t-il...

Mais un espoir traversa tout à coup sa pensée. Beaucoup de ses compagnons avaient un pécule; ils ne refuseraient point sans doute de lui prêter chacun quelques as, et il pourrait peut-être réunir ainsi ce qui lui manquait. Il courut à l'intendant qui se retirait.

—Je reviendrai bientôt avec les trois mille sesterces, dit-il d'une voix suppliante; promettez-moi seulement de suspendre le châtiment.

—Je te donne jusqu'à la quatrième heure.

Arvins le remercia, embrassa sa mère en pleurant, et partit.

Il courut d'abord chercher son pécule qu'il compta de nouveau. Il lui manquait bien mille sesterces pour compléter la somme demandée! Il descendit à l'appartement des esclaves afin d'implorer leurs secours.

Mais il n'en trouva aucun. Tout était en rumeur dans la maison de Corvinus. Poursuivi par les fænerateurs, dont les prêts usuraires avaient hâté sa ruine, le jeune patricien venait de quitter sa demeure que les gens de justice avaient envahie. Des écriteaux, portant copie de l'édit du magistrat, et annonçant la vente de tout ce qui lui avait appartenu, étaient déjà suspendus au-dessus du seuil. Les administrateurs du trésor de Saturne, qui devaient présider à l'encan, venaient d'arriver, ainsi que l'argentier chargé de recevoir le prix des objets. On achevait l'inventaire des biens de Corvinus.

Ce fut dans ce moment qu'Arvins se présenta, son argent à la main. Un des créanciers délégués par les autres pour présider à la vente l'aperçut.

—Que portes-tu là? demanda-t-il à l'enfant.

—Mon pécule, répondit Arvins.

—À combien s'élève-t-il?

—À deux mille sesterces.

—Ils aideront à la liquidation de Corvinus, dit le Romain, qui étendit la main vers le vase dans lequel Arvins avait déposé ses économies.

—Cet argent m'appartient, s'écria l'enfant en s'efforçant de le défendre.

—Il appartient à ton maître, esclave, répondit le créancier. Tu ne possèdes rien en propre; pas même ta vie. Livre donc ces deux mille sesterces, ou prends garde aux lanières.

—Jamais! jamais! s'écria Arvins en pressant son trésor contre sa poitrine. Ce pécule, je l'ai économisé sur ma faim et sur mon sommeil; il est destiné à racheter ma mère. Ma mère subit aujourd'hui le supplice des fugitifs, si je n'apporte à sa maîtresse trois mille sesterces. Ah! ne m'enlevez pas cet argent, citoyens; si vous ne me le laissez point par justice, que ce soit par pitié... Vous avez des mères aussi... Grâce! grâce! je vous en prie à genoux.

Le jeune Celte était tombé aux pieds des trésoriers de Saturne et du créancier. Celui-ci haussa les épaules et fit signe aux hérauts chargés d'annoncer la vente. Ils s'approchèrent d'Arvins et essayèrent de lui arracher les deux mille sesterces; l'enfant se débattait avec des menaces et des cris de fureur; mais, trop faible pour résister à des hommes, il fut bientôt dépouillé.

Il se releva couvert de poussière et fou de rage; ses yeux cherchaient une arme dont il pût se servir. Les hérauts le saisirent en riant, le lancèrent hors de la cour et refermèrent la porte.

Arvins frappa avec fureur sa tête de ses deux poings, comme s'il eût voulu se punir lui-même de son impuissance. Dans ce moment, une main se posa légèrement sur son épaule. Il se détourna; c'était Nafel.

—Qu'as-tu, enfant? demanda-t-il.

—Ma mère! s'écria Arvins, dont la voix étouffée par la colère et les sanglots ne put faire entendre que ce mot.

L'Arménien tâcha de l'apaiser par quelques douces paroles, et lui fit raconter ce qui venait d'arriver.

—Console-toi, dit l'Arménien; mon pécule à moi n'a point été saisi: il renferme quatre mille sesterces, et je te le donne.

Arvins recula de surprise, n'osant en croire ses oreilles.

—Viens, ajouta Nafel: je l'ai déposé chez un frère de la voie Suburane; nous allons le lui redemander.

Le jeune Celte voulut balbutier un remerciement; mais l'Arménien lui imposa silence.

—Le service que l'on peut rendre retourne bien plus au profit du bienfaiteur que de l'obligé, dit-il; car celui-ci ne reçoit qu'un secours terrestre et passager; tandis que l'autre acquiert un droit à des félicités éternelles; ne me remercie donc pas et suis-moi.

Tous deux se rendirent chez le dépositaire; mais il était absent; il fallut attendre assez longtemps. L'angoisse d'Arvins était horrible; il tremblait d'arriver trop tard.

Enfin, le juif qui gardait le pécule de Nafel rentra. Les quatre mille sesterces furent livrés au jeune Celte, qui se dirigea, en courant, vers la demeure de Métella.

En passant devant la basilique de Julia, il leva la tête; le clepsydre marquait la quatrième heure! Arvins se sentit froid jusqu'au cœur. Il reprit sa course d'un élan désespéré, traversa le Forum, et aperçut enfin la porte de Métella.

Au moment où il en atteignait le seuil, un cri horrible retentit. L'enfant s'appuya au mur en chancelant.

—Tu arrives trop tard, dit Morgan, qui l'attendait à l'entrée.

—Où est ma mère... où est-elle? cria Arvins.

Le vieux Celte le prit par la main sans répondre, et l'entraîna vers la cour.

Elle était pleine d'esclaves qui parlaient à demi-voix; au milieu le correcteur se tenait debout près d'un réchaud allumé; Norva était accroupie à ses pieds!...

Arvins se précipita vers elle en étendant ses bras; mais à peine l'eut-il aperçue, qu'il poussa un cri d'horreur; un nuage couvrit ses yeux, ses jambes se dérobèrent sous lui et il tomba évanoui près de sa mère.

Au bord du lac

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