Читать книгу Masques De Cristal - Terry Salvini - Страница 12
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ОглавлениеElle somnolait encore quand elle entendit la porte de la chambre s'ouvrir. Elle entrouvrit à peine les yeux et resta immobile.
Entre ses cils, elle vit John ouvrir l'armoire, en sortir les quelques affaires qu'il avait emportées et les mettre dans son grand sac.
Il se déplaçait furtivement, comme un voleur. Il partait.
Son coeur rata un battement et il lui sembla qu'il ne voulait pas reprendre son rythme normal. Elle prit une profonde respiration et dès que cette sensation désagréable cessa, repoussa les couvertures et sortit du lit, prête à l'affronter. Elle ne pouvait pas lui permettre de partir de cette façon, avec la certitude qu'elle l'avait trompé.
Il se tourna et la regarda.
«Je vais au rendez-vous avec l'architecte Morel puis je rentre à New York… seul. Finis ton week-end, lui dit-il en la transperçant du regard.
–Arrête de te comporter comme ça! Tu ne m'as même pas laissée parler quand on était sur la Tour Eiffel.
–Je n'ai toujours pas envie de t'entendre. Tu es avocate: si tu arrives à embrouiller tout un jury pour sauver ton client, je n'ose pas imaginer ce que tu dirais pour te sauver toi.
–C'est un coup bas!
–Et le tien, tu le définirais comment? Il lui montra son ventre.
Discuter dans ces conditions était compliqué, mais elle devait essayer.
–Je ne l'ai pas fait exprès. Je n'ai jamais cessé de prendre la pilule, tu dois me croire!
–Désolé, mais je n'y arrive pas.» John attrapa son petit bagage, se dirigea vers la porte et quitta la chambre, sans plus lui accorder un regard.
Loreley resta immobile quelques secondes. Elle aurait dû l'envoyer au diable et dire qu'elle s'occuperait seule de l'enfant, mais elle devait tenter de le convaincre qu'elle était sincère avant d'en arriver là; car si la situation était telle, et si cet homme ne méritait pas d'avoir un enfant, l'enfant, lui, méritait d'avoir un père. Il changerait peut-être d'avis un jour: c'était arrivé à d'autres hommes de se raviser après avoir vu leur bébé. Le tribunal lui avait appris qu'il était parfois nécessaire de mettre son orgueil de côté.
Non, s'il y avait le plus infime espoir, elle sentait qu'elle devait faire au moins une tentative pour arranger les choses.
Elle enfila son jean, un pull et ses bottines, prit son blouson et se précipita dehors.
L'ascenseur près de la chambre était occupé et le signal était allumé sur celui d'en face également.
Elle devait prendre les escaliers. Si elle descendait assez rapidement, elle réussirait à le rejoindre avant qu'il ait le temps de prendre un taxi.
Quatrième étage.
Escalier, palier, escalier.
Troisième étage.
Escalier, palier, escalier. Plus vite, plus vite…
Deuxième étage.
Escalier, palier, vide…
Un de ses pieds manqua une marche et elle dégringola les suivantes. Elle lança un cri de terreur.
Une douleur atroce, puis un tourbillon d'ombres noires l'engloutit dans le néant.
***
La légère brûlure au bras et la douleur aux reins tirèrent peu à peu ses sens de leur obscur brouillard. Elle n'arrivait pas à ouvrir les yeux.
«Miss Lehmann… Vous m'entendez?»
Les mots avaient été prononcés dans un anglais hésitant, avec un fort accent étranger, et la voix féminine semblait provenir de très loin.
Seules quelques syllabes sans aucun sens sortirent de sa bouche. Sa langue était collée au palais et ses lèvres étaient sèches. Elle se limita à acquiescer.
«Elle reprend ses esprits. Vous pouvez l'emmener dans le service.» C'était une voix d'homme qui parlait maintenant, mais dans un français parfait cette fois. Loreley remercia son père de l'avoir obligée à apprendre cette langue quand ils vivaient encore à Zurich.
Elle se raidit: où se trouvait-elle? La question resta en suspens dans le bref silence qui suivit, jusqu'à ce que quelques souvenirs confus l'assaillent avec la violence d'un coup de massue. L'ambulance, les urgences, l'examen… Et le vide à nouveau.
Elle était à l'hôpital!
Un tremblement violent la saisit.
Quelqu'un tenta de la tenir immobile, mais elle n'arrivait pas à contrôler les intenses frissons qui secouaient son corps.
«Je crois que c'est une réaction au stress du traumatisme» entendit-elle dire.
Que lui avaient-ils fait? se demanda-t-elle, en proie à un soupçon terrible. Elle voulait savoir, mais n'arrivait pas à demander. Ses dents claquaient avec la force d'un marteau-piqueur et son coeur semblait vouloir les vaincre à toute vitesse; comme si elle avait un nid de vipères enragées dans la tête. Elle s'imposa le calme en respirant à fond plusieurs fois.
«Voilà, bien… comme ça. N'ayez pas peur.»
Cette voix masculine de nouveau, si rassurante.
«Docteur, le professeur Leyrac vous demande dans la salle deux.» Une femme était intervenue.
«Oui, j'arrive immédiatement. Emmenez mademoiselle Lehmann dans une chambre» répéta l'homme.
Loreley perçut des pas qui s'éloignaient. La légère torpeur qui enveloppait encore son esprit s'évanouissait. Quelques instants plus tard, elle put ouvrir les yeux.
La première chose qu'elle vit furent les portes d'un grand ascenseur qui se fermaient, puis la silhouette d'une femme en blouse blanche qui s'apprêtait à appuyer sur un bouton.
Peu après, ils la déplacèrent du brancard à un lit.
«Vous vous sentirez mieux demain» la rassura une infirmière en installant la perfusion sur la potence.
«Mon enfant…» parvint-elle à dire en se touchant le ventre.
***
Loreley eut du mal à s'éveiller. Bien que la matinée soit déjà bien avancée, elle avait encore sommeil: il lui avait été impossible de dormir tranquillement cette nuit, entre alarmes qui sonnaient avec insistance, pas pressés dans les couloirs, voix chuchotantes et lumières allumées.
Une main se posa sur son bras. C'était une infirmière.
«Mademoiselle Lehmann, vous devez venir avec moi: le médecin voudrait vous parler. Vous savez, pour la sortie.
–Oh! Je pars, alors!
–Le médecin vous expliquera tout.» Elle se pencha pour l'aider à descendre du lit.
Bien qu'elle ait la tête douloureuse et le genou gonflé, Loreley refusa son aide et la suivit en boitant.
Tandis qu'elles avançaient, elle entendit une discussion provenir d'une pièce le long du couloir.
«Je ne comprends pas, il doit y avoir eu une erreur…
–Docteur Duval, je vous avais demandé de contrôler les résultats des examens, en particulier la valeur des hCG; et c'est justement ce qu'il manque.»
Elle avait déjà entendu cette voix.
«Voilà… Entrez ici, Madame» lui dit l'infirmière en indiquant la porte entrouverte de la pièce dont provenaient les voix. Elle l'ouvrit en grand pour faciliter son passage.
Une odeur de désinfectant au chlore flottait dans la petite pièce. La personne assise derrière le bureau ne leva même pas les yeux des feuilles qu'elle examinait; Loreley ne remarqua que ses cheveux courts et bruns, les larges épaules sous la chemise blanche et les mains à la peau légèrement dorée. L'image de ce médecin lui causa un sentiment d'inquiétude, à la différence de sa voix, qui arrivait à la rassurer.
La jeune doctoresse blonde debout à ses côtés lui lança un rapide coup d'oeil et l'invita à s'asseoir.
«Miss Lehmann, il semble que vous soyez en bonne santé et…, lui dit-il dans un anglais à peine compréhensible.
–Malheureusement, il nous manque une analyse, le coupa l'autre.
–Vous pouvez rentrer chez vous, Miss Lehmann. Dès que nous aurons les résultats, nous les insérerons dans le dossier» poursuivit l'homme en levant la tête et en regardant Loreley.
Elle vit alors ses traits, les yeux bleu foncé, comme le ciel au crépuscule.
«S'il y a quoi que ce soit de nouveau, nous vous informerons: laissez-nous votre adresse email et… Miss Lehmann, quelque chose ne va pas?
–Jack? Jack Leroy? cria Loreley.
–Excusez-moi?»
Elle le fixa en silence. Mon Dieu, on dirait vraiment lui! Il était le sosie du frère d'Ester, avec la barbe…
Le médecin se leva avec un air inquiet et s'approcha, puis il se tourna vers sa collègue. «Appelez le Docteur Julies.
–Tout de suite, Docteur Legrand» répondit-elle en soulevant le cornet du téléphone.
Docteur Legrand? Était-elle stupide! pensa Loreley déçue. Jack parlait un anglais parfait: cet inconnu se débrouillait, mais sa prononciation des voyelles était fermée, le r traînant et le son plus doux.
Ressentant son inquiétude, elle l'arrêta: «Je vais bien, je vous assure. J'ai juste eu l'impression de vous avoir déjà vu… de vous connaître, bref: je me suis trompée.
–On peut donc procéder à la sortie.» Il retourna s'asseoir, prit le stylo que la doctoresse lui passa et gribouilla quelque chose sur des papiers. «Vous pouvez prévenir quelqu'un de venir vous chercher?»
Loreley se raidit, serra les mains et baissa les yeux sur le tas de dossiers aux couleurs pastel sur un côté du bureau.
«Miss Lehmann» la rappela-t-il.
Elle leva à nouveau les yeux et rencontra ceux de l'homme, qui l'observaient attentivement; elle tenta d'adopter une attitude plus détendue.
«Vous êtes venue seule à Paris? Quelqu'un peut vous aider ici?
Elle pensa à Johnny, mais chassa cette idée sur le champ. Il était peut-être déjà à New York. Elle ajusta une mèche de cheveu derrière son oreille.
–Vous venez de dire que je peux sortir. Je n'ai besoin de rien, ni de personne» affirma-t-elle d'un ton déterminé.
Elle vit apparaître sur son visage une expression entre la surprise et le scepticisme. Mentir à quelqu'un qui a un regard si intense et perspicace lui fut très difficile. L'attitude de défense qu'elle avait prise la trahissait déjà. Mais n'était-ce pas à elle de décider pour elle-même en fin de compte?
«Je vous assure que je vous dis la vérité. Je n'ai personne à contacter et je peux me débrouiller seule.
Un ange passa.
–D'accord, vous sortirez comme prévu, dit le médecin. Entretemps, je vous prescris une thérapie à faire à la maison.» Il lui tendit la main pour lui donner quelques documents.
Elle les prit et les plia sans même leur accorder un coup d'oeil. Elle voulait se soustraire le plus vite possible à cette situation qui la mettait mal à l'aise.
«Il n'y a heureusement pas de séquelles et l'enfant va bien; mais restez au moins deux jours au repos, poursuivit-il. Pour les points au crâne, vous pourrez vous les faire enlever dans une semaine, dans n'importe quel hôpital. Et gardez la genouillère pendant minimum quatorze jours.
–Bien sûr, je le ferai.
–Ce serait mieux que vous reveniez ici pour une visite de contrôle, avant de partir: c'est une précaution que je me sens obligé de vous conseiller.
–J'y penserai. Je devrai aussi contacter l'assurance santé. Je vous remercie, Docteur Legrand.» Elle prit congé et se leva en se tenant à l'accoudoir de la chaise. Elle posa les yeux sur l'autre médecin: «Docteur…»
Elle se força à lui sourire, la saluant d'un signe de tête, puis se tourna pour quitter l'infirmerie avec l'esprit comme vidé de toute pensée, mais avec une colère qu'elle n'avait jamais éprouvée, envers John et elle-même. À cause de son état émotionnel, elle ne fit pas attention et appuya son poids sur la mauvaise jambe. Elle tendit les bras en avant à la recherche d'un appui, mais ils heurtèrent un récipient en métal en forme de haricot qui s'écrasa au sol dans un bruit assourdissant, répandant tout son contenu. Sur son genou sain, les paumes des mains sur le sol, Loreley regarda les dégâts, ne sachant si elle devait rire ou pleurer.
Elle sentit deux mains fortes sur ses épaules, qui l'aidèrent à se relever, tandis qu'un infirmier accourait pour remettre seringues, tubes de pommade, gaze et ciseaux dans le récipient.
«Tout va bien, Miss Lehmann? lui demanda le docteur.
–Oui, ce n'est rien. Merci, j'ai juste oublié que j'avais une jambe douloureuse: j'ai toujours été un peu maladroite. Vous pouvez rire, si vous voulez» plaisanta-t-elle.
Le visage du médecin se détendit et ses lèvres s'écartèrent dans un sourire.