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Que se passerait-il quand John serait rentré à la maison? Était-il vraiment indispensable de lui avouer quelque chose dont elle ne savait même pas comment c’était arrivé? La sincérité à tout prix était-elle essentielle pour maintenir la vie en commun de la meilleure des façons possibles?

Questions qui revinrent la tourmenter alors qu’elle conduisait dans le trafic de Manhattan. Questions qui instillaient des doutes qu’elle n’avait jamais eus avant, altérant ses quelques certitudes. Elle n’avait que vingt-huit ans après tout, et trop peu d’expérience des relations de couple pour être sûre d’avoir les bonnes réponses.

Le son de son portable attira son attention. Elle appuya sur une touche sur le tableau de bord et activa le haut-parleur.

«Salut Loreley, comment tu vas?

–Davide! dit-elle d’un ton réjoui. Quel plaisir. Ça fait un moment que tu ne donnes plus de tes nouvelles.

–Oui, c’est vrai, mais tu aurais pu m’appeler aussi.

–J’ai été très occupée, tu sais. Et le mariage de Hans m’a ôté toute énergie. Et aussi l’envie de me marier, si John me le demande un jour.

Elle entendit un rire bref à l’autre bout du fil.

–Toujours cette même vieille histoire du renard qui n’arrive pas à atteindre les raisins…

–Ne te moque pas de moi! Tu as quelque chose à me raconter plutôt?

–Oui… Il y a quelque chose…

–Ne fais pas traîner en longueur!

–C’est une chose sérieuse et je préfère t’en parler en personne, si ça ne te dérange pas…

–D’accord, j'aimerais aussi qu'on passe du temps ensemble.

–Si tu es libre, on peut se voir demain après-midi, chez toi.

–On dit trois heures?

–À trois heures.»

Loreley termina la conversation en se souvenant avec nostalgie du visage délicat et souriant de Davide. Les journées passées avec lui lui manquaient, surtout à l’époque de l’université, ainsi que les beaux moments insouciants qu’il lui avait offerts.

Tout passe et comme souvent, les plus belles choses sont celles qui durent le moins.

Elle écrasa la pédale de frein et jura en serrant le volant de ses mains: la voiture devant elle avait ralenti d’un coup et elle avait évité la collision d’un cheveu.

Quelle imbécile je fais! Habituellement, elle respectait la distance de sécurité. Elle resta immobile un instant, respira profondément et repartit dès qu’elle entendit les klaxons des voitures derrière elle.

Toujours tous pressés! Elle regrettait parfois sa bien-aimée Zurich, son ordre et son calme. Si différente de la palpitante et frénétique New York.

Une légère pluie commença à tambouriner sur le pare-brise. Elle soupira: elle avait oublié de prendre son parapluie. Elle savait pourtant bien que le temps était imprévisible en octobre.

***

L’après-midi suivant, vêtue d’une simple paire de jeans et d’une chemise des mêmes tissu et couleur, Loreley sortit de la maison. Son ami Davide l’attendait devant la porte.

Dès qu’elle fut proche de lui, elle lui jeta les bras autour du cou et ne le laissa pas s’éloigner durant plusieurs secondes.

«Quel enthousiasme! s’exclama-t-il en l'enlaçant à son tour.

–On ne s’est jamais perdus de vue pendant aussi longtemps, se défendit-elle en s’écartant. Où voudrais-tu aller?

–Il fait ensoleillé aujourd’hui, on pourrait se promener un peu.

–D’accord!»

Loreley ajusta son sac à bandoulière sur son épaule et le prit par la main, mais elle s’arrêta au bout de quelques pas.

«Attention à toi si tu mets la main au portefeuille! lui dit-elle en levant l’index. Cette fois, c’est mon tour, compris?

–Quel effort pour quelqu’un comme toi!

–Qu’est-ce que tu veux insinuer? lui demanda-t-elle, les mains sur les hanches.

–Tes parents sont… Ils ne s’en sortent pas mal, disons.

–Ils sont riches, tu peux le dire. Mais ça n’a rien à voir avec moi.

–Je sais, Loreley, ne t’énerve pas. Je plaisantais.

–Laissons tomber cette conversation et allons nous détendre un peu. Quoi que tu veuilles faire, ça me convient.»

Davide ne voulut rien faire d’exceptionnel. Ils abandonnèrent la voiture et allèrent se promener au Corona Park. En cette journée d’automne, le parc était peu fréquenté et immergé dans un léger manteau de silence et de brume. Des tapis de feuilles multicolores aux pieds des arbres à moitié dénudés soulignaient l’enchantement envoûtant et nostalgique de l'automne, malgré la présence persistante de taches fleuries qui viraient du jaune intense au violet.

Ils auraient pu choisir de se balader à Central Park, plus grand et proche de chez elle, au lieu de traverser tout le borough du Queens, mais elle savait que Davide n’aimait pas les lieux trop vastes et fréquentés. À vrai dire, il n’aimait pas non plus les endroits où la richesse, et surtout ceux qui la revendiquaient, régnait, pensa-t-elle en marchant à ses côtés. Elle était sa seule amie aisée.

Quand les muscles de leurs jambes commencèrent à devenir douloureux de fatigue, ils s’assirent sur un muret près de l'Unisphere, un énorme monument en acier représentant le globe terrestre. Loreley parla du mariage de son frère et de ce qu’il s’était passé cette nuit-là, omettant le nom de l’homme avec lequel elle avait partagé le lit: elle ne se sentait pas encore prête à le révéler, même à son ami. Il sembla le comprendre, car il évita de le demander, mais une ride nouvelle était apparue sur son front.

«Je sais ce que tu es en train de penser, dit-elle en fixant ses yeux bleu azur, qui semblaient lui faire des reproches. Je me mettrais des baffes. Johnny ne mérite pas ce que je lui ai fait et je ne sais pas comment en sortir sans le blesser.

–Tu ne sais pas si tu dois lui dire ou pas, c’est ça?

–J'ai peur qu’il ne me le pardonne pas. Et je manque de courage aussi… Elle détourna un moment le regard.

–S’il te connaît comme moi je te connais, il se rendra compte que tu n’aurais jamais fini dans ce lit si tu étais sobre.

–C’est si facile!

Davide la regarda, contrarié.

–Ce n’est jamais facile. Tu crois que ça ne m’a pas coûté de t'avouer ma trahison? J’avais une peur folle de te perdre pour toujours, aussi comme amie. Mais tu as compris…

–Je me suis quand même sentie mal, même si je ne l’ai pas montré plus que ça. Je n’ai plus rien voulu savoir des garçons pendant des années: seuls les études et le patinage comptaient pour moi.

Il soupira.

–Le temps est passé, mais je vois que tu t'énerves encore quand on en parle.

Elle secoua la tête.

–Excuse-moi Davide… Elle lui caressa la joue. Je ne m’énerve pas pour le passé, mais pour le présent.

–Je viens de te dire ce que j’en pense.

–J’y réfléchirai, je te le promets» lui assura-t-elle pour clore ce sujet embarrassant.

Mieux vaut en trouver un autre.

Elle le regarda comme si elle se souvenait seulement de quelque chose d’important.

«À propos de confessions: tu ne m’as pas encore parlé des nouveautés que tu as mentionnées au téléphone. Elle s’installa dans une position plus confortable. Je suis là et je t’assure que j’écouterai chacun de tes mots.

Elle le vit se détendre et sourire.

Davide s’installa à ses côtés, laissa passer quelques secondes et annonça la bonne nouvelle.

–Après autant de temps… Et tellement de recherches, je pense que j'ai trouvé la bonne personne pour moi. On ira peut-être vivre ensemble dans quelques mois.

Elle écarquilla les yeux.

–Oh mon Dieu, si tu savais comme je suis contente! s’exclama-t-elle en battant des mains avant de l’embrasser. Son nom?

–Il s’appelle Andrea, on s’est rencontrés au cabinet: il m’a amené son chien à soigner.

–Je suis vraiment heureuse, tu sais?!

–Merci! Moi, j’ai un peu peur par contre.

–Je sais ce qu’on éprouve, surtout au début.

–C’est pour ça que je t’en parle. Je voulais savoir comment tu t’étais sentie avec John. Ce qu’on ressent.

–Et bien… Je peux te dire qu’au début, je me sentais maladroite et je ne savais pas comment me comporter. J’avais peur que tout ce que je faisais puisse le déranger. Je devais garder mon calme, être compréhensive et avoir l’esprit large pour accepter ses façons de faire et de penser. Parfois, j’avais envie de lui mettre des claques, et d’autres fois, de le prendre dans mes bras. Un jour, je remerciais le ciel de l’avoir rencontré, et le suivant je voulais ne jamais l’avoir rencontré. Tu auras souvent l’impression de ne pas y arriver et de regretter ta liberté perdue, mais je t’assure que tout se met en place ensuite. Il faut juste le vouloir vraiment.

–C’est comme ça que tu t’es sentie avec John? la coupa-t-il stupéfait.

–Je t’assure que je ne me reproche rien. Alors qu’elle répondait, elle se demanda pourquoi, si elle n’avait rien à se reprocher, elle n’arrivait pas à prendre en considération ce qu’elle venait de raconter à son ami, pour se rassurer elle-même.

–Ça me suffit. Davide rit, heureux, et lui prit les mains. Tu verras que la situation s’arrangera pour toi aussi: il faut juste le vouloir vraiment, juste?

–Tu es un sacré…

Il lui bloqua la bouche.

–Aah… Certaines choses ne se disent pas. Il lui sourit. Ce serait mieux d’aller boire quelque chose maintenant.»

Après une boisson fraîche et une visite au musée de la science et de la technologie, ils décidèrent qu’il était temps de trouver un petit endroit tranquille où dîner. Le soleil avait entretemps fait place à la lune, qui apparut bientôt comme un disque moucheté de lumière et d’ombres, occulté par moments par les nuages.

Le dîner fut léger, avec deux plats et une petite portion de cheesecake aux fruits. Par chance, la température n’avait pas suffisamment baissé pour les faire renoncer à se promener dans les rues de Manhattan, et ils ne réalisèrent qu’il était minuit passé que quand ils furent vraiment fatigués. Se sentant coupable de l’avoir fait veiller si tard, Loreley décida d’héberger son ami chez elle: profiter de sa compagnie encore un peu lui faisait plaisir.

***

Elle paressait au lit quand elle sentit une main sur son épaule. Elle se tourna et souleva à peine les paupières: elle s’attendait à voir le visage de Davide, mais les yeux qui l’observaient étaient trop sombres pour appartenir à son ami, qui les avait bleus.

«Johnny!» Elle se releva, s’appuyant sur ses coudes.

«Quand es-tu arrivé?

–Je t'ai envoyé un message hier soir, tu ne l’as pas lu?

–Excuse-moi, je ne m’en suis pas rendu compte.

–Trop occupée à faire autre chose? J'ai croisé Davide dans le séjour. Il partait.

–On a passé l’après-midi ensemble hier et comme il était tard, je l’ai hébergé à la maison. Elle s’assit sur le lit. Je vais le saluer.

–Laisse tomber. Il l’arrêta par les épaules. Il m’a demandé de te dire au revoir. Il était pressé.»

Elle allait protester, mais John se pencha sur elle et lui ferma la bouche d’un long baiser. Loreley lui passa alors un bras autour du cou et le lui rendit.

Quand elle le vit s’écarter pour ôter ses vêtements à la hâte, elle enleva sa courte chemise de nuit d’un seul geste, révélant ainsi son corps à la peau diaphane.

«Je voulais prendre une douche, mais maintenant» lui dit-il.

Loreley l’examina rapidement: ses cheveux étaient en désordre et les traits de son visage tirés, comme s’il tentait de reprendre le contrôle de ses sens. Ses yeux sombres semblaient l’exhorter à prendre une décision en vitesse. Elle sentit ses propres lèvres s’ouvrir en un sourire malicieux, tandis que ses bras se tendaient vers lui, l’attrapaient par le col de sa chemise déjà déboutonnée et l’attiraient à elle.

Elle sauterait probablement le petit-déjeuner ce matin, et peut-être aussi le déjeuner, mais cela n’avait aucune espèce d’importance: pour le moment, elle avait juste besoin de son homme.


Elle attendit que John s’endorme avant de se faufiler hors du lit. Elle enfila une robe de chambre en satin noir, prit son téléphone et descendit au salon. Elle s’assit sur le canapé et passa un appel.

«Eh, Loreley!

La voix de Davide était joyeuse, comme toujours.

–Excuse-moi pour ce matin…

–Ça ne fait rien. J'ai été surpris de le voir entrer dans la maison, et un peu embarrassé aussi, comme lui du reste, et j’ai préféré déguerpir de suite. Ça m’ennuie seulement de ne pas avoir pu te saluer.

–Moi aussi. Mais je ne sais pas encore quoi faire…

–On en a déjà parlé hier. Je suis sûr que tu prendras la bonne décision.

Elle ne l’était pas du tout, au contraire.

–Promets-moi que tu reviendras me voir dès que possible.

–Bien sûr. Tu peux peut-être venir aussi, ici, chez moi.

–J'y penserai, je te le jure.

–Je te prends au mot. On se voit bientôt alors.

–Bon dimanche, Davide.»

Elle n’eut pas le temps de clôturer la conversation que John apparut, vêtu d’une tenue de sport grise.

«Tu es déjà levé? Elle croyait qu’il s’était endormi. Tes parents vont bien?

–Ils se débrouillent. Maman a ses douleurs habituelles mais rien de grave.

–Et ta fille? J'imagine qu’elle a sauté de joie de te revoir.

Il acquiesça en lui souriant.

–Ça me ferait plaisir que tu m’emmènes un jour avec toi, pour me la présenter.

Le sourire disparut rapidement du visage de John.

–Je sors courir un moment, si ça ne te dérange pas.

Loreley fut déçue, mais s’efforça de ne pas le montrer.

–Non, vas-y. Tu arriveras à faire un jogging? lui demanda-t-elle étonnée d’autant d’énergie résiduelle.

Il sourit à nouveau.

–Bien sûr.

–On mangera quelque chose quand tu rentreras, et si tu ne t’écroules pas au sol en proie à une crise cardiaque, on pourra aller se promener.

–Si c’est toi qui cuisines, il est plus probable que je risque une intoxication alimentaire et on ne pourra aller nulle part.»

Elle prit un coussin sur le canapé et le lui lança.

John l’esquiva et quitta la maison en riant.

Une fois seule, Loreley alla dans la cuisine et se mit aux fourneaux, même si elle savait que le résultat ne l’enthousiasmerait pas.

Elle avait rencontré Johnny à l’époque de son stage. Il était avec Ethan, qui le lui avait présenté comme un vieil ami. Son visage séduisant, ses yeux sombres et sa façon d’être, gentil et effronté en même temps, l’avaient immédiatement touchée; mais il n’avait pas été possible de faire plus ample connaissance avant de le rencontrer de nouveau, un après-midi, dans le parking proche du cabinet d’avocats.

Elle essayait de faire démarrer sa voiture, qui ne voulait rien savoir. Après quelques tentatives inutiles, elle était sortie du véhicule dans un état de colère avancée, en jurant presque comme un homme. Elle l'avait vu à cet instant: il était appuyé contre le capot arrière de la voiture, les bras croisés, et la regardait d’un air amusé.

Sans tourner autour du pot, elle lui avait demandé s’il avait l’intention de l’aider ou de rester là à savourer le spectacle. Johnny avait tendu la main, paume vers le haut, comme pour lui demander les clés. Elle l’avait regardé droit dans les yeux et les lui avait données, avec une certaine réticence.

Quelques minutes plus tard, le moteur tournait.

«Qu’est-ce que je peux faire pour m’acquitter de ma dette? avait-elle demandé avec soulagement.

–Tu pourrais mettre ton compte en banque à mon nom, lui avait-il répondu en sortant de la voiture pour lui céder la place.

–Ou bien?

Il lui avait renvoyé le regard de celui qui sait qu’il a déjà gagné.

–Tu viens dîner avec moi, ce soir.»

Et leur histoire avait commencé à ce moment-là.

Masques De Cristal

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