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Le lendemain matin, Loreley envoya une requête pour un entretien avec Peter Wallace. Elle en savait un peu plus sur lui désormais, mais rien de pertinent pour le procès. Elle avait besoin d'autres informations concernant Lindsay et leur vie ensemble.

Cette fois, elle ne laisserait pas tomber sans avoir d'abord obtenu des réponses plus que satisfaisantes. L'image qu'elle s'était faite de sa personnalité ne reflétait pas celle d'un homme irascible et violent; mais si elle ne parvenait pas à en savoir plus, il faudrait un miracle pour le démontrer.

Quand Sarah lui demanda des nouvelles de Hans, alors qu'elles déjeunaient ensemble, elle se rappela qu'elle devait passer chez lui, comme elle le lui avait promis. Elle sortit du bureau en fin d'après-midi et prit un taxi.

Durant le trajet, elle ne répondit aux tentatives du chauffeur d'établir une conversation par des questions banales que par monosyllabes et une série de marmonnements: elle était trop occupée à réfléchir à ses problèmes avec John pour penser à autre chose. Le chauffeur bavard finit par hausser les épaules en grognant.

Loreley secoua la tête. Elle avait l'impression d'avoir un aimant qui n'attirait que les chauffeurs bizarres. Ou c'était elle qui avait un problème avec eux tous? Elle ne perdit pas de temps à chercher une réponse. Elle haussa les épaules et se remit à regarder par la fenêtre les files de voitures et de passants, et leurs ombres allongées qui disparaissaient, englouties par celles des immeubles de Tribeca.

Chez Hans, par chance, on respirait une atmosphère sereine et accueillante. Les deux jeunes époux s'échangeaient des attentions, chose qui lui provoqua un petit pincement au coeur: Johnny et elle n'avaient jamais été aussi proches, même dans les meilleurs moments.

Ces tristes pensées la poursuivirent durant tout le dîner et se reflétaient sur son visage, parce qu'Ester finit à un certain point par poser une main sur la sienne.

«Qu'est-ce qui ne va pas, Loreley?

–Rien, je suis seulement fatiguée. Elle avait perdu le compte des fois où elle avait utilisé cette excuse pour justifier son état d'âme ces derniers temps.

–Ce n'est pas de la fatigue, intervint son frère. Dis-moi ce qu'il t'arrive; ne tergiverse pas et ne vexe pas mon intelligence avec d'autres excuses du genre» lui dit-il de son ton brutal coutumier.

Hans arrivait à devenir un sacré emmerdeur quand il décidait de jouer les grands frères. Loreley n'avait aucune possibilité de détourner la conversation, il ne le lui permettrait pas. Elle baissa les yeux vers son assiette d'ailes de poulet frites: l'heure de dire la vérité était venue. Une demi-vérité du moins.

«Johnny et moi avons eu une vilaine dispute… Et il a quitté la maison.

–Vraiment? demanda son frère surpris. Et depuis quand?

–Quelques jours. Elle évita de le regarder en face.

–Je suis désolée, lui dit Ester en lui serrant la main. Tu verras qu'il reviendra: on se dispute souvent, et puis on fait la paix.

Elle secoua la tête.

–Le sujet est trop sérieux! D'un côté, je voudrais aller lui parler, de l'autre j'ai vraiment envie de l'envoyer au diable et de poursuivre ma route; mais je n'y arrive pas.

–S'il compte pour toi, mettez les choses au clair, déclara Hans.

–Je devrais voler jusqu'au Pacifique pour le faire.

Hans soupira.

–Il est de nouveau parti à Los Angeles? Éviter les problèmes au lieu de les affronter ne sert à rien. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé entre vous, mais si John s'obstine à rester loin, ou tu vas le voir et tu tentes de sauver votre couple, ou tu mets fin à l'histoire, immédiatement.

Si elle avait été la seule concernée, ce serait déjà fait depuis des jours!

–Loreley, ne prends pas de décisions trop rapide, intervint Ester en lançant un regard de reproche à son mari.

–Je suis perdue… Indécise en fait. Elle posa sa fourchette: elle n'arrivait pas à manger le poulet. Elle regarda sa belle-soeur d'un air d'excuse.

–Ne t'inquiète pas! Tu peux venir me donner un coup de main par là?» demanda Ester en se levant. Elle la prit par la main pour l'entraîner avec elle, sans écouter ses protestations.

Une fois dans la cuisine, Ester se tourna vers elle. «Écoute, Loreley: je sais que ce ne sont pas mes affaires, mais je t'apprécie beaucoup. Je suis une romantique et donc, j'aime les histoires qui finissent bien. Elle lui sourit. Maintenant qu'on est seules, tu peux me dire pourquoi vous vous êtes disputés?

–Je n'ai pas envie d'en parler, excuse-moi.

–Le problème est plus grave que je ne le pensais dans ce cas. Dis-moi: tu veux que John fasse partie de ta vie? Tu l'aimes encore?»

Elle ne sut quoi répondre à cette question, et se limita à la fixer.

«Je le prendrai pour un oui. Va à Los Angeles et parle-lui: si tu décides d'en finir maintenant, sans même avoir essayé, tu passeras les prochaines années à te demander comment ça se serait passé si tu n'avais pas été si orgueilleuse. Dans le cas où il refuse tout net, tu n'auras plus de doutes ou de regrets à l'avenir.

–Je ferai une tentative» lui dit-elle pour clore rapidement cette conversation. Elle le devait à son enfant.

***

Avant de partir pour Los Angeles, Loreley demanda à Ethan de l'informer de toutes les nouveautés dans l'affaire Wallace. Elle lui demanda également de lui fournir une copie de tous les examens effectués sur la victime. L'audience était fixée au mois suivant et elle avait tout le temps de rentrer de Los Angeles, aller parler avec son client et étudier à nouveau le dossier complet. Kilmer était une autre paire de manches: elle devait lui demander la permission de s'absenter encore quelques jours du cabinet.

Comme prévu, le patron explosa. Il tempêta une dizaine de minutes et la jeta hors de son bureau; avec la menace que ce seraient ses dernières vacances. Dès qu'elle aurait un peu plus d'expérience, elle ouvrirait un cabinet d'avocats à son propre compte, se repromit-elle après une énième phrase à la chaux vive de la part de Kilmer. D'un point de vue financier, elle pourrait le faire immédiatement, mais l'expérience ne s'achète pas.

Ce soir-là, elle quitta le bureau en programmant chaque étape.

Une fois à la maison, elle fouilla dans les documents que son compagnon avait laissé dans le tiroir, jusqu'à trouver le numéro de téléphone et l'adresse du bureau du père de Johnny sur une carte de visite. Colin Austin aussi était architecte; son fils avait travaillé avec lui avant de déménager à New York. Elle mit la carte dans son portefeuille et prépara un bagage léger avec le strict nécessaire: il ne s'agissait pas de vacances. Si elle avait besoin de quoi que ce soit d'autre, elle l'achèterait à Los Angeles. Le billet d'avion était déjà dans son sac: Sarah avait pensé à tout.

Elle prit une douche pendant que Mira lui préparait à dîner. Si les choses n'évoluaient pas dans le bon sens, elle devrait peut-être lui parler à son retour, et la licencier. Son estomac se retourna à cette idée et le peu de faim qu'elle ressentait s'évanouit.

Loreley était à table, occupée à fixer son verre d'eau, quand elle entendit son téléphone sonner. C'était Hans.

«Salut, Loreley. J'ai besoin de te demander une faveur: tu pourrais confier un pli à Mike Gambit, le réalisateur, quand tu iras à Los Angeles?

Comment avait-il su qu'elle partait? se demanda-t-elle surprise. Elle ne l'avait dit qu'à son patron, à Ethan et à Sarah, personnes qui n'avaient aucun rapport avec son frère.

–Tu ne peux pas lui envoyer par coursier ou par la poste?

–Si je te le demande, c'est parce que je me fie plus à cette façon de faire, tu ne penses pas? Je sais que tu as d'autres choses à penser, mais tu dois juste aller à Hollywood et demander après lui. Mike t'attend. Ça te prendra peu de temps et tu m'éviteras un voyage.

–D'accord, je lui donnerai. Je partirai un peu plus tôt demain, comme ça je pourrai passer à ton bureau prendre l'enveloppe. Elle ne lui demanda pas qui l'avait informé: cela n'avait aucune importance.

–Tu es un ange! À demain, alors… Et bonne chance avec John. S'il se comporte comme un con, tu l'étends!»

Un sourire lui échappa. C'était Ester qui lui avait dit qu'elle irait peut-être à Los Angeles, pensa-t-elle

***

Les six heures de voyage lui parurent plus longues que celles passées pour arriver à Paris. L'angoisse de devoir chercher Johnny et de le voir avait comme dilué le temps.

À la sortie de l'aéroport LAX, Loreley jeta un regard vers le ciel: le soleil semblait régner dans le bleu infini et clair, impossible à comparer avec celui qu'elle avait laissé à New York des heures plus tôt, couvert de gros nuages gris. La température était agréable et le manteau qu'elle portait finit posé sur son bras.

Elle rejoignit le “Beverly Wilshire Hotel” sur le boulevard du même nom à Los Angeles en taxi et, après une douche rapide et une petite heure de repos, se promena le long de Rodeo Drive d'un peu meilleure humeur. Elle observa les nombreux magasins de grandes marques qui longeaient la rue ornée de longues rangées de palmiers; le shopping ne l'avait jamais beaucoup enthousiasmée et elle ne s'arrêta donc que pour acheter le nécessaire.

Loreley ne s'était amusée qu'une seule fois en courant les boutiques: l'année précédente, avec Ester, quand elles avaient acheté une robe élégante que sa belle-soeur avait ensuite portée le soir où Leen… Non! Elle ne devait pas repenser à cet évènement tragique.

Elle ralentit le pas, pensive: elle ne savait plus quoi faire. Elle pouvait aller voir la famille Austin et résoudre de suite la question avec Johnny, mais elle voulait être au calme au moins une journée avant de l'affronter. Elle décida alors de penser d'abord à la faveur que Hans lui avait demandée.

***

Des filles trop minces, aux jambes kilométriques, défilaient sur la passerelle en hauteur, disposée pour le set du film. Loreley les observa d'un endroit à l'écart, se demandant pourquoi il était nécessaire de marcher de façon aussi artificielle et, surtout, pourquoi on devait montrer une robe en la faisant porter par des filles anorexiques ou sur le point de le devenir.

Bien sûr, une silhouette svelte possédait plus d'élan qu'une plus pleine et curviligne, mais l'exacerber à ce point signifiait envoyer un message erroné au monde féminin, au risque de manipuler les esprits les plus jeunes. En outre, certaines des robes qu'elle venait de voir auraient été plus belles, surtout aux yeux des hommes, si elles avaient été remplies de façon adéquate aux endroits stratégiques.

Elle sourit. Bah, oui, au fond l'exténuante recherche de la beauté extérieure n'a-t-elle pas pour but de séduire, enchanter et plaire au sexe opposé, en plus de satisfaire cette pointe de narcissisme présente en chacun de nous?

Elle avait pensé que ce serait amusant d'assister à plusieurs “ciak” de cinéma, mais elle se sentit presque ennuyée et fatiguée de rester debout à observer ce défilé continuellement interrompu: une fois pour ajuster le cadrage des caméras, une autre pour modifier la séquence de sortie des mannequins.

Dans d'autres cas, il fallait de nouveau répéter la scène, à cause d'erreurs dans les dialogues ou de mouvements effectués avec peu d'efforts.

Elle se faufila hors de son coin en soupirant. Elle avait très soif. Lorsqu'elle vit un distributeur automatique de boissons au fond du couloir, elle s'y rendit, inséra de la monnaie et composa le numéro mentionné sous la petite bouteille d'eau. Un bourdonnement l'informa que la machine s'était mise en route; mais la bouteille avait à peine bougé et restait en équilibre, sans tomber dans le collecteur en dessous.

En pensant que cet énorme engin ne bougerait pas d'un millimètre, même à force de coups de pied, comme elle aurait voulu le faire, elle ouvrit à nouveau son portefeuille pour en sortir de la monnaie et réessayer.

«Attendez, je m'en occupe, dit une voix qui la prit par surprise. Parfois, ces pompes à fric ne fonctionnent pas comme elles devraient.»

Loreley fit un pas en arrière pour laisser la place au type qui avait parlé; elle ne regarda son visage de profil que lorsqu'il donna un coup violent au distributeur.

Elle écarquilla les yeux de stupeur. Sonny!

La bouteille tomba avec un bruit sourd et il se baissa pour ouvrir la trappe et la prendre. Quand il se releva et se retourna, Loreley rencontra ses iris ambrés.

«Bon sang! s'exclama-t-il. Toi… Ici?

Elle observa la fine mèche de cheveux lisse et sombre qui était retombée devant ses yeux, donnant à son visage un air presque sauvage.

–Mon frère m'a demandé une faveur. Je dois confier un courrier à Mike Gambit.» Elle dévissa le bouchon de la bouteille, la porta à ses lèvres et but une gorgée d'eau.

Il lui sourit. Sa dentition blanche et régulière ressortait sur sa peau bronzée. «Je compose la bande sonore d'un film, l'informa-t-il en dégageant les cheveux de son front d'un rapide mouvement des doigts. Je ne me serais jamais attendu à te trouver à mille miles de distance de la maison!

–Moi non plus. C'est mieux que j'y aille maintenant, lui dit-elle avant qu'il ne puisse lui poser d'autres questions. Bon travail, Sonny.»

Elle regagnait son point de départ quand elle se retrouva au milieu d'un groupe de personnes qui papotaient entre eux. Ils portaient des costumes de carnaval. Le chef du groupe écarta un grand rideau rouge et fit signe aux autres de le suivre.

Peut-être par pure curiosité, ou juste parce qu'elle devait occuper le temps d'attente d'une façon ou l'autre, elle se laissa entraîner à l'intérieur. Elle fut catapultée dans un salon de style Belle Époque, avec de grands chandeliers qui pendaient du plafond; des canapés et des fauteuils entouraient les côtés de la pièce, qui comportait en son centre une surprenante piste de danse

Elle avait toujours aimé les masques de carnaval, mais n'en avait jamais porté.

«Allez, remuez-vous. On a peu de temps! ordonna une voix féminine. Vous êtes tous là?»

Loreley se tourna vers la femme aux vaporeux cheveux roux qui avait parlé.

«Il nous faut deux autres figurants femmes, dit la rousse. Elle la montra. Toi! Va te préparer, qu'est-ce que tu attends?

–Je n'ai rien à voir: je suis ici pour d'autres raisons» expliqua Loreley embarrassée.

La rousse jeta un oeil au pass que Loreley avait épinglé sur la poche de sa chemise: Hans le lui avait procuré avant qu'elle ne parte.

«Vu que vous êtes ici maintenant, vous pourriez nous aider. Ça ne prendra qu'une petite heure, deux au maximum. Vous verrez que vous vous amuserez, en plus de gagner un petit quelque chose!» Sur ces mots, elle la poussa jusqu'à arriver devant un homme, quelques mètres plus loin, qui n'avait de masculin que les hanches étroites et une ombre de barbe rasée.

«Allez avec Fabian: il vous trouvera un costume à votre taille. On pensera plus tard à s'occuper des formalités administratives.»

Elle n'eut pas le temps de répliquer: Fabian la prit par le bras et l'emmena dans une pièce toute proche.

Mais qu'est-ce qu'elle faisait? se demanda-t-elle comme étourdie.

Avant de se mettre à la recherche d'un costume adapté, il l'examina des pieds à la tête, l'index et le pouce sur le menton. Puis, il secoua la tête avec désapprobation. «Tu es habillée comme une employée de bureau» commenta-t-il gentiment.

Loreley baissa les yeux vers sa jupe crayon noire jusqu'aux genoux et sa chemise blanche, et haussa les épaules. Mieux valait que cet homme ne sache pas ce qu'elle faisait comme travail.

«Je suis habituée à m'habiller comme ça… Et ça ne me déplaît pas.»

Il s'éloigna d'un pas et tourna autour d'elle. «Tu devrais mettre tes longues jambes et ta belle poitrine en valeur. Si tu étais plus mince, tu pourrais très bien aller défiler sur les passerelles.

–Ça me semble déjà trop de me trouver ici. Et si tu penses que je vais me déshabiller devant toi, oublie.

Fabian soupira.

–Que d'histoires! Il y a une salle de bain là, lui dit-il en lui indiquant une petite porte en métal verni. C'est petit, mais utile pour ce qu'on va en faire.»

Loreley jeta un coup d'oeil à la pièce oppressante, munie d'une douche et d'une cuvette minuscule. «Mais pourquoi je fais ça?» se demanda-t-elle en secouant la tête.

Le premier costume qu'il lui fit essayer avait des pantalons trop courts, et le second une jupe qui, en plus de lui laisser les chevilles découvertes, était aussi trop étroite.

«Avec toi, il faut en choisir un qui n'a pas de problème de longueur de jambes. Voyons un peu…» Il sortit de la réserve une robe rouge avec une jupe à volants, un bord asymétrique et un corsage semi-rigide.

Elle le regarda, peu convaincue.

«Vas-y, mets-la; je suis sûr qu'elle t'ira bien.»

Dès qu'elle l'eut enfilée, Fabian la fit se regarder dans le miroir et l'image qu'elle vit lui causa un rire ébahi.

Masques De Cristal

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