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Derrière le bureau, stylo à la main, Loreley appela le médecin et fixa un rendez-vous pour la dernière semaine du mois. Comme le lui avait dit Legrand, il était inutile de se presser, mais elle s'était au moins débarrassée de cette pensée. Elle dessina un gros “x" sur le calendrier, pour toujours avoir le jour de la visite sous les yeux, et nota également la date dans l'agenda de son téléphone. Elle ouvrit ensuite son courrier électronique: beaucoup d'emails commerciaux, de publicités, quelques-uns du travail, deux de la banque et le dernier… du docteur Jacques Legrand!

Elle cliqua deux fois sur l'en-tête.

Bonjour Mademoiselle Lehmann,

Je me permets de vous écrire pour savoir comment se passe votre convalescence. La blessure à la tête? Et le genou? Gardez le soutien jusqu'à ce qu'il soit complètement dégonflé et que vous ne ressentez plus aucune douleur quand vous pesez de votre poids sur votre jambe.

Je réfléchis à la possibilité de prendre quelques jours de vacances à l'étranger. Qui sait! J'espère que votre offre tient toujours. Jacques Legrand.

Elle sourit. Tout pouvait arriver.

«De bonnes nouvelles?» lui demanda Sarah en entrant dans la pièce.

Loreley leva les yeux de l'ordinateur. La secrétaire l'observait depuis le seuil, un classeur qui semblait plus grand qu'elle, menue et frêle, serré contre la poitrine.

«Qu'est-ce que tu m'apportes?

Sarah baissa le regard sur les dossiers qu'elle tenait à la main.

–Oh non. Ils sont pour le patron. J'ai vu que tu souriais et j'ai été curieuse; on te voit rarement le faire ces derniers temps.

–Ce n'est pas une bonne période, avoua-t-elle.

–Je l'avais compris. Ethan est inquiet pour toi.»

Loreley se sentit scrutée par ces yeux si sombres que l'on avait du mal à distinguer la pupille de l'iris. Quelques instants de silence suivirent.

«Si tu as besoin de moi, je suis…, lui dit son amie en réajustant ses grandes lunettes de lecture sur son nez.

–Merci, j'y penserai.»

Quand Sarah sortit, Loreley se laissa aller contre le dossier du fauteuil. Vu les propos de la secrétaire, elle soupçonna qu'Ethan était au courant de la situation entre John et elle. Peut-être qu'il savait aussi où il se trouvait. Elle lui extorquerait l'information à tout prix; mais elle devait le surprendre quand il était seul.

Elle eut l'occasion de se trouver en tête à tête avec lui le jour suivant. Il venait d'entrer pour lui montrer l'article dans le New York Times, qui parlait de l'affaire Wallace: l'opinion publique semblait l'avoir déjà condamné, lui infligeant la peine la plus lourde possible, avant même que le procès ne commence.

Loreley secoua la tête en lisant la nouvelle. Si elle le condamnait elle aussi au fond d'elle-même, comment espérer que le jury croie cet homme? C'était à elle de le défendre et elle ne le faisait pas de la bonne façon et dans le bon état d'esprit.

Elle décida qu'elle irait parler à la famille Wallace pour obtenir le plus d'informations possible sur le passé et la personne de Peter. Oui, elle devait creuser dans leur vie.

«Loreley, tu es là? lui demanda Ethan, debout face au bureau.

Elle ferma la page du journal et le lui rendit.

–Désolée, j'ai été distraite en lisant l'article.

–Je te disais que si tu veux que je t'aide avec cette affaire, je le ferai.

–Tu es gentil, mais tu as déjà beaucoup à faire et je veux me débrouiller seule.»

Elle lut dans le regard de l'homme un insistant message d'indulgence, mélangée à de la compassion, qui la mit mal à l'aise. Elle se leva du fauteuil et l'affronta, s'appuyant sur le bord du bureau, les bras croisés.

«Au lieu de me regarder de cette façon, pourquoi tu ne me dis pas ce que tu penses vraiment?

–Je ne comprends pas.

–Allons, tu sais bien que John a quitté la maison… Et tu en connais peut-être même la raison.» Elle lui forçait la main, mais elle n'avait pas le choix si elle voulait lui soutirer quelque chose.

Elle le vit se gratter la tête, un geste qu'il répétait chaque fois qu'il se sentait en difficulté.

«Vas-y, Ethan! S'il te plaît.

L'homme soupira.

–Que veux-tu que je te dise? Je ne sais pas quoi penser et ce n'est pas à moi de juger: j'ai autant de problèmes que toi dans ma vie sentimentale, et ça me suffit.

–Tu parles de ta femme? Combien de temps encore tu vas lui permettre d'utiliser votre fils comme arme de chantage? Tu ne dois plus la laisser faire.

–Si seulement c'était si simple! Si je ne fais pas attention à mon comportement et à ce que je dis avec Stephany, je risque de faire souffrir Lukas. Et moi aussi. J'ai peur qu'elle ne l'emmène de New York pour retourner dans sa ville.

–Ne cède pas. Ne lui donne pas encore plus d'argent, elle te saigne déjà à blanc. Essaie de lui dire de faire ce qu'elle veut: je veux voir si elle partira d'ici. Et pour faire quoi ensuite?»

Elle le vit secouer la tête et rester silencieux. Elle éprouva de la tristesse pour lui et laissa tomber le sujet.

«Tu sais que Johnny m'a quittée à Paris, en me laissant là toute seule? Elle indiqua sa blessure à la tête. Je me suis fait ça en lui courant derrière. Je suis tombée dans les escaliers.

–Je me suis demandé comment tu t'étais blessée, en effet.

–Kilmer le savait. Mais revenons au sujet qui m'intéresse le plus en ce moment: Johnny a quitté la maison sans même un coup de fil pour m'informer de ses intentions, ou me donner la possibilité de me défendre. Elle mit ses mains sur ses hanches. Tu sais quoi? Je ne sais pas s'il mérite une explication, ou même si c'est juste de lui donner une seconde occasion de remédier à son comportement!

–Rien n'est juste dans tout ça et je n'ai aucune envie de prendre le parti d'un de vous deux. Il serra les lèvres et prit une profonde respiration. Écoute, je vous aime tous les deux et ça me fait mal de vous voir comme ça. Il ne va pas bien non plus, je t'assure. Désolé, mais je ne peux rien te dire de plus; parle avec John.

–Et je fais comment pour lui parler si je ne sais même pas où il est?»

Ethan ne répondit pas tout de suite: il semblait compter les carreaux du sol avec de petits pas nerveux, en avant et en arrière, les mains dans les poches; jusqu'à ce qu'il s'arrête à nouveau face à elle et la regarde droit dans les yeux. «John est à Los Angeles.

–Merci, Ethan.

–Bonne chance!»

***

La maison des Wallace était une construction de trois étages en briques rouges dans la soixante-et-onzième rue, proche du croisement avec la West End Avenue. Loreley ne dut même pas prendre la voiture pour s'y rendre, parce qu'elle était distante d'à peine un peu plus de deux cents mètres de chez elle. Elle était rentrée du bureau à la maison pour se rafraîchir et changer de chemisier avant de se rendre chez les parents de son client.

La dame qui lui ouvrit la regarda comme si elle était contrariée et Loreley comprit que son fils ne l'avait pas prévenue de son arrivée. Ce ne fut que lorsqu'elle se fut présentée et eut expliqué la raison de sa visite qu'elle put la voir sourire et entrer.

Le salon dans lequel elle fut accueillie était meublé sobrement, avec une tendance vers l'ancien: aucun signe d'extravagance, même dans les couleurs de la tapisserie ou dans un objet. Tout semblait à sa place, dans un ordre presque maniaque.

La maîtresse de maison la fit s'installer sur un canapé de velours crème, avec une série de coussins de la même couleur appuyés contre le dossier.

«Je peux vous offrir un thé, Mademoiselle Lehmann?» lui demanda la femme, debout, dans une posture raide.

Loreley l'examina: robe noire, juste sous le genou, escarpins à talon moyen et des cheveux châtains lisses ramenés sur la nuque. Elle n'avait pas une trace de maquillage, mais semblait prête pour sortir. Et vite encore! Ses manières plutôt expéditives le confirmaient.

«Non, merci, Madame Wallace; ça va comme ça.»

Elle entendit la serrure de la porte d'entrée se déverrouiller, et des pas. Peu après, un jeune homme grand et mince apparut sur le seuil. D'aspect, il semblait avoir une trentaine d'années et ressemblait à madame Wallace, Loreley en déduisit donc qu'il s'agissait de Michael. Il ne semblait pas du tout être le frère de Peter, qui avait sûrement pris de son père.

Il se tourna vers Loreley. «Bonjour, Maître Lehmann. J'espère que vous n'avez pas dû attendre trop longtemps. Il lui serra la main.

–Michael, tu l'as fait exprès de ne rien me dire? intervint la mère. Qu'est-ce que tu me caches?

Le jeune homme leva les yeux au ciel.

–J'ai été occupé et j'ai oublié de te prévenir. Ne recommence pas à voir des complots partout.»

La mère le foudroya du regard.

«Je ne pensais pas que tu devais sortir justement maintenant» s'excusa-t-il.

Madame Wallace parut peu convaincue, mais son fils ne se démonta pas.

«Très bien! Elle s'adressa à Loreley. Ce fut un plaisir de rencontrer l'avocate de mon fils. Je suis désolée de ne pas être venue au tribunal, mais je ne raterai pas la prochaine audience. Je dois y aller maintenant: comme vous venez de l'apprendre, j'ai un rendez-vous» lui dit-elle en prenant congé.

Loreley se réinstalla sur le canapé, tandis que Michael prenait une chaise rembourrée et s'asseyait devant elle.

«Excusez-moi. Ma mère a ses délires paranoïaques.

–J'aurais préféré parler avec madame également, il me semble vous l'avoir dit.

Le jeune homme croisa les bras sur son torse et ensuite les jambes.

–C'est mieux de laisser ma mère hors de cet entretien.

Loreley fronça les sourcils.

–Et pourquoi donc?

–Vous voyez, c'est une femme très à cheval sur ses convictions et avec un sens moral très prononcé, ou un sens de ce qu'elle entend par ce mot. Disons qu'elle est un peu intolérante. Pour elle, Peter est un fainéant, capable seulement de créer des problèmes.

–Vraiment?

–Bien sûr, tout dépend de ce qu'une mère attend de son fils: la mienne a toujours voulu trop. Mais je dois admettre que cette fois, le problème que Peter a causé est vraiment gros, plus que lui… Et que nous.

–Et vous, quelle est votre relation avec votre frère?

–Et bien, quand j'étais petit, Peter se comportait avec moi comme si j'étais celui qui lui enlevait l'attention de maman, et pour se venger il me pinçait, pour que mes pleurs la stressent; ou bien il buvait le lait de mon biberon en cachette, maman me le laissait à la main une fois que je suis devenu assez grand pour le tenir seul. De temps en temps, quand il était adolescent, il cassait un objet et rejetait la faute sur moi, pour qu'elle m'enguirlande.

–Ce sont tous des comportements qui rentrent dans un cadre familial commun: le grand frère très jaloux du petit et effrayé du fait que les parents puissent l'aimer plus que lui.

–Oui, c'est vrai, mais Peter était exaspéré par ces comportements. Malgré les méchancetés que je subissais, il était mon idole. J'essayais toujours de l'imiter en tout: sa façon de s'habiller, de se coiffer, d'interagir avec les filles…»

Il s'arrêta comme pour réfléchir, puis secoua la tête en souriant.

«Il savait y faire: il avait une façon de se comporter qui allait au-delà de la beauté extérieure, déjà gagnante en soi! Mais tenter d'être comme mon frère ne me réussissait pas. Je l'enviais et avec le temps, j'ai même commencé à lui en vouloir pour ça. En représailles, je tentais d'être le premier de la classe à l'école, et j'ai dominé ma paresse en étudiant et en découvrant que c'était facile pour moi d'avoir de bons points, qui avaient toujours été mauvais avant. J'avais atteint mon objectif: mes parents me couvraient d'éloges et l'humiliaient pour ses mauvais résultats. C'est horrible, je sais, et je ne suis pas fier de ces années. Je n'y ai plus pensé depuis longtemps.»

Autant pour le petit frère en adoration! Il semblait bien que celui qui avait passé son adolescence à être jaloux, en plus d'être envieux, c'était Michael, pensa Loreley en s'installant mieux sur les coussins. Mais elle ne savait pas jusqu'où le jeune homme voulait aller.

«Et votre frère réagissait comment?

–Dans ces cas-là, Peter préférait ne rien dire: c'était la seule forme de respect qu'il avait pour nos vieux. Il encaissait les reproches en silence, mais quand on se retrouvait seuls, il se fâchait: "Maman et papa n'arrivent vraiment pas à comprendre que moi, contrairement à toi, je ne veux pas moisir entre les murs d'une université" il disait. "Si ça te plaît d'étudier, fais-le, tant mieux pour toi. Moi, je veux créer et vivre à l'extérieur." C'était le projet qu'il ressassait parfois après l'éternelle discussion sur l'école.

–Donc, il n'avait pas compris que vous vous efforciez d'avoir des bons points uniquement pour vous venger de lui.

–Non, je ne pense pas, il ne m'a jamais rien dit à ce propos.

–Peter n'a pas voulu aller à l'université: qu'est-ce qu'il faisait alors?

–Mon frère avait un talent artistique et il peignait. Et pas seulement sur toile, aussi sur les trottoirs et les murs des immeubles. Mais c'est rare que la peinture permette de gagner sa croute immédiatement: maman et papa le lui répétaient sans cesse, mais il s'en fichait et n'a jamais essayé de changer les choses. Il disait que ça lui convenait en un sens: je lui servais pour concentrer toutes leurs attentes, et il pouvait donc choisir sa voie librement.»

S'il est vrai que Peter enfant souffrait d'une jalousie malsaine envers son petit frère, rien ne disait que c'était toujours le cas une fois grand. Elle devait insister sur ce point. Pour l'instant, tout ce qu'elle avait compris de lui était qu'il avait un caractère qui ne collait pas avec la méchanceté et l'instinct violent nécessaires pour frapper une femme à mort.

«D'après ce que vous m'avez dit, Peter ressentait beaucoup de jalousie envers vous, enfant: ça a été pareil les années qui ont suivi? Il vous a déjà frappé? Et, en ce qui concerne les filles, est-ce qu'il a déjà fait preuve d'accès de colère?»

Loreley vit Michael se lever et se diriger vers la pièce à côté. Il disparut derrière une porte et réapparut avec une bouteille de whisky et deux verres. «Vous en voulez? lui demanda-t-il. Peut-être qu'une femme comme vous préférerait une coupe de champagne…

Loreley hésita: elle n'avait pas pour habitude de boire des alcools forts et elle ne pouvait pas non plus se le permettre dans son état.

–Servez-vous, je vous en prie.»

Il ne se le fit pas répéter deux fois. Il versa deux doigts de whisky dans le verre et en but une gorgée; il se rassit ensuite face à elle.

«Je savais que nous arriverions à cette question. Il vida son verre d'un trait et le remplit à nouveau. Je veux être sincère avec vous jusqu'au bout, Maître. Vous voyez, Peter était jaloux et possessif dans ses relations avec les filles, je dois le reconnaître, mais la seule fois où il a été impliqué dans quelque chose de violent à cause de l'une d'elles était pour la défendre, pas pour l'agresser. En ce qui me concerne, il m'a juste donné quelques coups de poing: plus que mérités d'ailleurs. J'avais besoin d'une bonne leçon, mais mon père n'était pas là. C'est donc lui qui y a veillé.

–Et qu'aviez-vous fait de mal?»

Michael détourna le regard. «Peter avait trouvé un sachet de cocaïne dans mon tiroir. Je sais ce que vous pensez, mais je n'étais pas cocaïnomane. Un de mes copains à l'université me l'avait donnée; j'avais peur d'essayer et je l'ai rangée, en attendant de trouver le courage de le faire. J'ai risqué gros: ce garçon espérait que ça me plaise au point d'en devenir esclave et que je l'achète chez lui, comme Peter me l'a expliqué. Mon frère m'a sauvé les fesses en la faisant disparaître et en gardant le silence avec mes parents; mais il n'a pas pu contrôler ses mains cette fois-là… Juste pour mon bien, pour que j'apprenne la leçon.

–Et ça s'est terminé là?

–Oui, bien sûr. C'est pour ça que je ne voulais pas que maman assiste à la conversation: je n'aurais jamais pu être sincère. Vous ne la connaissez pas.

–Je m'en suis fait une vague idée.

–Multipliez cette vague idée par trois.

Loreley acquiesça.

–Revenons à Peter.

–Je n'ai rien d'autre à dire sur lui. Il a rencontré Lindsay peu après et il a quitté la maison.

–Comment étaient les rapports entre eux?

–Bons, pour autant que je sache. Quelques discussions, oui… Qui n'en a pas? Bien sûr, je le voyais un peu tendu ces derniers temps, mais je pense que c'était pour des raisons financières.

–Lindsay avait quelqu'un qui lui tournait autour?

Michael bougea sur sa chaise.

–Je ne crois pas, mais elle était très réservée et parlait peu d'elle. Elle ne m'a jamais semblé du genre à se laisser emporter par la passion.»

Loreley le vit regarder l'horloge à balancier contre le mur, une pièce d'antiquité, et comprit que le moment de prendre congé était venu.

Elle se leva du canapé. «Bien, j'arrête de vous déranger. Merci du temps que vous m'avez consacré.» Elle reprit son sac et sa veste et sortit.

Masques De Cristal

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