Читать книгу Isabelle - Étienne de Senancour - Страница 7

LETTRE III.

Оглавление

Table des matières

Antoine s’est rendu ici le jour même; il m’a montré un zèle dont j’ai été touchée. Vous n’avez point de famille, lui ai-je dit; vous êtes encore dans l’âge où on craint peu les fatigues, et rien ne vous retient à Grenoble que vous habitez seulement depuis quelques années Vous avez vu divers pays dans votre jeunesse; il s’agit maintenant de passer en Amérique. Je puis doubler la modique pension que je vous faisais, et vous en remettre deux années d’avance. L’infortuné compagnon de voyage du maître que vous avez tant regretté, Jules que vous aimiez aussi, est maintenant auprès de Montréal, et il doit y attendre des nouvelles de France. Mais il est errant, il sera exposé à divers périls; voyez si vous voulez le rejoindre et vous consacrer à lui.

Avant d’achever, j’étais sûre de la réponse; à peine pouvait-il contenir son impatience. Il m’instruira souvent du sort de Jules, mais il le fera en secret. Il paraîtra s’être décidé au voyage de son propre mouvement, et en te communiquant son dessein le jour du départ. Comme il avait économisé quelque argent, on pourra supposer qu’il aura fait le voyage à ses frais. Jules ne m’écrira pas: Antoine l’en dissuadera, et lui dira, s’il le faut, que sans doute je ne lirais aucune lettre de lui, mais que tu l’invites à nous donner connaissance de ses nouveaux projets, à l’adresse de ta mère.

J’ai passé plusieurs jours dans une sorte d’indécision très-pénible, et depuis qu’elle est terminée, je ne suis pas plus satisfaite. Je devrais l’être pourtant. L’union la plus heureuse même n’est point ce qu’il me faudrait actuellement. J’estime, comme je le dois, une femme qui se propose d’être bonne épouse et bonne mère. C’est un rôle dont on peut s’honorer; seulement je crois que ce n’est pas le mien. Que nul ne m’accuse de dédaigner des fonctions respectables; si elles m’étaient destinées, ma plus grande crainte serait de ne pas les, remplir dans toute leur étendue. Mais soit que mes penchans me justifient, soit qu’ils me condamnent jusqu’à un certain point, c’est assez que je me sois vue libre d’adopter un plan particulier. Celui que j’aurais dû suivre peut-être ne me suffirait plus; il m’est permis enfin de choisir non pas précisément ce qui serait le meilleur en soi, mais ce qui s’accordera le moins mal avec mes facultés.

Isabelle

Подняться наверх