Читать книгу Les Néo-Ruraux Tome 2: Le Fromager - Wolfgang Bendick - Страница 15
ASTUCES DE MARCHÉS
ОглавлениеPendant les mois d’été, tous les vendredis, je fais la tournée de fromage dans toute la vallée, jusqu’à Castillon. En outre, un marché chaque semaine, soit à Castillon soit à Sentein, et parfois un marché spécial de produits fermiers organisé par quelqu’un. Ces marchés se déroulent parfois bien, mais d’autres fois ils sont complètement nuls, et j’ai l’impression d’avoir été invité uniquement pour décorer ! Au début, c’est toujours la cohue pour les meilleures places. En faisant l’étable avant, j’y arrive vers 9h30 ou 10h. Les voisins normalement me gardent un espace de 2 mètres. Et le garde champêtre de Castillon, qui attribue parfois les places, sait aussi que je viendrai plus tard. Mais il me semble que je n’ai pas que des amis bien intentionnés ! Il arrive que quelqu’un ait pris ma place parce que le placier lui a dit que le fromager ne viendrait pas aujourd’hui. Qui est derrière tout ça ? L’épicerie locale ? L’autre fromagerie construite sur la place de l’école ? On m’interdit aussi de vendre le miel. Je le garde donc dans des cartons sous le stand pendant un moment, jusqu’à ce qu’un autre petit apiculteur me dise que je ne dois pas écouter le placier, qu’on a aussi essayé de le dégoûter du marché ! Il y a le grand apiculteur local derrière tout ça et les commerçants jaloux qui aimeraient supprimer le marché, parce que nous sommes pour eux une concurrence qui soi-disant leur enlève des clients !
L’important, c’est d’être toujours au même endroit sur le marché pour que les clients habitués te retrouvent. Au début, ça ne bouge pas beaucoup. Cela me donne l’occasion d’observer les autres commerçants et leurs stands et de discuter avec eux. Mais au bout de quelques semaines, de plus en plus de clients reviennent sachant maintenant que nous vendons notre propre fromage et non, comme la plupart des vendeurs, des produits achetés et souvent industriels. Avec le temps, nous aussi reconnaissons les escrocs, les revendeurs de fromage, qui prétendent être des paysans mais essaient de se débarrasser des fromages déclassés qu’ils ont acheté à bas prix aux usines. Ils empilent leurs fromages sur leur stand, et pas mal de touristes se laissent tromper, parce que leurs fromages ont des fissures ou s’écroulent, ce qu’ils vantent comme étant un signe d’authenticité ! Les nôtres, par contre, sont homogènes, ont une croûte lisse, sont simplement trop « parfaits » !
La même chose se produit dans le secteur de la saucisse. En fait, il n’y a quasiment que des revendeurs qui utilisent souvent des produits bon marché des supermarchés dont ils ont enlevé les étiquettes. En affichant quelques belles photos de cochons, les gens se font arnaquer. Un exemple flagrant est une vieille ‘paysanne’ sur le marché de St. Girons, assise à même le sol, appuyée contre un platane, plutôt comme une mendiante. Par terre devant elle, un panier garni de foin, avec quelques douzaines d’œufs dedans. Les touristes la prennent en photo. Personne ne peut s’imaginer qu’il y a quelque chose de faux ! Et en plus, avec des œufs on ne gagne quasiment rien… Quand son panier est vide, elle disparaît pendant quelques minutes. Une fois je l’ai suivie, plutôt par hasard. Au lieu de rentrer chez elle, elle va vers une vielle Mercedes, ouvre le coffre et refait son panier avec des œufs industriels qu’elle y a entreposés dans plusieurs cartons ! En tant que vendeurs de marché, nous connaissons bientôt les fraudeurs et les quelques honnêtes gens qui, malgré la concurrence déloyale, tentent de survivre. Mais là aussi, tout n’est pas toujours juste. Il y a une colonie de vacances à proximité qui possède quelques ruches et récolte du miel avec les enfants. Ils vendent le miel presque à moitié prix, ainsi que leurs confitures, parce qu’ils ne vivent pas du produit, mais de l’argent que les parents payent pour les vacances des enfants…
Beaucoup de vendeurs attendent avant de fixer les prix de leurs marchandises. Ils veulent être un peu moins chers que la concurrence. Ou ils proposent un prix au kilo qui est bon marché et qui se réfère au fromage à la coupe. Les passants achètent le plus souvent les petits fromages qui ne sont vendus qu’en entiers comme ‘souvenirs’ à emporter. Et leur prix est le double ! En tant qu’exploitation enregistrée auprès des services d’hygiène comme ‘fromagerie à la ferme’, nous avons l’obligation d’avoir une vitrine et d’afficher notre numéro d’immatriculation. Ceux qui vendent du fromage lactique doivent même le transporter et le proposer réfrigéré. Pendant un moment, c’était la règle pour nous aussi. Complètement absurde, puisque la température de la cave et de stockage chez nous est de 12 à 15 degrés ! Derrière ces règles se trouvent probablement les grandes entreprises qui, en rendant la vie difficile aux petits, veulent se débarrasser d’une concurrence ennuyeuse ! Car qui d’entre nous peut se permettre d’acheter une vitrine réfrigérée sur remorque, et sur quels marchés se trouvent des prises électriques ? Dans ce cas, c’est une bonne chose que l’AFFAP, l’association des fromagers fermiers, existe ! Elle s’est engagée, par le biais de la paperasserie et d’études, à ce que cette règle soit modifiée en ce qui concerne les producteurs de fromages en tommes. Mais cela ne gêne pas les revendeurs qui continuent à vendre leurs fromages sans protection contre le soleil ou les mouches. Car ceux-ci n’ont pas de numéro d’exploitation et ne peuvent donc pas être poursuivis ! Dans le pire des cas, ils plient leur boutique et reviennent la semaine suivante, car les contrôles n’ont lieu qu’une ou deux fois par an !
La plupart du temps, il y a une période morte sur un marché. C’est généralement au début, car les clients n’apparaissent que vers 10h du matin. Il peut aussi y avoir des moments où personne n’est devant le stand, tandis que les clients se pressent devant les stands voisins. Au lieu de m’en sentir désespéré, j’essaye d’analyser les comportements des clients et des vendeurs afin d’affiner ma propre stratégie. Ce qui est important, c’est l’aspect visuel. Soit on joue la ‘rusticité’ et on risque de ne pas avoir les clients ‘hygiéniques’, soit on fait un truc très professionnel en risquant d’être pris pour un crémier.
Je fais un compromis : un stand bien arrangé, le fromage dans une vitrine en plexiglas, à l’abri des mouches, le fromage coupé posé sur un grand carreau en céramique sous une cloche transparente. À côté du fromage je place la balance, bien sûr étalonnée, parce que c’est la première chose qu’on contrôle. Nous avons depuis peu une ‘Roberval’, avec deux plateaux basculants et des poids. Elle était moins chère qu’une balance électronique. Elle seule attire déjà les regards ! Mais il faut avoir une liste avec les prix par tranche de poids, pour éviter de calculer à chaque fois, ça prendrait trop de temps. Les pots de miel sont placés bien visibles sur l’autre moitié de la table, mais pas trop de pots à la fois, pour que les gens voient qu’on n’est que des petits apiculteurs. Il faut porter des vêtements propres, mais pas trop professionnels (jamais habillé tout en blanc, au mieux juste un tablier blanc !). Les étiquettes de prix bien visibles, l’adresse de la ferme, le numéro de la DSV et des panneaux avec des photos de vaches et la fabrication du fromage et d’autres avec des photos de l’apiculture. Ces tableaux doivent être à un niveau qui puisse être regardé par les enfants car ce sont eux qui sont généralement les plus curieux. Aussi, une ardoise (du schiste, il y en a partout chez nous) avec la mention ‘Dégustation gratuite’ et ‘Visite de la ferme tous les soirs à l’heure de la traite’. Pas de chien ou de chat sur le stand, même si les enfants adorent ça !
Beaucoup de vendeurs posent des petits morceaux de fromage qui servent d’échantillons de dégustation sur une assiette. Je pense qu’il vaut mieux découper un petit morceau directement sur le fromage, qu’on offre au client à plat sur le couteau. Comme ça le client est sûr qu’il goûte le même fromage qu’il va éventuellement acheter. La plupart du temps, les enfants sont les premiers à vouloir goûter un morceau, puis les parents en veulent aussi. Et s’ils n’achètent rien, les laisser partir ! Ne pas insister ! Laissons-leur goûter les autres. Dans la plupart des cas ils reviennent ! Depuis le tout début, nous avons fait faire une carte postale avec une photo aérienne de la ferme. D’abord, ça semblait cher. D’autres distribuent des cartes de visite. A midi, quand on remballe, on trouve les cartes de visite quelque part dans les caniveaux, mais pas une belle carte postale ! Celle-ci est envoyée à la grand-mère ou à un ami et termine sur la poutre de la cheminée. Ou alors, quelques jours plus tard, les gens passent en famille à la ferme, la carte à la main, heureux de nous avoir retrouvés parce qu’ils n’ont encore rien trouvé à emporter pour leur retour chez eux…
*
L’important, c’est de ne pas être assis derrière son stand, ni de fumer ou de se curer le nez. Le siège idéal est une sorte de fauteuil pliant de la hauteur d’un tabouret de bar. Le client doit avoir l’impression qu’on est là pour lui. Quand on est juste assis là, il ne veut pas nous importuner. D’un autre côté, il ne doit pas avoir l’impression que le vendeur l’importune. J’ai essayé de tout réduire à une équation, mais ce n’est pas si simple. J’ai remarqué qu’à partir d’un angle de 45 degrés il faut attirer l’attention du client jusqu’à 90 degrés. Au-delà c’est perdu, ou pas tout à fait quand il y a des enfants. Eux espèrent littéralement une dégustation ! A l’approche du client, je lève la cloche à fromage et je coupe une petite tranche que j’offre quand il se trouve presque devant le stand mais de façon à ce qu’il ne se sente pas menacé par le couteau, ou, en quelque sorte, obligé. C’est rare que quelqu’un refuse ! Il faut engager la conversation, être drôle, donner des informations sur les destinations touristiques… On doit recevoir le client comme vous souhaiteriez être reçu quand vous êtes en vacances.
Il est important de prendre le temps mais il est également important de ne pas faire attendre un client ! Pendant que quelqu’un goûte et n’arrive pas à se décider, on peut déjà proposer une dégustation à quelqu’un d’autre qui attend, ou donner une carte postale aux enfants. Ou noter ce que quelqu’un désire, en lui disant qu’on lui prépare la marchandise et qu’il peut repasser dans une demi-heure pour la prendre, une fois son tour du marché terminé, surtout quand c’est un client habituel.
Le stand doit aussi être bien stable. Souvent, les rues sont arrondies ou la place est en pente. C’est bien d’avoir toujours quelques chutes de planche dans la voiture pour le caler. Le gabarit du parasol ne doit pas dépasser celui des autres stands, car sinon un camion pourrait l’accrocher. Garde les chiens à l’œil, parce que quand le premier a pissé, tous les autres suivront ! Il est aussi arrivé qu’un chien attrape un fromage du stand, et parte avec. Alors va retrouver le propriétaire ! Ne laisse personne passer derrière le stand, car certaines caisses ont déjà disparu de cette façon ! Ne ferme pas la caisse à clé afin qu’elle s’ouvre si un voleur essaie de s’en emparer. De temps en temps, enlève les billets discrètement et mets-les dans ta poche. Il est préférable de fermer l’étal à l’avant et sur les côtés afin que le stock entreposé dessous ne soit pas visible et reste protégé. Le plus simple, c’est un tissu ou une bâche sur lequel on a dessiné une belle image. Il faut conserver le stock dans des glacières. Ne pas les mettre par terre, mais sur des planches parce qu’un jour elles finiront dans la cave quand on les remplit, et rien n’est plus dangereux pour la cave que de la saleté venue d’ailleurs et des résidus de terre.
En cas de vent, il est préférable de fermer le parasol ou de bien le tenir. Rien n’est plus avantageux pour un marché qu’une atmosphère détendue. Pourquoi ne pas inviter les voisins à déjeuner ? Tout le monde apporte automatiquement quelque chose, on ouvre une bouteille, on discute. C’est la meilleure façon de commencer un jour de marché !
Quand il pleut, c’est autre chose. Celui qui peut reporter ses achats le fait, ou alors les gens se retrouvent dans les bars. Ils sont assez nombreux à Castillon. Sur la place de l’école, où la nouvelle fromagerie a commencé son activité, se trouve le « Chai », un négoce de vin dirigé par Georges, ‘le Grec’. Ce surnom lui reste encore, même s’il est né à Paris. C’est aussi là qu’il est allé à l’école. Pour le baccalauréat, ses parents lui ont offert un voyage en Grèce, le pays de ses grands-parents. Quand il y est arrivé, la révolution commençait et on l’a intégré dans l’armée, lui qui ne parlait pas un mot de grec et possédait un passeport français ! Il a même atterri en prison, parce qu’on l’accusait de vouloir échapper au service de la patrie avec de faux papiers ! Il a fallu du temps pour qu’il revienne. Depuis, il n’aime plus les voyages à l’étranger… Plus tard, pendant ses vacances dans la région, il a rencontré sa femme et a repris le négoce familial de vin.
Au « Chai »
Sa boutique ressemble à une grande cave, à l’arrière de laquelle se trouvent des barils en plastique et en bois contenant du vin blanc, rouge et rosé, qu’il aspire grâce à un tuyau et qu’il laisse couler dans les bidons ou les bonbonnes des clients. Il fait aussi régulièrement des tournées dans les hameaux et les villages pour fournir aux paysans ce jus vital. Des mauvaises langues disent, que quand il n’a pas de rosé (le rosé est issu du jus de raisin rouge sans les peaux), il en fabrique en mélangeant du rouge et du blanc. Il a une vieille camionnette Peugeot équipée de portes coulissantes à l’avant, mais qui tombent souvent. Pour cette raison, une corde fixée avec deux mousquetons sert à ne pas perdre un coéquipier éventuel, généralement un client du marché un peu éméché. Parfois, ses petits-enfants ont le droit de l’accompagner. Pour eux, c’est à chaque fois l’aventure. Pour le reste, comme les autres gamins du bourg, ils passent le plus souvent possible devant mon stand pour goûter encore et encore un morceau de fromage.
Par un jour grisâtre, quand il pleut ou il neige, les paysans qui ont amené des animaux ne vont pas plus loin que chez lui. Là ils peuvent éveiller leur soif et l’étancher ensuite, tout en gardant leurs animaux à l’œil. Moi aussi, j’y cherche refuge. « Tu as du fromage ? », demande le premier. Et tout d’un coup, tout le monde en veut un morceau ! J’ouvre le hayon et je me mets à couper et à peser. Plus tard, je découpe et pèse mes paquets à vue de nez quand je suis encore sur le marché. Avec une feuille de papier bien remplie de portions d’apéritif, je passe au ‘Chai’ vers midi. Et à chaque fois, je trouve une bière devant moi, sans avoir à payer. C’est devenu une sorte de coutume.
La plupart du temps, ce sont les mêmes paysans qui se retrouvent ici. J’en connais déjà quelques-uns de l’alpage quand on avait les moutons en montagne. Il y a Jean-Pierre, qui, en plus de son gros bide, met toujours en scène son chéquier qui pend de la poche arrière de son jean. Les maquignons aussi passent la matinée ici, tout comme certains marchands qui veulent oublier leur stand et leurs soucis pendant un moment. Parce que les affaires ne marchent plus comme avant. « Si tu avais vu ça… », dit Georges, faisant un geste de grande envergure, « Il y avait des stands partout, les rez-de-chaussée des maisons étaient des boutiques, les vaches étaient attachées sous les platanes, là où se trouve maintenant la station-service, jusqu’à la hauteur du foyer rural, la salle des fêtes ! Et tous ceux qui vendaient du fromage ! Tu aurais eu de la concurrence à l’époque, mais maintenant…! » Je dis : « Il y a la nouvelle fromagerie sur la place. » « C’est pas du fromage, ça ! Le lait ne vient même pas d’ici. C’est de la bouffe à vendre aux citadins qui n’y connaissent rien ! »
Voilà l’ambiance ! Non seulement la fumée des cigarettes a noirci le plafond, mais elle plonge toute la cave dans un brouillard bleu quand les portes sont fermées. Dehors, près de la porte, Georges a érigé un barbecue en tôle, bien rouillé avec les années, dans lequel, vers midi, il allume un feu avec des déchets. Puis il y verse quelques pelles de charbon de bois et grille la viande que les clients ont acheté, peut-être pour amener chez eux. Un jour, il me met une bouteille de bière blanche ‘Franziskaner’ de Munich sur le comptoir. La fois d’après, je lui apporte le verre qui va avec et dont j’ai une collection à la maison. Dans ce verre spécial, la bière blanche a un goût encore meilleur ! Il me dit qu’il l’a trouvée en Espagne. Et moi qui croyais qu’elle venait de Munich ! Alors je regarde la bouteille de plus près. Il est écrit sur l’étiquette qu’elle est fabriquée à Athènes ! On voit bien que l’Europe est en train de se construire ! Le problème avec les verres de bière blanche, c’est qu’ils sont difficiles à nettoyer. Quand la bière ne mousse plus, au moment de la verser, je regarde de plus près. Au fond, dans les coins, il y a une crasse de bière et de levure séchées, qui ne disparaît plus seulement avec le remplissage de bière fraîche. Le plus simple aurait été un nettoyage avec une brosse. Une bière blanche sans mousse ? Non merci ! Quand enfin sa caisse est vide, je lui dis qu’une Kronenbourg à la pression est aussi buvable, et qu’il n’est pas nécessaire d’aller chercher cette bière uniquement à cause de ma nostalgie, parce que personne ne la boit à part moi. Dommage pour la bonne bière !
*
Un jour, un petit bonhomme barbu m’adresse la parole au marché. De ma tournée de vente je sais qu’il est le domestique d’un maquignon d’Aley. Je ne comprends pas grand-chose, car il parle en patois. Après un moment il se rend compte que je ne pige rien et il prend un bocal de miel. Il pointe du doigt sur l’étiquette et imite avec la bouche le bruit d’une abeille. Après un moment de gesticulation il me semble qu’il m’explique que des gens ont été piqués par un essaim d’abeilles cachées dans un arbre et en pointant sur moi je comprends qu’il veut que je les enlève. Puis d’autres clients se joignent à nous et me traduisent où exactement trouver l’essaim.
Après le marché je l’emmène en voiture pour me montrer l’endroit afin de voir ce qu’on peut faire. Car nous avons toujours besoin d’essaims pour agrandir notre rucher. Les abeilles, sans doute une colonie de l’an dernier, sont installées dans un vieux merisier qui par la dernière tempête s’est déraciné et se trouve en haut sur le talus de la route qui va au village. C’est un travail facile. Quelques coups de tronçonneuse plus tard, Doris et moi l’avons transvasé dans une ruche. Nous laissons la ruche un jour sur place, afin que les abeilles butineuses puissent la rejoindre la nuit. Le lendemain matin, à l’aube, quand toutes les abeilles sont encore figées par la fraicheur, nous ramenons la ruche chez nous.
Durant ma prochaine tournée de vente je m’arrête au café et je tombe sur le fils du propriétaire du pré. Comme c’est us en Allemagne, je lui donne un kilo de miel pour l’essaim. Il semble un peu perplexe, mais le prend avec plaisir. J’ai l’impression, qu’il croyait d’abord que je veux le faire payer pour l’enlèvement. Le fils du maquignon est avec une bande de copains et, comme je constate, en buvant ma bière en discutant avec le cafetier, déjà bien éméché. Il semble avoir une idée. Il me fait signe de m’approcher. « Tu m’as donné le miel. Alors les abeilles sont à toi maintenant ?! », il me dit un peu hésitant. « On peut le dire », je réponds, ne pas sûr, où il veut en arriver. « Tu admets donc, que ce sont tes abeilles ? », il poursuit. Veut-il encore un pot de miel ou pourquoi cette question à la con ? J’acquiesce. « L’an dernier tes sales bêtes ont attaqué un de mes poulains dans ce pré, tu dois me le payer ! », il lance. Je crois d’avoir mal entendu. « Je ne comprends pas de quoi tu parles », je réponds un peu diplomatique, car vis-à-vis une bande d’éméchés il faut être prudent. « Eh bé, tu vas avoir une assurance responsabilité civile », il explique, « elle peut rembourser les dégâts causés par tes bêtes ! » « Tu sais quoi, », je lui réponds, « la prochaine fois tu peux récupérer les abeilles toi-même ! Et fais attention qu’elles ne te feront pas pareil comme à ton poulain ! » Je porte la commande à l’aubergiste et quitte les lieux, avant qu’ils ne trouvent encore autre chose pour m’emmerder.