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HYGIÈNE DES AGES § Ier. — Ophtalmie des nouveau-nés
ОглавлениеLes nouveau-nés, sont exposés à une affection, l’Ophtalmie dite des nouveau-nés, qui à elle seule est la cause la plus fréquente de la cécité, ainsi que l’attestent les diverses statistiques connues. Ce fâcheux état de choses tient aux traitements défectueux qu’on oppose à la maladie et au manque de prophylaxie. Une réglementation sérieuse, administrative et médicale, suffirait cependant pour triompher du mal victorieusement et diminuer d’autant le nombre des aveugles. C’est assez dire que cette affection doit occuper une place importante dans notre travail.
NATURE ET ÉTIOLOGIE. — Au moment même de la naissance, les yeux des enfants sont exposés à contracter l’ophtalmie purulente dite des nouveau-nés, et cela par contamination directe par les liquides infectieux dont ils peuvent recevoir le contact pendant l’accouchement. L’enfant a les yeux fermés à ce moment, mais le liquide contagieux reste dans les cils, sur le bord des paupières et pénétre dans le cul-de-sac conjonctival dès que les yeux s’entr’ouvrent. Quelquefois même, surtout dans les cas laborieux, les paupières peuvent s’entr’ouvrir avant que l’accouchement ne soit terminé, et alors la contamination se produit sur place.
Nous avons déjà bien des fois exprimé notre opinion sur l’étiologie unique et la spécificité de l’ophtalmie des nouveau-nés, et nous la maintenons plus que jamais. Lorsqu’on observe un cas d’ophtalmie purulente chez un nouveau-né, on peut être à peu près sûr que la mère était atteinte de pertes de nature virulente. On a incriminé les lochies, et des expériences ont été faites, desquelles il est résulté que les lochies de femmes saines d’autre part, ne pouvaient contaminer les yeux des enfants. Malgré ces expériences, il nous est difficile de ne pas attribuer un certain degré de virulence aux lochies, surtout pendant les épidémies de fièvre puerpérale. Quoi qu’il en soit, le liquide des pertes blanches leucorrhéïques dont nous parlons, contiennent des microbes (gonococcus) en grande quantité qui leur donnent leur spécificité et leur contagiosité, et qui se retrouvent également dans le pus conjonctival des ophtalmies des nouveau-nés, ainsi que l’ont démontré les recherches de Neisser.
Autrefois on attribuait l’ophtalmie des nouveau-nés à différentes causes, telles que le froid, la lumière, les traumatismes obstétricaux etc., et encore aujourd’hui le public et même des médecins croient à des influences de ce genre. Quant à l’ignorance et aux préjugés des parents et des sages-femmes à ce point de vue, ils sont encore enracinés à un degré incroyable. Un grand nombre d’aveugles qui peuplent les asiles ont perdu la vue par suite de cette ignorance ou de ces préjugés, l’ophtalmie de la naissance ayant été mal soignée, soignée trop tard ou même pas soignée du tout.
Arlt a décrit deux espèces d’ophtalmies des nouveau-nés; l’une bénigne, qui guérit en cinq ou six jours avec quelques soins de propreté ; l’autre maligne, avec chémosis et suppuration, et qui amène la destruction des cornées si elle n’est pas soignée à temps. Beaucoup de médecins, et même quelques ophtalmologistes, partagent cette manière de voir et admettent à côté de l’ophtalmie grave l’existence d’une ophtalmie bénigne, qui pour eux n’est qu’une simple conjonctivite catarrhale plus ou moins intense. Nous pensons que ces deux formes ne sont que l’expression à des degrés différents d’une seule et même cause, à savoir: l’infection par un liquide virulent; que cette virulence soit plus ou moins atténuée, que l’œil ne reçoive qu’une quantité minime de germes infectieux ou que les conditions de réceptivité de la muqueuse soient variables. En tout cas, les premiers symptômes sont toujours les mêmes dans les cas bénins comme dans les cas graves; et il n’est pas possible au début de porter un pronostic quelconque sur la marche et l’issue de la maladie. Il est donc dangereux au point de vue thérapeutique d’établir la distinction décrite par Arlt et d’instituer un traitement anodin dans les cas que l’on suppose bénins et simplement inflammatoires. Si la maladie doit être grave, ce traitement n’arrête nullement son évolution, et l’on s’aperçoit que l’on avait affaire à un cas grave lorsque la cornée est nécrosée, c’est-à-dire lorsque l’œil est sérieusement compromis. Les cas légers sont justiciables du même traitement que les cas plus sérieux; à quoi bon, en conséquence, établir une distinction dont la réalité n’est démontrée qu’en théorie, que la pratique condamne et dont elle démontre le danger?
L’affection débute régulièrement le troisième jour après la naissance, quelquefois plus tôt, et cette incubation à durée fixe vient encore à l’appui de sa nature spécifique. Lorsqu’elle ne se développe qu’après le cinquième jour, c’est que la résistance de la muqueuse conjonctivale était plus grande ou que le pus était peu abondant ou moins riche en gonococcus; mais toujours l’inoculation s’est faite pendant l’accouchement.
Dans les nombreuses statistiques qui ont été établies, l’ophtalmie des nouveau-nés occupe le premier rang parmi les causes de cécité en général. L’un de nous a attiré l’attention de la société de médecine publique sur les dangers de cette ophtalmie lorsqu’elle est mal soignée, et sur les moyens de conjurer ces dangers. Depuis 1870, il a été appelé à donner ses soins à 507 enfants atteints d’ophtalmie et sur ce nombre, III fois les enfants présentaient, au moment de leur première visite, des accidents plus ou moins graves, comme:
Les nombreuses statistiques recueillies par Fuchs donnent une moyenne de 30 0/0 pour le contingent de l’ophtalmie des nouveau-nés dans le chiffre total des aveugles. Elle est donc un des fléaux qui affligent le plus l’humanité, et sa prophylaxie doit sérieusement préoccuper les hygiénistes.
PROPHYLAXIE. — Quelles sont les mesures à prendre pour essayer de prévenir une maladie qui cause tant de ravages?
Beaucoup de femmes, qui n’avaient pas de pertes blanches avant d’être enceintes, en ont pendant les derniers mois de la grossesse. Une fois prévenu de cette particularité, le médecin doit tout d’abord y porter remède, au point de vue de la santé générale de la femme d’abord, et ensuite au point de vue de l’innocuité du futur accouchement; et dans ce but, il doit recourir aux irrigations antiseptiques. Ensuite, lorsque l’accouchement a commencé, il doit pratiquer largement les mêmes irrigations dans le but de chasser les liquides infectieux et de détruire leurs micrococcus.
Du reste, dans les maternités de Paris et de la plupart des grandes villes, on applique la méthode antiseptique avec injections chaudes aseptiques de liqueur de Van-Swieten ou d’acide phénique au 1/100, répétées de deux heures en deux heures environ, depuis le début du travail jusqu’après la délivrance, et ensuite deux fois par jour jusqu’à la première sortie de l’accouchée. Cette pratique, excellente pour l’hygiène générale de l’accouchée, nous paraît être en même temps très efficace pour la préservation de l’ophtalmie. Malheureusement, elle est souvent négligée dans la clientèle privée, par la plupart des sages-femmes et même par certains médecins, soit qu’ils en ignorent l’utilité, soit qu’ils la jugent inutile en dehors du milieu hospitalier. Cependant aujourd’hui, la plupart des médecins accoucheurs y ont recours, même dans leurs accouchements particuliers, pensant avec raison que les indications, pour n’être pas aussi urgentes que dans un établissement de maternité, n’en sont pas moins précises et les résultats pas moins avantageux.
Une fois l’enfant venu au monde, il faut procéder sans tarder au lavage et au nettoyage des yeux, avec une solution légèrement boriquée. C’est le plus souvent au moment où l’enfant entr’ouvre les paupières pour la première fois que l’infection de la conjonctive se produit. Peringer a démontré par des inoculations, que les gonococcus produisent leur effet virulent au bout de deux à trois minutes; il n’y a donc pas de temps à perdre et la désinfection des yeux doit être pratiquée séance tenante. Les procédés sont nombreux: lavages à l’eau chaude ou avec des liquides désinfectants à l’acide phénique, à l’acide borique, salicylique, etc.
Crédé va plus loin; il propose des lavages avec l’acide salicylique, suivis immédiatement de l’instillation d’une goutte de solution de nitrate d’argent à 20/0. Nous sommes opposés à l’application de la méthode de Crédé en tant que méthode préventive, car s’il n’y a pas eu d’inoculation leucorrhéique, elle est dangereuse; et si cette inoculation a eu lieu, elle est incapable d’enrayer la maladie et d’empêcher son apparition.
Il faudrait introduire la pratique prophylactique dans toutes les maternités et dans la clientèle privée. L’Etat et la société ont là un devoir humanitaire à remplir, en contribuant, par l’adoption et la réglementation de certaines mesures, à l’extinction d’un mal qui chaque année coûte la vue à tant d’enfants. Le docteur Brière (du Havre), d’accord avec la municipalité, fait distribuer aux parents des enfants dont on déclare la naissance, une petite brochure qui les instruit des dangers de la maladie, leur indique les précautions à prendre et surtout leur recommande de faire appeler sans retard un médecin, si le mal persiste seulement vingt-quatre heures. En 1880, le gouvernement français attira l’attention des populations sur ce sujet, par une note insérée au Journal des Communes; l’Allemagne fit rédiger un manuel à l’usage des sages-femmes; l’Autriche, en 1882, dans une ordonnance, conseilla la méthode de Crédé et aujourd’hui cette méthode est établie dans presque tous les services d’accouchement d’Allemagne. Nous avons dit plus haut ce que nous pensions de sa valeur prophylactique, et nous n’y reviendrons plus. Les congrès d’ophtalmologistes s’occupent chaque année de cette importante question et sont unanimes à faire un appel aux autorités compétentes. L’État protège la vie des citoyens, leurs propriétés... pourquoi ne ferait-il pas des lois pour protéger la vue des enfants?
Voici du reste les principaux desiderata que l’on peut formuler:
1° Le public devrait être instruit du danger de l’ophtalmie purulente, des conséquences que toute négligence peut amener et de l’urgence qu’il y a à faire appeler un médecin sans le moindre retard. Fieuzal propose avec raison de faire insérer cette instruction dans le livret des familles ou dans les calendriers populaires.
2° L’antisepsie sera pratiquée dans tous les cas, pendant le travail de l’accouchement; antisepsie de l’accouchée par des irrigations désinfectantes, et antisepsie de l’accoucheur ou de la sage-femme.
3° Lavage des yeux de l’enfant dès la naissance avec des solutions antiseptiques, telles que:
4° Les sages-femmes devraient être initiées à l’étude de la maladie, de ses causes et des premières précautions à prendre. Il devrait leur être interdit de traiter elles-mêmes l’ophtalmie purulente. Elles seraient tenues de rendre compte à la municipalité des cas d’ophtalmie, lorsque les parents, par insouciance ou indigence, négligeraient d’appeler un médecin.
5° Il y aurait lieu d’instruire les médecins de façon à ce qu’ils n’aient pas besoin du concours d’un spécialiste, qui peut faire défaut dans un très grand nombre de localités.
6° On devrait prescrire au médecin de l’état civil d’examiner avec soin les yeux de tous les nouveau-nés. De la sorte la maladie pourrait être soignée dès le début et avant que la cornée n’ait subi aucune altération.
Les soins devraient être donnés d’après une instruction rédigée par une Commission d’ophtalmologistes; cette instruction serait très nette et suffisamment détaillée. C’est dans les trois premiers jours après la naissance que la visite du médecin de l’état civil est faite, et c’est habituellement dans les mêmes délais que la maladie se déclare; c’est donc lui qui devrait être chargé d’examiner les yeux de l’enfant et d’avertir du danger, s’il trouvait la moindre inflammation.
TRAITEMENT. — Lorsque par suite du manque de prophylaxie ou malgré la prophylaxie, la maladie commence à se manifester, il faut agir sans le moindre retard, tout délai pouvant coûter la vue de l’enfant. C’est alors que la présence d’un médecin compétent est indispensable. Encore de nos jours il faut bien l’avouer, les remèdes de bonnes femmes sont en grand honneur contre cette affection, et il n’est malheureusement pas rare d’entendre les mères qui apportent leurs enfants contaminés dans les cliniques ou les consultations, avouer qu’elles ont pratiqué telle ou telle médication plus ou moins étrange, d’après les conseils d’une voisine ou d’une sage-femme.
L’ophtalmie des nouveau-nés est une affection très grave et qui amène la cécité lorsqu’elle est négligée ou mal soignée; au contraire, elle devient une affection bénigne lorsqu’elle est combattue en temps voulu et d’après certaines règles.
Les méthodes de traitement varient encore selon les praticiens, mais toutes ont pour base l’antisepsie. Plusieurs auteurs ont obtenu des cas de guérison avec des lotions boriquées, ou même avec de simples lavages à l’eau chaude pure; c’est qu’ils avaient à faire à des ophtalmies bénignes, en raison du faible degré de virulence du pus, ou par suite du peu de réceptivité de la muqueuse conjonctivale de l’enfant. Comme il n’est pas possible de distinguer au début les cas bénins des cas graves, il faut agir systématiquement chaque fois qu’on est en présence de la maladie; et selon nous, il faut considérer toute ophtalmie comme étant spécifique et la soigner comme telle: notre avis est formel à cet égard.
Le traitement héroïque est incontestablement le nitrate d’argent au 1/40; mais il faut avoir soin d’en faire l’application deux fois par jour (condition indispensable) afin d’empêcher la repullulation des gonococcus qui se reproduisent en abondance lorsqu’on les abandonne vingt-quatre heures à eux-mêmes. Il va sans dire que le badigeonnage des conjonctives avec la solution de nitrate d’argent est immédiatement suivie de l’application d’une solution salée. Le nitrate d’argent est un antiseptique puissant qui va atteindre les micro-organismes jusque dans les cellules épithéliales de la conjonctive.
Nos propres statistiques attestent hautement la supériorité de cette méthode sur toutes les autres. Lorsque l’enfant est amené dans les premiers jours de la maladie et que le traitement est appliqué régulièrement et surtout deux fois par jour, la guérison est infaillible.
Les soins de propreté et les lavages ne sont que le complément de cette thérapeutique qui n’a jamais donné d’insuccès. La grande contagiosité du pus indique assez quelles précautions il faut prendre dans les maternités, les crèches et les établissements d’enfants trouvés, et aussi dans les familles, pour éviter la propagation aux autres enfants ou aux grandes personnes.
Il faut isoler les enfants contaminés, aérer largement les salles communes, éviter l’encombrement, observer minutieusement les soins de propreté et veiller à ce que les linges et les éponges ne servent seulement qu’à l’enfant malade.
Lorsqu’il y a du gonflement des paupières et une suppuration abondante, les personnes chargées des lavages et des instillations auront bien soin de ne pas se placer en face de l’enfant et de détourner la tête au moment d’entrouvrir les paupières. Par suite de la tension intra-palpébrale, le pus est projeté en avant avec violence, et s’il atteint les yeux des personnes voisines, c’est pour les contaminer. Les exemples de ce genre ne sont malheureusement que trop fréquents.
C’est en négligeant toutes ces précautions que la maladie se propage d’enfant à enfant ou aux grandes personnes, et qu’on en arrive à attribuer à une influence épidémique ce qui provient simplement de contaminations successives par les linges, les éponges, les doigts, les eaux de lavage, les éclaboussures, les oreillers, etc.
Lorsqu’il n’y a qu’un œil atteint, il faut tâcher de préserver le second en couchant l’enfant sur le côté malade, en protégeant l’œil sain par une bande ou une espèce de verre de montre comme cela se pratique en Belgique, et en multipliant les soins de propreté. Il faut également, par des voiles et des moyens appropriés, protéger les yeux contre les mouches qui dans les pays chauds surtout, sont souvent des agents de transport du pus contagieux, ainsi que Cuignet l’a observé en Algérie et Anagnostakis en Grèce.
Ce long chapitre sera-t-il lu par d’autres lecteurs que des médecins? Nous l’espérons beaucoup et nous souhaitons qu’il laisse dans leur esprit un souvenir qui leur sera utile le jour où ils auront un enfant.