Читать книгу Lettre à une mère sur l'alimentation du nouveau-né - Achille Dehous - Страница 10
ОглавлениеAvantages de l’Allaitement maternel.
SOMMAIRE: La sécrétion lactée semble être plus stimulée chez la mère que chez une nourrice. — Divers motifs en faveur de cet allaitement. — Il donne moins d’embarras que l’allaitement par une nourrice. — La mère reste dans les mêmes conditions qu’auparavant, tandis que toute la vie antérieure de la nourrice est complètement modifiée. — Avantages au point de vue de l’amour maternel. — Une mère doit renoncer aux plaisirs du monde. — Cependant l’allaitement maternel ne peut pas toujours être conseillé. — Il est nécessaire parfois de prendre une nourrice. — L’allaitement artificiel ne constitue qu’une ressource extrême.
MADAME,
Je vais vous parler de l’allaitement maternel: je m’attacherai tout d’abord à faire ressortir les avantages inhérents à ce mode d’allaitement et que rien ne peut remplacer.
«La sollicitude d’une mère ne se supplée pas» a dit J.-J. Rousseau, et cette pensée n’est pas vraie seulement pour les soins extérieurs et matériels. Elle s’applique à l’appareil nourricier lui-même. En effet, il semble ne pas rester en dehors de ces liens si nombreux qui unissent la mère et l’enfant. Il manifeste sa joie, si je puis m’exprimer ainsi, de n’avoir pas été condamné à l’inaction.
Sans aucun doute, le commerce de sensibilité, établi par la nature entre ces deux existences, agit puissamment sur la lactation. Voyez une mère qui va donner le sein à son nouveau-né ; demandez-lui ce qui se passe en elle: «Je sens le lait monter,» vous sera-t-il répondu, et avant que la succion ait été opérée, le lait s’échappe à flots de ses deux mamelles à la fois. Si les nourrices nous offrent l’occasion d’observer le même phénomène, il est beaucoup, moins prononcé.
On remarque également chez les animaux cette provocation si naturelle de la sécrétion lactée. Ainsi, j’ai entendu dire qu’en Amérique, pour augmenter la production du lait chez les vaches, on trompe leur instinct en plaçant auprès d’elles un mannequin de veau, au moment où on les trait.
Autre preuve en faveur de l’allaitement maternel:
On voit des mères nourrir très-bien leurs enfants; un autre nourrisson goûte-t-il de leur lait, il a des accidents convulsifs. Si ce fait n’était point exceptionnel et heureusement très-rare, l’allaitement par les nourrices aurait à compter avec lui.
Maintenant, sans parler des arrière-pensées que laissent constamment dans l’esprit d’une mère, malgré la rigoureuse observation de toutes les précautions possibles, la santé, les antécédents d’une étrangère, il est certain que l’allaitement maternel entraîne moins d’embarras que l’allaitement par les nourrices.
En négligeant la question d’argent qui a déjà de l’importance pour bien des familles, il faut admettre au foyer domestique une personne de plus et lui trouver, dans une habitation assez restreinte, une chambre suffisamment aérée, où elle pourra vivre ou tout au moins dormir au milieu d’excellentes conditions d’hygiène.
Or, tout cela, en pratique, présente de sérieuses difficultés que la fortune fréquemment, que l’amour des parents toujours savent aplanir, mais qu’il ne faut pas cependant affronter sans besoin réel.
De plus, remarquez, Madame, que la mère ne cesse pas d’occuper la même localité qu’avant son accouchement, et que rien n’est changé dans ses habitudes.
La nourrice, au contraire, quitte le village, la maison où elle demeurait probablement depuis sa naissance, pour venir vivre loin des siens, dans l’intérieur d’une ville.
Souffre-t-elle de ce déplacement, de ce brusque changement dans son genre de vie, son lait en devient moins bon, moins abondant, tarit même tout à fait.
Enfin le sort de son propre enfant lui suscitera des inquiétudes, qui ne sont que trop justifiées, et qui ébranleront encore sa santé.
La mère pèsera mûrement la somme des inconvénients et, convaincue qu’en allaitant elle-même son nouveau-né, elle échappe à tous ces motifs de craintes et de tourments, elle n’aura plus à hésiter.
Et puis, Madame, si nous envisageons la question au point de vue de l’amour maternel, quel bonheur pour une mère de prodiguer seule à son enfant tous ces petits soins de propreté, tous ces détails de toilette que sa faible complexion réclame et qui sont une des sources les plus riches de son développement et de sa beauté.
A vrai dire, la présence d’une nourrice ne l’obligera pas à abandonner ce doux service et je félicite sincèrement les mères qui ne dédaignent point une pareille besogne. Mais le souvenir de la satisfaction accordée aux besoins de sa nutrition parlera plus haut que tout autre chez ce jeune enfant, et, malgré ses caresses, une bonne mère le surprendra désireux de quitter ses bras pour aller se réfugier dans ceux de sa nourrice. Préférence pénible pour celle qui, sur l’avis du médecin et dans l’intérêt du nouveau-né, a dû renoncer à son mandat, mais préférence bien autrement cruelle pour la mère dont la résolution fut dictée par un simple caprice. La première a rempli son devoir, la seconde a failli à sa mission. Néanmoins, que toutes les deux se rassurent: la nature leur laissera la latitude de reprendre leurs droits et leurs prérogatives. L’enfant sera sevré, grandira et oubliera la femme qui l’aura nourri de son lait. Ses petites mains et son sourire s’adresseront à la personne qui saura être tout à la fois sa protectrice, sa compagne et son premier guide. J’ai nommé sa mère.
Lisez, Madame, ces lignes où toutes les fibres du cœur dévoilent leurs émotions:
«L’âme des enfants s’ouvre plus facilement
» lorsque nous sommes seuls avec eux. Je tâche,
» autant que possible, d’être seule avec mon fils.
» Aujourd’hui je l’ai ramené de Neuilly, il s’en-
» dormit dans mes bras, je le couchai sur son lit,
» je lui rendis mille petits soins. Vous auriez dû
» voir comme il était caressant et tendre. Oh! que
» la mère bourgeoise est heureuse!» (Lettres de la duchesse d’Orléans.)
Après ce qui précède, entrerai-je, Madame, dans ces considérations basées sur les relations du monde, qui empêchent parfois une mère de nourrir, lorsqu’elle a d’ailleurs reçu en partage toutes les qualités voulues pour cette fonction?
A la rigueur, ces questions ne sont plus de mon domaine, mais, quand on songe à demander mon avis, je m’empresse de répondre dans le sens de l’allaitement maternel. Je cherche en même temps à obtenir des jeunes intéressées le sacrifice de leurs distractions favorites.
Bals, soirées, concerts, spectacles sont choses dont une mère peut se priver pendant neuf ou dix mois. Cette atmosphère ne convient pas à une nourrice. Une petite promenade lui est bien préférable.
Vous en serez largement récompensée, jeune mère, par les compliments que vous recevrez de toute part sur la santé de votre nourrisson, qui sera ainsi doublement votre ouvrage.
Quel plaisir n’éprouverez - vous pas aussi à assister à ses premiers ébats et à constater par vous-même, à chaque heure du jour, pour ainsi dire, l’accroissement de cette intéressante créature?
Vous voyez, Madame, que je plaide bien franchement la cause de l’allaitement maternel.
Plus tard, dans d’autres circonstances, je préconiserai, avec autant de chaleur, l’allaitement par les nourrices.
Ne croyez pas néanmoins que je sois en désaccord avec mes.principes; non, ma pensée et ma réflexion n’auront pas varié. Du fait seul dépendra ce changement.
L’accoucheur a généralement deux existences à sauvegarder, celle de la mère et celle de l’enfant. Cette vérité est encore dans toute sa force après la naissance de ce dernier. Ainsi, quand la femme est dans des conditions particulières qui font craindre et pour ses jours et pour ceux de l’enfant qu’elle veut nourrir, nous n’allons pas plus avant, nous appelons une nourrice. La conscience nous prescrit cet acte d’humanité. Le négliger ou adhérer complaisamment aux vues d’une famille, est une faute très - grave, car le Medecin risque ainsi la vie de deux individus à la conservation desquels il est spécialement commis. Dans le cas contraire, c’est-à-dire si la mère est bien portante et jouit d’une belle constitution, l’allaitement maternel doit être rigoureusement conseillé, pour ne pas dire imposé.
Quant à l’allaitement artificiel, au petit pot, par le biberon, etc., vous ne me verrez point changer d’opinion à son égard, et jamais je ne m’en montrerai partisan.
Je le subirai comme une triste nécessité, une ressource extrême, lorsqu’il sera tout à fait impossible de recourir à un autre moyen. Afin d’en rendre les conséquences moins désastreuses, je m’efforcerai alors de le réglementer et de lui dicter des mesures de prudence, de précaution dont la pratique ne devra point se départir.
Examinons maintenant en détail les qualités requises pour qu’une mère puisse allaiter elle-même son enfant. A ma prochaine lettre, Madame, le commencement de cette étude.
Daignez agréer, etc.
«Il faut que les mères aient le courage d’entendre
» crier leurs enfants, lorsqu’il est nécessaire de les con-
» trarier pour leur faire prendre de bonnes habitudes.»
(Dr BERGERET, p. 138.)
«L’expérience atteste que le petit nombre de mères
» qui ont assez de courage et de raison pour se mettre
» au-dessus des préjugés, ont toutes des nourrissons
» forts et bien portants, lors même qu’ils sont venus au
» monde avec une constitution faible et délicate.»
(Dr LÉGER, p. 167.)
«N’en déplaise à Jean-Jacques, bien des femmes sont
» forcées de renoncer au doux office de l’allaitement,
» les unes par l’excitabilité de leur système nerveux,
» les autres par les défauts de leur constitution phy-
» sique.
» Que l’on ne s’exagère pas néanmoins les conditions
» de force et d’embonpoint nécessaires au rôle de nour-
» rice; il conviendrait à peu de mères s’il exigeait une
» organisation très-robuste.
» Heureusement beaucoup de femmes, d’une force
» moyenne, le soutiennent à merveille, malgré les oscil-
» lations que la vie sociale et les exigences de certaines
» positions ne manquent pas d’imprimer fréquemment à
» la santé.»
(Michel LÉVY, t. II, p. 131.)