Читать книгу Lettre à une mère sur l'alimentation du nouveau-né - Achille Dehous - Страница 7
Importance de l’Alimentation du Nouveau-Né.
ОглавлениеSOMMAIRE: L’alimentation du nouveau-né n’est généralement pas appréciée à sa juste valeur. — L’allaitement artificiel est substitué à l’allaitement naturel. — Simple coup d’œil sur les inconvénients de cette méthode. — Le nouveau-né constitue, à ce propos, une triste exception dans la nature. — Enumération des diverses espèces d’allaitement. — Choix d’un de ces allaitements. — Manière de procéder suivie le plus souvent par les familles. — Le médecin n’est point consulté. — L’ignorance des jeunes mères est la conséquence de leur éducation.
MADAME,
La question de l’alimentation du nouveau-né paraît être, pour beaucoup d’esprits, même de ceux qui sont éclairés, un détail de la vie sans importance notable, voire même sans signification aucune et qui ne mérite pas d’arrêter un seul instant et notre attention et nos réflexions.
Ne vous récriez pas, Madame; soyez persuadée que ce n’est point là le langage de l’exagération, mais bien celui de la vérité. Les médecins et surtout les accoucheurs en acquièrent tous les jours de nouvelles preuves.
L’homme est si souvent habitué à remplacer et à suppléer la nature par son génie industriel qu’il ne peut pas accepter en esclave, comme une nécessité absolue, indispensable, l’allaitement naturel.
Aussi a-t-il inventé de jolis instruments, plus ou moins ingénieux, afin de permettre au nouveau-né une succion moins laborieuse. Grâce à tous ces perfectionnements, l’allaitement artificiel aurait presque l’ambition d’être rangé parmi les conquêtes de l’intelligence humaine.
Il n’y a certainement pas là de quoi se glorifier.
En effet, à quelles conséquences fâcheuses nous mène cette négligence ou cette prétention, comme on voudra l’appeler!
Pour le présent, une série de périls et d’écueils au milieu desquels on va lancer un fragile berceau. Ce sera une surveillance de tous les jours, de tous les instants, pour savoir si le nouveau-né. sera capable d’arriver au port. Malheureusement toute la sollicitude d’une mère, tous les soins qu’une famille pourra lui prodiguer, ne l’empêcheront pas le plus souvent de faire naufrage à une époque encore peu éloignée de sa naissance.
Et puis, s’il a la chance de franchir les obstacles surnaturels qu’on a mis volontairement sur sa route, ne croyez point que la victoire soit complète.
La défaite n’est qu’ajournée.
Le monde ignore-t-il donc que de la première impulsion imprimée à l’organisme, dépend presque toujours l’avenir physique de l’enfant?
Qu’il se pénètre bien au contraire de cette vérité traduite par les deux passages suivants:
«De l’aliment vient la vigueur du corps, de lui
» vient aussi la maladie.» (HIPPOCRATE.)
«Il est bien démontré aujourd’hui que le
» rachitisme est occasionné, dans la majeure
» partie des cas, par le sevrage anticipé et surtout
» par l’usage des substances grasses et des bouil-
» lies données aux enfants qui n’ont pas fait
» toutes leurs dents.» (DÉCLAT, p. 207.)
A quoi tiendraient, Madame, cet étiolement de nos jeunes filles, cette vieillesse prématurée de nos adultes, cet abâtardissement de la race, si ce n’est à un défaut capital dans la première assise des matériaux nutritifs?
Pourquoi rencontrons-nous si peu de beaux enfants au visage frais et vermeil, aux chairs fermes, solides, bien colorées? Pourquoi ne voyons-nous que de petits êtres au teint terreux, à la figure maigre et tirée, au ventre proéminent, marchant avec peine, tant leurs jambes grêles et tordues semblent s’affaisser sous le poids de l’édifice difforme qui leur est confié ?
Si telle est la pépinière des races qui doivent nous remplacer, avouez, Madame, qu’elle inspire-plus de pitié que d’espoir. Croit-on enfin que ces maladies générales qui épuisent par une dégénérescence progressive les familles et j’oserai dire les nations aussi, n’aient pas leur première origine, leurs premières racines dans cette direction vicieuse et anormale de l’alimentation du nouveau-né ?
On commettrait dans ce cas une grave erreur.
Chose remarquable et triste à dire, il semble que l’enfant jouisse seul du fâcheux privilège de cette déviation des lois naturelles.
Les petits de nos animaux domestiques sont généralement laissés à celle qui les a mis au monde et qui reste chargée de les nourrir de son lait.
D’un autre côté, que de soins n’a-t-on pas pour une jeune plante, une fleur, un arbuste! Nous les mettons dans une terre qui leur convienne; nous leur donnons de l’air, du soleil, de l’eau dans des limites raisonnables; nous les alimentons enfin, si je puis m’exprimer ainsi, avec toutes les précautions imaginables. Et ce culte ne cesse que quand on les suppose capables de résister aux vicissitudes atmosphériques.
Ne croyez pas, Madame, que l’élève de l’homme, la souche toujours renaissante de notre espèce, soit, comme le bétail d’une ferme ou lé produit d’une serre, l’objet d’une sollicitude éclairée. Vous vous tromperiez.
On ne pense pas en vérité que le nouveau-né, frêle et chétive créature en butte déjà naturellement à tant de maladies, sensitive qui a droit à notre protection, à notre tutelle, puisse avoir besoin de ménagements au point de vue de son alimentation.
Les auteurs de ses jours ne le laissent pas profiter du liquide nourricier que la prévoyante nature a préparé exclusivement pour lui.
Il lui en est imposé un autre qui n’est pas fait pour des organes aussi délicats et qu’on falsifie, qu’on arrange de toute façon pour tâcher, en vain, de l’approprier à son nouvel emploi...... Mais n’anticipons pas sur des détails qui reviendront plus loin, quand je vous parlerai, Madame, de l’allaitement artificiel, ce pis-aller de l’alimentation du nouveau-né, et je vous signalerai alors tous les dangers de cette méthode et les funestes résultats qu’elle a presque toujours pour la santé des enfants.
Pour le moment, j’ai voulu vous démontrer que cette question mérite bien l’honneur d’être soumise à notre étude.
Nous nous en occuperons dès aujourd’hui.
Afin de mettre un peu d’ordre dans mon exposition, je dois vous dire que d’après la préférence qui leur est accordée on classe les modes d’allaitement en quatre catégories.
1° Allaitement par la mère;
2° Allaitement par une nourrice sédentaire, interne ou sur lieu, c’est-à-dire qui vient rester avec l’enfant près de la famille;
3° Allaitement par une nourrice à la campagne, ou externe;
4° Allaitement par le biberon, au petit pot, etc.
C’est ce dernier qui a été désigné sous le nom d’allaitement artificiel.
Je ne vous cite pas ici l’allaitement mixte où l’on donne avec le lait de femme un peu de lait de vache; il viendra à propos de l’allaitement maternel dont il sera un corollaire.
L’allaitement par les animaux, par la chèvre en particulier, exige des conditions trop exceptionnelles, pour que je puisse le considérer comme applicable à la pratique générale.
Je vous en dirai cependant quelques mots plus tard.
Faisons maintenant notre choix.
Quelle espèce d’allaitement devrons-nous adopter?
C’est ici, Madame, que se manifeste dans tout son jour l’indifférence dont je vous parlais tout à l’heure.
On va, on marche au hasard; la famille résout la question bien tranquillement à huis-clos ou d’après les conseils de quelque amie, à qui l’on reconnaît un certain degré d’expérience en la matière.
Des gens qui se targuent d’être prévoyants, s’adressent à une garde dont le diplôme de capacité est représenté tout simplement par les deux preuves suivantes: la mise au monde de quelques enfants et plusieurs années de cette pratique, où, comme nous l’avons dit, les absurdités et les usages de la routine la plus aveugle se disputent la place.
Et cependant, quelle confiance le monde n’accorde-t-il pas à ces femmes dont l’assistance est fort utile, sans aucun doute, je suis le premier à le proclamer, quand elles restent dans les limites de leurs fonctions subalternes, mais dont les avis et les prétentions mènent à un résultat presque toujours fatal, lorsqu’elles se donnent le luxe, et cela trop fréquemment, d’empiéter sur un ministère qui leur est totalement étranger.
Instruction, observation, expérience même, tout leur manque.
Qu’ont-elles donc pour imposer ainsi leur manière de voir?
La ténacité, l’aplomb de l’ignorance et de la nullité.
Qu’elles s’occupent de la mère et de l’enfant quant aux soins de propreté, soit; c’est leur affaire. Encore ne le font-elles pas avec tant de zèle qu’elles n’aient souvent besoin d’être stimulées.
Mais qu’elles s’érigent en directrices du traitement et qu’elles prennent en main le gouvernail, c’est une concession que nous ne pouvons ni ne devons leur faire. Un tel rôle n’appartient qu’à celui sur qui pèse toute la responsabilité.
C’est pourtant là, je le sais, un usage reçu et accepté un peu trop complaisamment par quelques-uns d’entre nous. Aussi leur conduite a-t-elle autorisé la propagation d’idées semblables à celles que m’exposait aujourd’hui même une Dame de mes clientes.
Je vous demande la permission de vous rapporter ses propres paroles; elles vaudront mieux que toutes mes réflexions.
Consultée pour savoir si la garde ou mène que sa fille avait eue à son accouchement, l’avait satisfaite, cette mère, tout en ne ménageant pas les éloges mérités, se plaignait de l’entêtement de cette femme et de sa tendance à faire juste le contre - pied de mes prescriptions. Cette Dame avait le tort ou la faiblesse de considérer cela comme un défaut!
Elle s’aperçut de son erreur quand la personne qui lui demandait ces renseignements, manifesta tout l’étonnement que lui causait cette remarque, en s’exprimant ainsi:
«Mais, Madame, cela n’est pas un mal, car ces
» gardes sont plus expérimentées et en savent
» plus à cet égard que nos meilleurs Docteurs. Et
» dans un pays où elles ont une grande réputa-
» tion, l’un de ces Messieurs de la Faculté fut
» très-surpris d’être appelé un jour pour soigner
» un petit enfant indisposé, quand il y avait une
» mène dans la maison. N’avez-vous pas, dit-il,
» la garde qui peut prescrire tout ce qu’il y a
» à faire, aussi bien que moi.»
Vous avouerez, Madame, qu’il faudrait avoir beaucoup de modestie, j’allais dire plus, pour accepter l’opinion de cette Dame et de mon très-honoré confrère.
Vous trouvez dans ce qui précède une grossière ébauche de la garde de couches. Je me dispenserai d’achever le portrait.
Voilà l’oracle qui sera consulté.
Peut-être se donnerait-t-on plus de peine et montrerait-on plus de circonspection s’il fallait faire le choix d’une robe, d’un châle ou s’il s’agissait de dresser la carte d’un dîner.
Bientôt l’arrêt est prononcé.
Peu importe de savoir si la santé de la mère, si celle de l’enfant auront à souffrir, maintenant ou plus tard, de cette détermination.
Telle ou telle décision est prise; elle est dictée par un simple caprice, une considération insignifiante ou bien elle cadre le mieux avec les exigences matérielles des ménages.
L’accoucheur n’est admis qu’à entendre les conclusions. Elles sont sans appel.
En effet, Madame, là comme en matière d’habitation, de mariage, d’hygiène publique ou privée, etc., etc., qu’a-t-on besoin des conseils et des lumières du Médecin?
On fera des bâtiments publics et particuliers où l’air et le soleil n’auront jamais libre et plein accès, quand ces deux modificateurs si précieux n’y seront pas même à la rigueur des visiteurs complètement inconnus; on propagera le mariage consanguin, contre - sens que se gardent bien de commettre les éleveurs de bestiaux, et l’on nourrira l’enfant qui va naître, à sa guise et le plus commodément possible.
J’ai vu mieux, Madame; parfois la famille ne s’occupe pas du tout de ce point important et elle se repose, pendant tout le temps de la grossesse, en comptant sur les inspirations du moment pour résoudre le problème après la naissance. Et alors quel chaos! quel désarroi! quelle tour de Babel à propos d’un fait cependant si sérieux, puisqu’il ne s’agit de rien moins que de la vie d’un enfant!
L’éducation qu’on donne à nos jeunes filles est pour beaucoup dans ce fâcheux état de choses.
Elles sont à peine sorties de pension qu’on les marie, sans leur laisser le temps de faire auprès de leur mère, un stage si précieux pour leur avenir.
C’est en effet dans cette suite de causeries et de confidences, qu’une mère intelligente et éclairée peut mettre la dernière main à l’œuvre et faire une femme d’une jeune pensionnaire. D’autres ont pu lui apprendre la confection d’une layette, mais la mère seule peut exposer à sa fille tous les devoirs de la maternité.
Or, dans ceux-ci, se trouve en première ligne la direction de l’alimentation du nouveau-né.
Si cette méthode était suivie, les bons principes se propageraient dans les familles et nous n’aurions pas à être si souvent témoins de ces spectacles affligeants qui prouvent toute l’ignorance des jeunes accouchées.
Evitons, Madame, ces tracas, ces ennuis, toujours si pénibles pour le cœur d’une mère, et puisque vous me faites l’honneur de me consulter, passons en revue les différents modes d’allaitement cités plus haut.
Ce sera, Madame, l’objet des lettres suivantes.
Daignez agréer, etc.
«Le lait est déjà presque du sang tout formé auquel
» il ne manque qu’un degré de plus d’élaboration pour
» devenir du sang parfait.»
(DONNÉ, p. 303.)
«L’élément qui domine dans le lait de la femme, c’est
» le sucre et avec raison, parce que la respiration est la
» fonction la plus active du nouvel individu; le lait des
» autres espèces animales ne saurait donc convenir.»
(Dr DAMOURETTE, p. 55.)
«L’expérience faite par M. le Dr Delabarre sur les » chiens, prouve que rien ne vaut le lait maternel; qu’il » est pour les mammifères l’aliment par excellence et » que sa puissance nutritive est de beaucoup supérieure » à celle d’un lait étranger quelconque et à plus forte » raison à celle de l’aliment artificiel le plus habilement » composé.»
(DÉCLAT, p. 205.)
«Le lait tel qu’il est élaboré dans le sein de la femme
» étant la seule nourriture qui convienne à tous les
» enfants, qui suffise à toutes les exigences du jeune
» âge, l’oubli de cette loi de la nature a une influence
» positive sur le développement d’un grand nombre de
» maladies et particulièrement du muguet.»
(Dr SEUX, p. 15.)