Читать книгу Le Théâtre de Saint-Cyr (1689-1792) : d'après des documents inédits - Achille Taphanel - Страница 12

Programme d’une éducation chrétienne, noble et raisonnable.

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Cette institution, si sagement, si maternellement organisée, n’était pas tout-à-fait exempte de reproche. L’éducation aristocratique de Saint-Cyr s’appropriait fort bien sans doute, comme l’entendait Louis XIV, à la naissance et à la qualité des élèves; mais il y a toujours un peu de frivolité au fond des institutions féminines. Madame de Maintenon ne put s’empêcher d’encourager par son indulgence, et aussi par son exemple, l’innocente coquetterie de ses petites filles. Elle alla jusqu’à leur distribuer des dentelles et des perles; on la voit constamment préoccupée dans ses lettres du soin de leur «taille». Elle-même, déjà vieille et presque toujours enfermée à Saint-Cyr, conserve encore ses habitudes d’élégance:

«N’oubliez pas le taffetas gris de mademoiselle d’Aumale, écrit-elle à la marquise de Villette (12 juin 1710), et en même temps apportez-moi, je vous prie, des échantillons, ou plutôt des pièces, si on veut vous les confier, de plusieurs sortes d’étoffes blanches. J’en suis insatiable, et pour le jour et pour la nuit. Quelques taffetas façonnés me seroient bien nécessaires pour une robe de jour; mais je voudrois qu’il fût un peu fort. Je bouffe si peu par ma personne, qu’il faut que je bouffe par mes habits. Mademoiselle d’Aumale voudroit bien bouffer aussi et n’avoir pas un taffetas mollasse... »

Après tout, une légère pointe de coquetterie et de belle humeur ne messied pas à la fondatrice de Saint-Cyr. On nous l’a trop longtemps représentée comme une puritaine guindée et revêche. Saint-Simon et la Palatine en ont fait une espèce de duègne: ils n’ont montré que l’envers de ses qualités; ils ont tourné en ridicule sa haute raison, son esprit politique, sa piété, son goût sévère et correct; et parce qu’elle faisait passer avant toutes choses le soin de sa réputation, de sa gloire, comme on disait, ils l’ont taxée de vanité et d’égoïsme.

Madame de Maintenon était aussi simple et aussi modeste que peut l’être une personne illustre entourée d’un faste royal; elle était surtout bonne et indulgente, et possédait à un degré rare la science et le talent de l’éducation. A Saint-Cyr on l’adorait; elle régnait avec douceur, et cependant avec autorité. Elle aimait et stimulait la gaieté étourdie des jeunes filles, se mêlait à leurs jeux, se plaisait à leur bruit, à leurs cris; elle disait: «J’aime tout en elles, jusqu’à leur poussière!»

Dans ses plans d’études, la récréation tenait une grande place. Elle avait compris qu’un en seignement trop sérieux, trop méthodique, ne convient pas à l’enfance; qu’il faut lui rendre l’étude facile, divertissante même. Tout à Saint-Cyr, jusqu’à la religion, devait être aimable. On se garda bien d’y laisser pénétrer cette dévotion janséniste, si répandue au XVIIe siècle, dévotion étroite, méticuleuse, toute pleine de subtilités, et d’ailleurs très-entachée d’hérésie. «La piété, disait Madame de Maintenon, ne doit être ni triste ni austère, mais au contraire gaie par le repos d’une bonne conscience .»

Les demoiselles de Saint-Cyr étaient élevées dans ces principes. On leur enseignait Dieu tel que nous le montre l’Evangile, c’est-à-dire bon, paternel et familier. Elles l’aimaient; elles aimaient leur jolie chapelle, elles l’entretenaient elles-mêmes; toutes, jusqu’aux plus petites, y apportaient des fleurs. Elles chantaient aux offices sous la direction d’un maître habile; et c’est ainsi que l’on trouva dans la suite, pour les chœurs d’Esther, des éléments tout prêts.

«Nous voulions, disait encore Madame de Maintenon, une éducation solide, éloignée de toutes les petitesses de couvent; de l’esprit, de l’élévation, un grand choix dans nos maximes; une grande liberté dans nos conversations, un tour de raillerie agréable dans la société... et un grand mépris pour les pratiques des autres maisons...» Elle voulait que les Dames prêchassent surtout d’exemple: «Vos filles, écrivait-elle à Madame de la Mairie, seront à peu près telles que vous serez: si vous êtes de bonne foi, elles seront de bonne foi; si vous agissez droitement, elles agiront droitement; si vous vous relâchez, elles se relâcheront; si vous êtes extérieures, elles seront extérieures; si vous faites autrement quand on vous voit que lorsque l’on ne vous voit pas, elles feront de même; si vous vous donnez tout entières, elles se donneront aux choses dont vous les chargerez; si vous vous cachez de vos supérieures, elles se cacheront de vous... »

Les directeurs ecclésiastiques de Saint-Cyr approuvaient cette éducation à la fois «chrétienne, noble et raisonnable». Le Roi était pénétré des mêmes idées: il pensait qu’en «bornant à des lectures et à des exercices religieux trop multipliés l’éducation des femmes, on les laisse dans l’ignorance des choses les plus ordinaires de la vie .»

Durant cette première et brillante période, Saint-Cyr fut bien, comme le dit M. Lavallée, la maison la plus littéraire du royaume. On y vit renaître, moins la galanterie et l’afféterie, les belles traditions des hôtels de Rambouillet, d’Albret et de Richelieu, dont Madame de Maintenon, elle-même l’avoue, avait peine à perdre le ton. On y écrivit des lettres en style de Voiture; on y apprit à rimer; on y parla cette langue exquise des Précieuses de la bonne époque, des la Fayette, des Coulanges, des Sévigné ; on se passionna pour le bel esprit et les belles manières.

Cependant la grande difficulté fut de mettre entre les mains de ces jeunes filles des ouvrages sérieux et bien écrits, également propres à les édifier et à les instruire. Madame de Maintenon en trouva fort peu d’irréprochables. C’est pourquoi elle se décida à faire appel, non-seulement à Racine, mais encore à la plupart des bons auteurs de son temps. Elle écrivait au duc de Noailles:

«N’auriez-vous pas sous votre protection un bel esprit qui eût un appétit égal à son mérite, et qui n’eût pas un revenu égal à son appétit? De mon temps, cela se trouvoit. Eh bien, je voudrois qu’il me fit pour mes enfants de petites histoires qui ne leur laissassent dans l’esprit que des choses vraies. Je ne voudrois pas qu’il y eût de merveilleux, car je connois le danger qu’il y a à ne pas accoutumer l’esprit à des mets simples. Vous traiterez tout cela comme n’ayant pas à payer un travail mercenaire, et vous envelopperez de toutes vos politesses les vues grossières que je vous propose.»

Madame de Maintenon a composé elle-même un très-grand nombre d’ouvrages destinés à la récréation et à l’instruction des Demoiselles. Ce sont des chefs-d’œuvre de style, d’esprit et de raison.

L’établissement de Saint-Cyr lui acquit de son vivant une réputation européenne. Nul ne s’étonna que Louis XIV l’eût élevée presque jusqu’au trône, et, malgré le mystère dont elle avait voulu que fût entouré son mariage, elle se vit partout traitée en reine. Un prédicateur ne craignit pas de lui en décerner le titre du haut de la chaire; les papes Alexandre VIII et Clément XI lui écrivaient directement, pour lui recommander des princes de l’Église; Innocent XII lui envoyait de riches présents accompagnés d’indulgences extraordinaires, et lui accordait par un bref spécial le droit «d’entrer dans les monastères du royaume, d’y manger dans le réfectoire et d’y converser avec les religieuses. » C’était un privilége tout royal .

Le Théâtre de Saint-Cyr (1689-1792) : d'après des documents inédits

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