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L’Institut de madame de Maintenon.

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Quelques jeunes filles pauvres avaient été recueillies et élevées à grand’peine par deux religieuses Ursulines, mesdames de Brinon et de Saint-Pierre, à Montmorency d’abord en 1680, puis, deux ans plus tard, à Rueil, dans une sorte de grande étable, et enfin, grâce à l’intervention charitable de Madame de Maintenon, au château de Noisy.

Peu à peu les secours du Roi arrivèrent, devinrent même considérables, et l’on eut l’idée de transformer cet asile provisoire en un établissement régulier où l’on ne recevrait que des filles d’officiers nobles et sans fortune.

Madame de Maintenon s’était de tout temps intéressée au sort de cette noblesse militaire à laquelle appartenait sa propre famille, et qui vivait misérablement en province, épuisée par les guerres, sans jamais être indemnisée ni secourue, tandis que la noblesse de cour, oisive et opulente, jouissait seule des bienfaits du Roi.

Une telle partialité était peu généreuse et nullement politique. Louis XIV enfin le comprit et songea sérieusement à venir en aide à la noblesse pauvre. C’est dans cette pensée qu’il fonda les Invalides, où l’on devait surtout admettre des officiers vieux et blessés, et qu’il créa les compagnies de cadets, où l’instruction militaire était donnée à 4,000 fils de gentilshommes.

Madame de Maintenon trouva donc le Roi tout disposé à adopter et à réaliser ses projets. Il fit de la fondation de Saint-Cyr son œuvre personnelle, et exposa lui-même dans un magnifique langage le but et l’esprit de l’institution:

«Comme nous ne pouvons assez témoigner, dit-il, la satisfaction qui nous reste de la valeur et du zèle que la noblesse de notre royaume a fait paroître dans toutes les occasions en secondant les desseins que nous avions formés et que nous avons si heureusement exécutés, avec l’assistance divine, pour la grandeur de notre État et pour la gloire de nos armes..., nous avons établi plusieurs compagnies dans nos places frontières, où, sous la conduite de divers officiers de guerre d’un mérite éprouvé, nous faisons élever un grand nombre de jeunes gentilshommes, pour cultiver en eux les semences de courage et d’honneur que leur donne la naissance, pour les former, par une exacte et sévère discipline, aux exercices militaires, et les rendre capables de soutenir à leur tour la réputation du nom françois; et, parce que nous avons estimé qu’il n’étoit pas moins juste et moins utile de pourvoir à l’éducation des demoiselles d’extraction noble, surtout pour celles dont les pères, étant morts dans le service ou s’étant épuisés par les dépenses qu’ils y auroient faites, se trouveroient hors d’état de leur donner les secours nécessaires pour les faire bien élever..., nous avons résolu de fonder et d’établir une maison et communauté, où un nombre considérable de jeunes filles issues de familles nobles, et particulièrement de pères morts dans le service ou qui y seroient actuellement, soient entretenues gratuitement et élevées dans les principes d’une véritable et solide piété, et reçoivent toutes les instructions qui peuvent convenir à leur naissance et à leur sexe... .»

Le village de Saint-Cyr, situé à l’extrémité du parc de Versailles, fut choisi pour y établir la communauté. On acheta au marquis de Saint-Brisson un petit château assez peu habitable, construit dans un fond marécageux, mais entouré de vastes dépendances. On ne se servit pas des bâtiments; Mansard fut chargé d’en construire de nouveaux. Mais, quoiqu’il eût pu facilement porter l’édifice dans un lieu plus élevé et plus salubre, il conserva l’ancien emplacement.

Madame de Maintenon ne lui pardonna jamais cette négligence. «J’aurois voulu, disait-elle, donner à mes filles une complexion forte et une santé vigoureuse, et le mauvais choix de Mansard m’est un obstacle insurmontable. Je ne puis voir la méchante mine d’une de ces pauvres enfants sans maudire cet homme.»

La maison, avec les jardins et les aqueducs, fut construite en quinze mois; plus de deux mille ouvriers y travaillèrent. Le Journal de Dangeau, que nous consulterons souvent, nous donne la date précise de l’inauguration de Saint-Cyr:

«Lundi 29 août 1686. Les demoiselles qui sont à Noisy commencèrent à en partir. Elles seront trois ou quatre jours à déménager.»

M. Lavallée dit que la communauté entière se transporta à Saint-Cyr du 30 juillet au 2 août. Il se fonde sur une lettre dont l’original n’est point daté, et dans laquelle Madame de Maintenon suppose que la translation de Noisy à Saint-Cyr «pourra» commencer le 30 juillet. A propos de cette très-légère erreur, disons une fois pour toutes que Dangeau, dont on a souvent plaisanté mais jamais contesté l’exactitude, écrit au jour le jour, et ne saurait se tromper.

Le voyage se fit avec pompe: le Roi prêta ses carrosses et sa livrée; les Suisses de sa maison servaient d’escorte. En tête, marchaient des prêtres portant la croix et les reliques de saint Candide. Ces reliques, enfermées dans une châsse de cristal que recouvrait une moire blanche brodée d’or, avaient été envoyées par le Pape à Madame de Maintenon en 1683.

Les lettres patentes citées plus haut sont du mois de juin 1686. Dangeau en eut immédiatement connaissance, car, à la date du 6 juin, il nous en donne dans son Journal l’analyse complète:

«Le Roi a donné des lettres patentes pour l’établissement de la communauté de Saint-Cyr et pour partie de la fondation, qui doit être de 50,000 écus de rente; il y a uni la mense abbatiale de l’abbaye de Saint-Denis, qui va à peu près à 100,000 francs. Madame de Maintenon en aura la direction générale; Madame de Brinon sera supérieure de la communauté, et l’abbé Gobelin sera supérieur ecclésiastique avec 2,000 francs de pension. Il y aura trente-six Dames, vingt-quatre Sœurs converses et deux cent cinquante Demoiselles; les Dames et les Demoiselles font preuve de trois races ou de cent ans de noblesse, et d’Hozier est le généalogiste .»

On voit que Dangeau cite de mémoire: il s’écarte un peu ici du texte des lettres patentes. On exige quatre degrés, du côté paternel seulement; et Languet de Gergy, dans ses Mémoires pour servir à L’histoire de la maison de Saint-Louis, fait observer qu’on ne demande pas de preuves du côté maternel, parce que, d’ordinaire, c’est la noblesse la plus pauvre qui se mésallie pour se soutenir, et que le but unique de l’institut était précisément de venir en aide à cette noblesse.

Ajoutons encore aux renseignements donnés par Dangeau, que la communauté, placée sous la protection de la Vierge et sous l’invocation de saint Louis, était soumise à l’autorité de l’évêque de Chartres «pour tout ce qui dépend de la visite, correction et juridiction épiscopale. » — L’évêque, Ferdinand de Neuville, approuva les constitutions, dont Racine avait été chargé de revoir le texte au point de vue du style . Le Pape les lut et fit savoir qu’il en avait été édifié.

Madame de Maintenon refusa le titre et les honneurs d’Institutrice de la maison de Saint-Louis, que lui offrait Louis XIV. Mais le Roi voulut au moins lui conférer par un brevet toutes les prérogatives, autorité et direction nécessaires à une fondatrice, et lui assurer, sa vie durant, la jouissance de l’appartement qu’on avait fait construire pour elle . Madame de Brinon, qui devait être plus tard disgraciée par sa faute, fut nommée Supérieure à vie, contrairement aux constitutions, qui voulaient que la Supérieure fût triennale.

La principale condition d’admission dans l’Institut de Saint-Louis était la noblesse, qui impliquait nécessairement alors le mérite militaire, et dont le généalogiste du Roi vérifiait les preuves. La seconde condition indispensable était la pauvreté, que certifiaient l’évêque et l’intendant de la province .

Les Demoiselles étaient reçues de sept à douze ans et devaient quitter la maison après leur vingtième année accomplie. A leur sortie, elles recevaient une petite dot d’environ 3,000 livres, qui leur servait à entrer au couvent, et quelquefois, mais bien rarement, à se marier: car il ne paraît pas que les élèves de Saint-Cyr, malgré l’incomparable éducation qu’elles avaient reçue, fussent, même dans leurs provinces, des partis très-recherchés. «Ce qui me manque, disait Madame de Maintenon, ce sont des gendres. Je trouve peu d’hommes, mes chères enfants, qui préfèrent vos vertus aux richesses qu’ils peuvent rencontrer.»

Il s’en présenta pourtant quelques-uns. «Madame de Maintenon, nous dit Saint-Simon, choisissoit d’ordinaire une Demoiselle ou deux à Saint-Cyr, des plus prêtes à quitter la maison, pour se les attacher, leur dicter ses lettres et s’en faire accompagner partout. Le Roi, qui les voyoit sans cesse, prenoit souvent de la bonté pour elles et les marioit.»

L’une des jeunes filles que Madame de Maintenon s’attacha ainsi, la plus connue et certainement la plus aimable, mademoiselle d’Aumale, ne se maria point. Mais ce ne furent pas les partis qui lui manquèrent. Son amitié pour Madame de Maintenon, sa piété, son peu de goût pour les plaisirs et pour le monde, l’éloignaient du mariage. Une autre, mademoiselle d’Osmont, épousa M. d’Avrincourt, riche gentilhomme, à qui le Roi accorda le gouvernement d’Hesdin en Artois. La jeune duchesse de Bourgogne s’amusa fort à cette noce, et Saint-Simon rapporte que, pour se divertir et aussi pour plaire à Madame de Maintenon, elle voulut donner elle-même la chemise. Cette gentillesse n’a de sens que pour qui connaît l’étiquette et les habitudes de la Cour. Les autres secrétaires de Madame de Maintenon furent: mademoiselle de Loubert, qui devint supérieure; mademoiselle de Saint-Etienne, qui mourut dame de Saint-Louis; mademoiselle de Castéja, qui épousa M. de la Lande, gentilhomme du duc du Maine; mademoiselle de Tonnancourt, qui fut rendue avant l’âge à sa famille; mademoiselle de Bouju, qui devint Ursuline, et mademoiselle de Mornanville, qui épousa le président de Chailly.

Louis XIV répandait chaque jour de nouveaux bienfaits sur l’Institut de Saint-Louis. Il se préoccupait avec une grande sollicitude de la santé et du bien-être des élèves; son intérêt les suivait jusque dans leur famille, après leur départ de Saint-Cyr. Par une déclaration dont l’original est conservé aux archives de la préfecture de Versailles, il voulut que les jeunes filles renvoyées de la maison pour infirmité ou maladie, jouissent d’une pension alimentaire de cent cinquante livres par an, jusqu’à l’âge de vingt ans, et qu’on leur fit toucher alors, comme aux autres, une dot de 3,000 livres.

Il est probable qu’on abusa de ces dispositions bienveillantes. Le confesseur du Roi, à qui devaient être adressés dans l’origine tous les placets relatifs à la maison de Saint-Cyr, en fut tellement obsédé, qu’il fallut le débarrasser de cette charge. A partir du 15 mars 1709, ainsi que Dangeau nous l’apprend, les placets furent renvoyés au chancelier Voysin, lequel, en sa qualité d’administrateur, était moins facile à attendrir .

Le Théâtre de Saint-Cyr (1689-1792) : d'après des documents inédits

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