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CHAPITRE IV

Table des matières

LE THÉATRE

Madame de Maintenon fit dresser un joli théâtre dans le vestibule des dortoirs, au deuxième étage du grand escalier des Demoiselles. L’un de ces dortoirs, celui de la classe jaune, servait de foyer aux actrices. «Il y avoit du feu et toutes les choses nécessaires.» La maîtresse générale des classes et les autres maîtresses veillaient à ce qu’il ne se passât rien qui ne fût dans l’ordre, et Racine, souvent aidé de Boileau, son ami, était là pour diriger les actrices et les faire aller et venir sur le théâtre quand il fallait. «Sa conduite étoit si sage, disent les Dames, qu’en un besoin il auroit bien valu une maîtresse.»

Afin de mettre quelque variété dans les décors, on avait prié Racine de ne pas observer avec trop de rigueur l’unité de lieu . L’action se passe tout entière dans le palais d’Assuérus, à Suze, mais le théâtre représente successivement: au 1er acte, l’appartement d’Esther; au 2e acte, la chambre où est le trône d’Assuérus, au 3e acte, les jardins d’Esther et l’un des côtés du salon où se fait le festin .

Tous ces décors furent peints par Bérain, décorateur des spectacles de la cour. Ce fut lui également qui dessina les costumes. «Il ne se fait rien de beau en France touchant les habits, dit le Mercure galant , qui ne soit de M. Bérain. » Madame de Maintenon fit faire pour les actrices de magnifiques habits à la persane, couverts de pierreries. Le Roi avait voulu qu’on y employât les perles et les diamants qu’il avait autrefois portés dans ses ballets. La dépense s’éleva à plus de 14.000 livres. Ce riche matériel, réparé à grands frais vers le milieu du XVIIIe siècle, existait encore à l’époque de la Révolution, comme le prouve un inventaire du théâtre dressé en 1790, et que nous publierons en entier .

Nous y retrouvons des colliers, des parures, plus de douze cents «pierres brillantes» de toutes couleurs; le trône d’Assuérus, le décor du jardin d’Esther, vingt coulisses «avec les toiles plafonnées,» c’est-à-dire des bandes de toile peintes, allant transversalement d’une coulisse à l’autre au-dessus de la scène, et simulant tantôt un plafond, tantôt un ciel, et trois rideaux, outre celui de l’avant-scène. Ces rideaux tenaient lieu de toile de fond dans certains décors. Il y en avait un sans doute pour l’appartement d’Esther, un pour la chambre d’Assuérus et un pour le vestibule du temple aux représentations d’Athalie; car Athalie, comme nous le verrons plus loin, avait aussi ses décors et ses costumes.

Nous remarquerons encore, parmi les menus objets que mentionne l’inventaire du théâtre, les «trente-cinq biscuits de fer-blanc» qui servaient à parer la table du festin d’Esther, et les «plaques, sabres, piques, de bois et fer-blanc.» dont on armait les gardes d’Assuérus. Il paraît que les demoiselles de Saint-Cyr faisaient grand usage de cet équipement guerrier, car l’auteur de l’inventaire, voulant arrêter l’abus et la dépense, a soin d’avertir que ces objets ne sont remplacés «qu’à l’extrémité.»

Nous trouvons dans les Mémoires des dames de Saint-Louis une description générale du théâtre qui complète les détails donnés plus haut. Le vestibule des dortoirs avait été partagé en deux parties, l’une pour la scène, l’autre pour les spectateurs. On construisit le long des murs quatre rangs de gradins en amphithéâtre pour y placer les Demoiselles; les rouges, c’est-à-dire les plus jeunes, étaient sur les bancs d’en haut; les vertes au-dessous d’elles; les jaunes au-dessous des vertes et les bleues en bas. Les rubans de soie aux couleurs des classes avaient été distribués avec profusion sous forme de ceintures, de colliers, de nœuds de coiffe et d’épaule; cela faisait une diversité fort gaie et fort harmonieuse.

Un amphithéâtre plus petit fut disposé dans la partie inférieure de la salle, tout près de la scène, pour la Communauté, et l’on ménagea entre les deux amphithéâtres un espace assez large et garni de sièges pour le Roi et les personnes du dehors.

Nivers, organiste de la maison, accompagnait au clavecin, et les musiciens de la chambre du Roi composaient l’orchestre. Des lustres de cristal éclairaient cette belle assemblée. Enfin, «depuis le vestibule d’en haut jusqu’à la porte de clôture, c’est-à-dire l’escalier des Demoiselles, le grand corridor, l’escalier des Dames, tout étoit éclairé aux bougies.»

Le Théâtre de Saint-Cyr (1689-1792) : d'après des documents inédits

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