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I
ОглавлениеGeorges Sioul est né en province, dans une petite ville de quelques milliers d’habitants; il était fils d’un honnête négociant, peu éclairé sur les difficultés et les nécessités de la vie.
Tout jeune, son père lui laissa, comme on dit vulgairement, la bride sur le cou.
«Tu feras, lui disait-il souvent, ce qu’il te plaira.»
Homme faible par excellence, ce père ne donna aucune direction sérieuse à cette nature ardente, et la laissa croître à son gré !
Sa mère s’occupa plus de lui. Mais femme pieuse à l’excès et imbue des principes religieux, elle essaya de faire de son fils plutôt un dévot qu’un homme; et, au lieu de montrer à son enfant la vie vraie et réelle, elle fit tout ce qui dépendait d’elle pour développer en lui les sentiments religieux qu’il n’avait pas et qu’il n’eut jamais.
La nature fait bien ce qu’elle fait et n’aime pas à être contrariée. On a beau faire, on ne parviendra jamais à nous détourner de la voie qu’elle a tracée à chacun de nous.
Nous naissons poëte ou musicien; et, aussi risible que cela puisse paraître, j’affirme qu’on naît épicier.
L’enfant est une plante que les parents doivent soigner, comme s’ils avaient peur qu’elle ne vive pas. Il faut s’occuper et s’inquiéter de son enfant comme de la première bouture venue: lui donner les aliments qui lui conviennent, l’aider dans sa croissance, l’étudier toujours, le comprendre si l’on peut, et le deviner surtout. Que d’hommes sur la terre ne réussissent pas et sont toujours malheureux par la faute de leurs parents!
Il plaît à un père de faire de son fils un médecin et il le fait, sans savoir si cette carrière conviendra, plaira à son fils; mais l’amour-propre paternel est satisfait.
On fait ambitieux souvent des hommes qui ne le sont guère: tel qui est un très-mauvais négociant eût fait un excellent laboureur!
Voilà pourquoi il y a dans la vie tant de dévoyés qui se considèrent comme déshérités, et qui en veulent à cette pauvre société qui n’en peut mais!
Je me résume: on aime trop ses enfants pour soi, et pas assez pour eux.
Revenons à Georges Sioul. Sa mère, en essayant de faire de lui un homme d’Église, en faisait un ignorant, au moins des choses de la vie. En voulant lui faire détester les plaisirs de la terre et lui faire aimer les joies du ciel, elle atteignit le contraire de ce qu’elle désirait.
L’enfant grandit et n’aspira qu’aux joies du monde.
Son père lui laissant libre carrière, il secoua bien vite le joug que sa mère croyait avoir sur lui et demanda à quitter le foyer paternel, — à partir.
— Et où veux-tu aller, grand Dieu! lui demanda sa trop bonne et infortunée mère.
— Voyager! répondit-il crânement.
Le malheureux! pensa la pauvre mère. Mon fils est perdu! Perdu pour elle, peut-être, mais pour lui?...
La fin de ce récit nous l’apprendra.
Il avait seize ans à peine, il partit.