Читать книгу Mâle et femelle - Albéric Glady - Страница 5
III
ОглавлениеIl avait vingt ans quand il arriva à Paris.
La vie que l’on y menait l’étonna d’abord, puis il s’y fit et par la suite il l’aima.
Au contact des gens qu’il fréquentait (quoique très-circonspect à l’égard des soi-disant amis que l’on rencontre), l’ambition le prit.
Il devint ambitieux, comme on devient amoureux, tout d’un coup.
Vivre de cette grande vie, se faire un nom! être quelqu’un! briller! être riche! opulent! Avoir un bel hôtel! de beaux appartements, de beaux chevaux; que sais-je? toutes les délices de Capoue envahirent son imagination. Les Mille et une Nuits lui parurent pouvoir devenir une réalité.
Ce jour-là, il réfléchit beaucoup; toute la nuit il fut agité, il se tourna et retourna dans son lit, qui sait combien de fois
Mais, se disait-il, que faire? oui, que faire?
Il voulait bien devenir riche, mais aussi être quelqu’un. Il tenait absolument à acquérir honneur et argent; l’argent sans l’honneur il ne pouvait en entendre parler. La fortune acquise par le bénéfice d’un objet quelconque acheté un louis et revendu deux, ne lui allait pas.
Gloire de boutiquier! disait-il, honneur de bourgeois! triomphe des. denrées plus ou moins coloniales!
De l’or, oui, mais de l’or bien propre, bien jaune, bien brillant et qui ne sente pas la mélasse surtout; et, à l’exemple du titi parisien dont il contrefaisait et l’accent. et la voix, «Ou n’en faut pas!»
Il se mit à chercher.
Dans un an, pensait-il, je serai majeur, j’aurai vingt et un ans, mes parents auront assez de confiance en moi, j’ose l’espérer, pour me prêter quelques capitaux, et avec cela il faudra que moi aussi je livre bataille, que je me fasse place, que je joue des coudes drus et serrés si je veux arriver.
La vie — il le savait — est plus qu’une lutte, c’est une coterie.
On peut se la représenter aisément en se figurant un mât de cocagne bien graissé ; tous se bousculent pour arriver au pied du mât: il faut fendre la foule qui l’entoure, bousculer, tomber, se relever, marcher sur ceux qui sont à terre et qui ne peuvent se relever, lutter, se battre, recevoir des coups, en donner si l’on peut et si on a le temps, et pousser, pousser toujours.
Enfin vous voilà avec les favorisés, vous êtes au pied du mât de cocagne, vous croyez avoir tout fait, et pauvre malheureux que vous êtes, tout reste à faire; il faut encore lutter, se battre pour pouvoir prendre le fameux màt à bras-le-corps et grimper. Enfin vous le saisissez, vous vous cramponnez, vous restez là, une seconde, un siècle, pour reprendre haleine. Vous reprenez courage, vous vous stimulez vous-même, vous vous excitez. Allons! vous dites-vous, la moitié du chemin est fait; se laisser abattre serait plus qu’une désertion, ce serait une lâcheté ! Allons! Et vous grimpez. Mais chose que vous n’aviez pas prévue, naïf que vous êtes, c’est que ceux qui sont là comme vous pour la décrocher, la fameuse timbale de la vie! vous empêchent de monter et vous tirent par les pieds.
Mais doué d’une énergie sans bornes et d’une volonté de fer, vous montez malgré tous les accrocs qui sont faits à votre culotte.
Enfin vous y êtes, vous allez triompher, vous avez gagné ! à vous le succès! la gloire! Oui, mais vous aviez compté sans ceux qui sont au bout du mât, qui vous tapent sur les doigts pour vous faire lâcher prise et vous faire dégringoler, vous trouvant bien osé de prétendre, après avoir fait tout ce qu’ils ont fait, et quelquefois plus, — ayant, eu plus à lutter, le nombre d’amateurs de timbale augmentant de jour en jour, — d’être admis en leur noble compagnie.
Et voilà pourquoi souvent on se croit arriver dans la vie, quand un vieux gâteux dit d’une voix d’eunuque à ses confrères «Il est bien jeune ce gaillard-là...».