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VI

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Dans les premiers jours du mois d’août 18.., Georges Sioul arriva à X...

Il fut reçu par ses parents et amis, comme on reçoit un transfuge, — d’une façon circonspecte, voire même malveillante.

Ses plus proches, craignant qu’il ne leur empruntât de l’argent, le tinrent à l’écart. Il faut avoir habité la province pour en connaître tout le crétinisme mercantile.

Il faut avoir vécu au milieu des provinciaux pour se faire une idée réelle de leur avarice et de leur petitesse d’esprit. J’en ai vu, j’en connais qui sont à la tête d’une fortune considérable et qui vivent comme des mécréants, se privant, non-seulement de luxe, de confortable, mais même du nécessaire.

Je sais un jeune homme, certainement à la tête d’un million de fortune, qui se prive de manger des huîtres vu leur prix exorbitant, et qui prétend que tout le monde devrait faire comme lui, car alors elles baisseraient de valeur et se vendraient un prix raisonnable, dit-il.

Il serait trop long de citer des exemples à l’appui de mon dire, mais je veux ajouter un fait qui caractérise bien nos mœurs provinciales.

Un riche propriétaire fut nommé tuteur du fils d’un de ses amis intimes qui venait de mourir.

Ce jeune homme devait être à sa majorité à la tête de cinq cent mille francs,— ci vingt-cinq mille francs de rentes. — Il était âgé de dix-huit ans quand son père mourut.

Le tuteur continua d’élever son pupille avec ses idées et sa manière de voir et essaya d’en faire un crétin comme lui. Il n’y réussit pas et en fit un débauché, c’est fatal!

Que croyez-vous qu’il lui donnait, à la veille de sa majorité, comme argent! Je vous le donne, en cent, en mille. Comme vous ne devineriez pas, je préfère vous le dire: cinq francs par semaine! Et notez que ce jeune homme habitait une grande ville du Midi. — N’est-ce pas écœurant, je vous le demande?

Comment! voilà un jeune homme qui va être en possession d’une fortune relativement considérable, qui aura à dépenser plus de deux mille francs par mois, et on lui donne une misérable pièce de cent sous à dépenser par semaine!— Qu’arriva-t-il? Point n’est besoin de le dire: l’enfant tourna mal, c’est-à-dire qu’il dilapida cette fortune dont on avait été si parcimonieux. En quelques années il fut ruiné.

Toute la famille se rua contre lui et cria haro sur le malheureux jeune homme, qui était tout étonné de ce qui lui arrivait.

Eh bien, franchement, doit-on rendre responsable de sa mésaventure et de ses folies ce pauvre garçon? Non, cent fois non! Le coupable c’est le tuteur.

Si, au lieu d’avoir été vis-à-vis de son pupille d’une économie sordide, il lui eût donné de l’argent selon son âge et sa position, il aurait eu le temps de lui faire apprécier la valeur de l’argent et par cela même eût évité autant que faire se peut cette transition qui ne put que griser ce malheureux garçon, qui crut que son argent ne s’épuiserait jamais..................

On croirait, à voir vivre ces infortunés provinciaux, que nous sommes sur la terre uniquement pour mettre une pièce de cent sous l’une sur l’autre; — et c’est ce qu’ils font; aussi rien ne les effraye comme un Parisien, vocable qui pour eux est synonyme de dépensier et de jouisseur.

Ils ont raison souvent, mais il faut avouer qu’ils se trompent quelquefois.

A Paris on gagne l’argent facilement presque toujours, ou on végète.

Quoi d’étonnant qu’on le dépense de même?

Il est juste et équitable d’ajouter que, vu tous les obstacles qu’on est obligé de surmonter pour arriver à la fortune, on mérite bien ce que l’on a gagné.

Donc notre pauvre Georges fut plutôt discuté et contesté surtout que félicité de la position qu’il avait su se faire au milieu de ce grand tourbillon qu’on appelle Paris.

S’il était arrivé avec une fortune faite, s’il eût acheté une grande propriété, certainement il eût été jugé différemment; mais il n’était que sur la voie de la fortune, et messieurs les provinciaux sont d’un scepticisme renversant au sujet du succès d’une entreprise quelconque, faite à Paris.

Pour eux ce n’est pas en gagnant beaucoup qu’on fait fortune, non, cela leur parait un paradoxe.

Leur axiome— c’est qu’on fait fortune en se crétinisant; le crétinisme leur parait être le plus puissant levier qu’on puisse avoir.

Je crois qu’il existe quelque part un livre qui a pour titre: Les Crétins de Province; je ne sais pas ce qu’il contient ne l’ayant pas lu, mais ce que je sais bien, c’est qu’avec une pareille enseigne, il y avait matière à écrire plusieurs volumes qui n’eussent certainement pas manqué d’intérêt pour le lecteur.

En présence de ces petites jalousies et de ces mesquines rivalités de clocher, Sioul ne s’éternisa pas à * * * et se rendit à * * *, petite plage au bord de l’Océan.

Il résolut de garder le plus qu’il le pourrait l’incognito, afin de vivre à son gré et à sa guise.

A cet effet il descendit à l’hôtel et ne s’inquiéta pas si les chalets où il avait des connaissances étaient habités par leurs propriétaires ou s’ils étaient loués à des personnes qui lui étaient inconnues ou qu’il connaisait.

La vie qu’il comptait mener était des plus simples et des moins agitées.

Vivre loin du bruit — celui de la mer excepté, bien entendu — en face de ses idées, c’est-à-dire de lui.

Mâle et femelle

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