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JUSTICE PRIVÉE NON FORMELLE Section I. — Position du droit romain à l’égard de la justice privée non formelle ou subsidiaire.

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Table des matières

Nous avons donné une définition de la justice privée en général . Nous avons vu qu’on pouvait distinguer deux sortes de justice privée, selon la situation où elle intervenait: la défense privée qui est le maintien d’une situation existante contre les empiétements des tiers; la satisfaction privée ou justice privée agressive qui est le rétablissement par notre propre autorité d’une situation conforme au droit . Cette distinction ne se trouve pas dans les textes romains, car les auteurs romains n’ont pas construit une théorie de la justice privée; nous nous en servirons cependant pour la commodité de l’exposition. Il est entendu qu’il s’agira ici de cette justice privée qui subsiste à Rome, même aux époques du plus haut développement de l’Etat, et qui par conséquent ne constitue pas un danger pour l’ordre public et pour la sécurité des particuliers, les organes judiciaires étant en mesure d’en réprimer les abus. La justice privée défensive, a été toujours admise par le droit romain, comme par tous les droits; nous en parlerons à propos de la justice privée nécessité. Quant à la satisfaction privée, elle a fait l’objet de plusieurs dispositions restrictives, ce qui fait qu’à l’époque de Justinien il n’en reste plus qu’un nombre restreint d’applications.

La justice privée agressive a été limitée par deux sortes de dispositions: des lois (entendues dans un sens large) réprimant certains actes qui peuvent être aussi accomplis dans un but de justice privée, donc ne se rapportant pas à la justice privée comme telle, mais à des moyens graves qui pouvaient en être l’instrument; des dispositions frappant directement des actes de justice privée comme tels. Par conséquent, il y eut des mesures visant directement la justice privée et des mesures la visant indirectement. En analysant l’acte de justice privée, nous voyons qu’il se compose d’un élément psychique ou intentionnel, l’intention de se faire justice soi-même, et un élément matériel, le fait par lequel l’intention se réalise. Dans les dispositions du premier groupe, c’est l’acte matériel qui est frappé en lui-même, indépendamment de son but; dans les dispositions du second groupe, c’est l’élément intentionnel, qui, joint à un acte matériel donné, est pris en considération pour caractériser l’acte de justice privée et lui donner une physionomie spéciale, celle du délit de justice privée. Mais nous le répétons, si l’intention de se faire justice à soi-même est un élément constitutif d’un délit, ce ne sont jamais que certains actes accomplis dans ce but qui sont prohibés à Rome. Et c’est ainsi que nous arrivons à une question que nous nous étions posés au début, celle de savoir si le droit romain a jamais connu une prohibition générale de la justice privée.

On l’a cru longtemps et comme le remarque Heyer l’introduction du droit romain en Allemagne eut pour effet une hostilité générale à l’égard de la justice privée. Ce ne fut qu’avec l’école historique qu’on réagit contre cette conception et Puchta fut le premier a en contester le bien-fondé. «Beaucoup de juristes, dit-il, posent le principe que la voie de fait (Eigenmacht) et la justice privée sont en elles-mêmes interdites et que c’est une exception si elles sont permises de temps en temps. Ce principe n’a pas de base en droit romain, et il n’est pas fondé non plus en droit germanique. C’est un principe moderne issu de l’excès d’étatisme et de tutelle publique... Le principe est plutôt le suivant: qu’un acte ait été accompli dans le but de la protection du droit, ceci est d’abord indifférent pour sa valeur juridique. Par ce but: un acte illicite ne devient pas licite; un acte autrement licite, ne devient pas illicite». C’est dire que le droit romain n’a pas attaché de valeur au but de justice privée, lorsque l’acte par lequel elle s’accomplissait n’était pas illicite en lui-même, et cela en exceptant certaines dispositions dont nous parlerons plus loin. Nous croyons pouvoir expliquer ceci par la méthode employée par les jurisconsultes romains qui ne procédaient pas par des théories générales, mais en suivant les nécessités pratiques . Et rien ne reflète mieux cette méthode, que les écrits des jurisconsultes classiques qui sont les véritables représentants, sinon les créateurs, de l’esprit juridique romain. Comme le remarque M. Cuq . «Appréciés au point de vue des idées modernes, les écrits des classiques présentent une particularité qui doit être signalée: l’absence des idées générales... Cette abstention volontaire révèle une jurisprudence sûre d’elle-même et qui n’attache d’importance qu’à la fin pratique qu’elle a mission de réaliser.» On peut aussi invoquer comme argument théorique en faveur de notre opinion, l’attachement des Romains à l’idée d’indépendance individuelle, dont Ihering dit que «bien des peuples, impuissants à concilier cette idée d’une manière durable avec le développement toujours croissant du principe de l’Etat, l’ont abandonnée, et ont déposé avec découragement le sentiment de l’indépendance juridique individuelle, devant l’Etat dont ils ont fait le créateur du droit subjectif. Mais cette idée s’est enracinée trop profondément, pour pouvoir jamais disparaître, dans la conception juridique des Romains, grâce à sa nature indestructible et à leur mâle sentiment individuel. L’instinct juridique des Romains sut la modeler avec une précision telle, qu’il ne put se concilier même avec le plus haut développement de l’Etat».

En passant à l’analyse des textes romains, nous ne trouvons nulle part une disposition prohibant la justice privée en général. Tous les textes contenant une prohibition de la justice privée ne visent que des cas particuliers. Ainsi le plus important, le décret de Marc-Aurèle (D. 48, 7-7) ne punit que la mainmise par le créancier sur la chose du débiteur. Et la rédaction même du texte prouve le caractère particulier de la disposition, car il s’agit d’un dialogue entre Marc-Aurèle et un certain Marcianus, qui lui expose un cas particulier. De même, la loi 7 Code 8-4 (constitution de Valentinien 389), ne se rapporte qu’à la prise de possession violenter de la part du propriétaire ou d’un tiers. Les Novelles dont nous parlerons plus loin, punissent la saisie des enfants du débiteur ou de la chose d’un tiers. Et les textes admettant des cas licites de justice privée ne sont nulle part donnés comme des exceptions à un principe général (D. 42, 8-10-16; D. 9, 12-4, Paul Sent, 5, 26-4). Cela ne veut pas du tout dire qu’à Rome on pouvait impunément se faire justice: les lois que nous avons citées prouvent le contraire. En outre, nous verrons qu’un certain nombre de lois, édictés à partir du VIIe siècle (a. u. c.), frappent de peines sévères les actes de violence, et cela sans distinguer selon qu’il s’agit d’actes de justice privée ou non. Il était absolument contraire à l’esprit pratique des Romains de se lier par des principes généraux qui les empêchaient de tenir compte des nécessités pratiques . Nous concluons donc que les Romains n’ont jamais connu de prohibition générale de la justice privée comme telle.

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