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Section II. — Justice privée illicite.

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Table des matières

Nous examinerons dans cette section les restrictions successives que le droit romain mit à la justice privée non formelle. La première disposition prononçant une peine contre la justice privée comme telle (contre un cas particulier, cela reste entendu), a été le fameux Decretum Marci. Mais avant d’en arriver à celui-ci, voyons quelle était l’attitude du droit romain avant le Décret, vis-à-vis de la justice privée. Nous pouvons constater que jusqu’au Décret, il n’y eut que des dispositions frappant la violence sous toutes ses formes, mais indifféremment du but poursuivi . Mais ces dispositions pouvaient très bien s’appliquer à des actes de justice privée, lorsque celle-ci se réalisait par des moyens tombant sous leur coup. Il faut ajouter à cela que la justice privée pouvait aussi être réprimée lorsqu’elle consistait dans des actes constituant le délit de furtum, dammum injuria datum, injuria, etc. Mais en dehors de ces cas, différentes lois interviennent à partir du moment où l’Italie commence à être ravagée par la guerre civile (VIIe siècle). Ces dispositions dictées par les circonstances,° punissent la violence comme telle. Les premières, ce sont les édits prétoriens instituant les interdits possessoires , unde vi armata et unde vi quotidiana, qui datent de la fin du VIIe siècle. Ces interdits sont donnés contre toute personne procédant à une dépossession violente, même si c’est le propriétaire de l’immeuble (cas de justice privée). Ensuite, l’édit vi bonorum raptorum, rendu par le prêteur M. Terentius Lucullus en 678, pour les faits de dommages et de soustraction commis en bandes. De la même époque date l’édit quod metus causa (680,83), créé par le prêteur Octavius, peut-être, sous l’influence des extorsions des créatures de Sylla, comme le croit M. Girard . Enfin, l’aboutissement de ces mesures contre la violence se trouve dans la répression de la violence considérée comme délit public par les lois Juliae, dont la date est discutée. Elles sont de César ou d’Auguste . Nous parlerons plus loion de ces lois, à propos de leur rapport avec le Décret de Marc-Aurèle. Donc, jusqu’au Décret, il n’y a pas de défense de la justice privée comme telle: les individus peuvent se faire justice à eux-mêmes, pourvu q’uils n’emploient pas de moyens constituant des délits punis par le droit.

Le but de justice privée ne rend pas licite un acte illicite en lui-même et réciproquement, il ne rend pas illicite un acte licite en lui-même.

§ 2.Le décret de Marc-Aurèle. — Ce décret se trouve inséré au Digeste dans deux textes de rédac tions un peu différentes (D. 48, 7-7 et 4, 2-13), tous les deux tirés du livre 6 des Cognitiones de Callistrate, auteur contemporain des Sévères. Les différences entre les deux textes sont considérées par la plupart des auteurs comme dues à une interpolation du second. Nous y reviendrons. Le premier D. 47, 7 Ad legem Juliam de vi privata 7 est ainsi conçu:

Creditores si adversus debitores suos agant, per judicem id quod debere sibi putant, reposcere debent. Alioquin, si in rem debitoris sui intraverint, id nullo concedente: divus Marcus decrevit, jus crediti eos non habere. Verba decreti haec sunt: Optimum est, ut si quas putas te habere petitiones, actionibus experiaris: interim ille in possessione debet morari, tu petitor es; et cum Marcianus diceret: vim nullam feci, Caesar dixit: tu vim putas esse solum, si homines vulnerentur; vis est tune quoties quid, id quod deberi sibi putat, non per judicem reposcit: non puto autem, nec verecundiae, nec dignitati tuae convenire, quicquam non jure facere. Quisquis igitur mihi probatus fuerit rem ullam debitoris non ab ipso sibi traditam sine ullo judice temere possidere, eumque sibi jus in eam rem dixisse, jus crediti non habebit.

Passons à l’analyse de ce texte. Il y a délit puni par le décret, lorsqu’un créancier, pour se payer d’une créance, ou obtenir une garantie, s’est mis en possession de la chose du débiteur, sans la volonté de celui-ci (id nullo concedente) et sans la permission du magistrat (sine ullo judice). Le délit privé de justice privée est donc constitué par les deux éléments que nous avons analysés: le fait matériel de s’emparer de la chose du débiteur et l’intention de se faire justice. Si cette intention manque, nous avons un délit de droit commun (vol). En effet, le fait de s’approprier la chose d’autrui est un vol, lorsqu’on a une intention de lucre (lucri faciendi gratia) . Or, celui qui se fait justice n’a pas cette intention: il veut uniquement se faire payer de sa créance. Voilà l’utilité du Décret, car on ne pouvait avant lui punir pour vol, celui qui avait enlevé la chose du débiteur pour se payer de sa créance, son acte manquant de l’élément lucri faciendi gratia.

Voyons maintenant plus en détail, en quoi consiste, le délit.

a) Personnes. — Le délit est commis par le créancier contre le débiteur. Il ne s’agit donc que des rapports d’obligation. Le texte ne parle que de creditor, debitor, jus crediti, res debitoris. On a cependant soutenu que le texte pouvait s’appliquer aussi aux rapports autres que ceux d’obligation: cela résulterait des expressions petitor, possessio, qu’on trouve dans la loi. Mais comme le remarque Sartorius , — nous croyons avec raison —, petitor ici signifierait que le créancier aurait dû s’en tenir à son rôle de demandeur et agir selon les voies légales, en laissant la possessio de la chose enlevée au débiteur jusqu’à la solution du litige par le juge. Le Décret ne s’appliquerait donc qu’aux rapports du débiteur et du créancier, et non aux titulaires de droits réels, ce qui résulte d’ailleurs suffisamment de l’expression rem ullam debitoris. Il y a eu aussi des controverses sur la nature de la créance. Sartorius a soutenu qu’il ne pouvait s’agir que de créances contractuelles, ce qui résulterait des mots jus crediti. On lui a répondu que le texte ne distinquait pas . Nous pourrions en outre invoquer D. 50, 16-11) .

b) Objet du délit. — Le Décret dit «rem ullam debitoris». Il faut donc qu’il s’agisse d’une chose appartenant au débiteur. Il n’y aura donc pas de délit si le créancier s’empare de choses lui appartenant. La saisie peut avoir comme but, le paiement ou l’obtention d’une sûreté . D’ailleurs, en cas d’obligations de faire ou de ne pas faire, il ne pouvait s’agir que d’une sûreté.

c) Fait constitutif du délit. — C’est la mainmise sur la chose du débiteur, contre sa volonté et sans l’autorisation de la justice, dans le but de réaliser son droit, c’est-à-dire de se faire jutice à soi-même (eumque sibi jus in eam rem dixisse). Nous avons vu que ce but contituait l’élément caractéristique du délit, qui autrement serait un vol. Voyons en quoi consiste l’élément matériel du délit: c’est le fait par le créancier de s’emparer de la chose du débiteur, sans que celui-ci lui en ait fait tradition (non ab ipso traditam) et sans autorisation du magistrat. Si donc le créancier a obtenu la tradition de la chose par le débiteur, même de force, il ne tombera pas sous le coup du Décret, pas plus que sous celui de l’édit quod metus causa. En effet, la tradition, même forcée, était valable en droit civil. Pour faire tomber un acte juridique obtenu de force, il fallait l’action prétorienne quod metus causa. Or, celle-ci d’après les termes de la loi 12 D. 2-4, n’était accordée que s’il y avait dommage. Or, ce n’est pas le cas ici. C’est seulement la nouvelle rédaction du Décret (D. IV, 2-13) qui remplace «non ab ipso traditam», par «nonab ipso sponte datam», ce qui fit que la tradition obtenue de force tombe sous le coup du Décret (on verra cela plus loin) (V. Benfey, p. 29.)

d) Peine. — La peine du délit consiste dans la perte de la créance (jus crediti eos non habere, amississe). La chose sera restituée et en outre, le créancier perdra son droit. C’est une peine privée, qui profite au débiteur. On s’est demandé si la créance perdue civilement laissait subsister une obligation naturelle. Benfey et Schwartze répondent par l’affirmative, en citant D. 12-6 de cond. indebiti loi 19: «si poenae causa ejus, cui debetur, debitor liberatus est, naturalis obligatio manet: et ideo soluti repetit non potest». Windscheid croit que ce texte ne vise qu’un cas particullier et ne peut s’appliquer à d’autres cas sans une disposition expresse. Voilà pour la loi 7 D. 48-7.

Prenons maintenant la l. 13 (D. 4-2 quod metus causa: Estat enim decretum divi Marci in haec verba: optimum est, ut si quas putas te habere petitiones, actionibus experiaris. Cum Marcianus diceret: vim nullam feci, Caesar dixit: tu vim putas esse solum si homines vulnerentur? vis est tune et quoties quid id, quod deberi sibi putat, non per judicem reposcit. Quisquis igitur mihi probatus fuerit rem ullam debitoris vel pecuniam debitam non ab ipso sponte datam, sine ullo judice, temere possidere, vel accepisse, isque sibi jus in eam rem dixisse, jus crediti non habebit .

Ce texte diffère de la loi 7 D. 48-7 par les mots: non ab ipso sponte datam substitués à non ab ipso traditam et par l’adjonction d’accepisse à possidere. C’est une extension de l’application du Décret, car se rend coupable du délit prévu par celui-ci, non seulement le créancier qui a pris la chose du débiteur sans en avoir obtenu la tradition, mais même celui qui obtient la tradition de force. Il s’agit toujours d’une chose du débiteur, et la peine est la même. Mais la contrainte employée pour prendre cette chose, qui, comme nous l’avons vu, ne tombe pas sous le coup de l’édit quod metus causa qui exige un damnum sera punie par le Décret (nouvelle rédaction). La majorité des auteurs croient que ce texte est interpolé, ce qui résulterait du fait que l’étendue de son application est plus large que celle de la loi 7. Or, il est naturel que le Décret ait commencé par édicter une disposition plus étroite, vu l’innovation qu’il contenait, et que les compilateurs en aient étendu la portée, l’esprit de l’époque étant plus hostile à la justice privée, comme cela résulte des Novelles que nous analyserons plus loin . Mais la loi 13 ne s’appliquait quand même qu’au cas d’obligations de donner. La force employée par le créancier pour contraindre le débiteur à remplir son obligation de faire ou de ne pas faire, restait impunie (rem ullam debitoris, dit la loi 13 comme la loi 7). Les compilateurs firent alors une nouvelle interpolation pour ce cas: ils attribuèrent au Décret tous les cas où l’exécution d’une obligation est obtenue de force. C’est ce qui résulte du texte suivant: D. 4-2 quod metus causa, loi 12,2, qui précède immédiatement la loi 13.

Julianus ait eum qui vim abhibuit debitori suo, ut ei solveret, hoc edicto non teneri, propter naturam metus causa actionis, quae damnum exigit: quamvis negari non possit in Juliam eum de vi incidisse et jus crediti amississe.

Suit la loi 13: extat enima Decretum... Les compilateurs constatent donc que l’édit quad metus causa est inapplicable, car il exige un damnum, mais comme ils veulent réprimer toute contrainte pour obtenir le paiement, quelle que fût la nature de celui-ci, ils en attribuent la solution au Décret, ce qui résulte des mots «jus crediti amississe», peine propre au Décret et des paroles avec lesquelles commence la loi 13: extat enim», ce qui relie la loi 13 à la fin de la loi 12 . Sous Justinien, le Décret s’étend donc à toute exécution d’obligation obtenue de force.

§ 3. Rapports du Décret avec les lois antérieures et en spécial avec les lois Juliae.

Comme nous l’avons déjà dit, nous avons avant le Décret des dispositions réprimant des actes de justice privée en tant qu’actes de violence, mais pas en tant qu’actes de justice privée, la violence étant frappée comme telle, indifféremment du but poursuivi. L’innovation du Décret consiste dans la punition d’un acte de justice privée, qui consiste dans la mainmise par le créancier sur la chose du débiteur, avec ou sans violence. Il y a donc un délit privé spécial de justice privée. L’intention de se faire justice est ici prise en considération pour constituer un délit spécial. L’acte de mainmise sur la chose d’autrui pouvait tomber sous le coup d’autres pénalités avant le Décret. Il pouvait constituer un vol, s’il y avait intention de lucre. Ou bien il pouvait constituer le délit public (crimen) prévu par les lois Juliae, s’il était accompli dans les conditions exigées par celles-ci . De même le délit de rapine (édit vi bonorum raptorum). Mais il restait bien des cas de justice privée ne tombant sous le coup d’aucune de ces dispositions. On a soutenu que les lois Juliae punissaient déjà les faits prévus par le Décret. On a invoqué pour cela la loi 8 D. 48-7 ad Legem Juliam de vi privata où il est dit: «Si creditor sine auctoritate judicis res debitoris occupet, hac lege (Julia) tenetur et tertia parte bonorum multatur et infamis sit.»

Les faits sont bien les mêmes que ceux du Déçret, mais la peine est ici une peine publique, tandis que le Décret institue une peine privée. Il ne peut donc s’agir du cas prévu par le Décret; il s’agit probablement de la mainmise violente (vis pris dans le sens de la loi Julia) sur la chose du débiteur , acte puni des peines publiques de la loi Julia. Les deux dispositions ont donc des objets différents, la loi Julia frappant des actes de violence, troublant l’ordre public et constituant des délits publics (crimina), le Décret punissant des actes lésant des particuliers et constituant des délits privés. On a invoqué un autre texte. C’est la loi 12, 2 D. 4-2 déjà citée qui semble attacher la perte de la créance à la loi Julia (in legem Juliam incidisse et jus crediti amississe). Nous répondrons ici encore que la perte de la créance ne peut résulter de la loi Julia, qui prévoit une peine publique (D. 48, 7-4, 1). Il est vraisemblable comme le remarque Linde , que le texte ne fait pas découler la perte de la créance de la loi Julia, mais qu’il affirme simplement que l’auteur de l’acte pouvait encourir en même temps que ces peines publiques de la loi Julia, la peine privée du Décret.

Mais pour pouvoir mieux mettre en évidence les rapports entre le Décret et la loi Julia (ou les lois Juliae), voyons ce qu’étaient ces lois. Ces dernières ont été rendues nécessaires par les guerres civiles qui avaient amené une recrudescence des actes de violence. Jusqu’alors, la violence était surtout considérée comme un délit privé, c’est-à-dire ne constituant qu’une lésion des intérêts privés, frappée par conséquent de peines prives et poursuivie par une action privée . Il en est ainsi du délit de violence prévu par l’édit quod metus causas, du délit de rapina et de la dépossession violente sanctionnée par les interdits possessoires . Les lois Juliae (de vi publicata et de vi privata D. 48 6 et 7), après la loi Plautia (676) qui fut appliquée contre Catilina, et la loi Pompeia (701) érigent certains actes de violence en délits publics (crimina), par conséquent frappés de peines publiques et poursuivis par une action publique, comme lésant l’intérêt public . Il est difficile de trouver un critérium précis pour distinguer les actes punis par la loi Julia de vi publica de ceux prévus par la loi Julia de vi privata; dans les textes romains on ne trouve que l’énumération de quelques actes. Cependant, dans le Dictionnaire des antiquités (III, p. 927) on peut trouver une classification. La loi Julia de vi publica comprendrait des actes commis en bandes ayant pour but de troubler l’administration de la justice ou les comices électoraux, les abus des magistrats, enfin le rapt et le viol (V. 48, 6-10; Paul Sent, V. 30).

La vis privata comprendrait de nombreux autres cas, notamment: le fait pour des hommes armés d’expulser quelqu’un de chez lui (Paul Sent, V. 26-3). infliger des coups en bandes armées (C. 9, 12-4), se rassembler pour empêcher quelqu’un de se rendre en justice (D. 48, 7-4), etc.; des constitutions impériales, des sénatus-consultes et l’interprétation des jurisconsultes étendirent les cas prévus par ces lois . Ainsi le fait de torturer l’esclave d’autrui, la contrainte pour faire accepter une obligation; enfin, d’après un texte de Paul Sent (V. 26-4), le créancier qui s’empare violemment de la chose de son débiteur pour se constituer un gage, tombe sous le coup de la loi Julia de vi privata (Creditor chirographarius si sine jussu proesidis per vim debitoris suis pignora, cum non haberet obligata, ceperit, in legem Juliam de vi privata committit). Nous expliquerons plus loin ce dernier texte. Les lois Juliae considèrent tous ces actes comme des délits publics (crimina), et les frappent de peines publiques . Quelles sont ces peines? La vis publica est punie de l’aquœ et igni interdictio. La vis privata de la confiscation du tiers des biens et de l’infamie (D. 48-78). Maintenant, nous pouvons procéder à une comparaison de ces lois avec le Décret. Il faut d’abord constater que les compilateurs ont inséré le Décret dans le titre 7 (D. 48-7) consacré à la loi Julia de vis privata. Comment expliquer ceci, ainsi que le texte sus-mentionné de Paul? Nous croyons que l’acte prévu par le Décret n’était pas puni par les lois Juliae, sinon lorsqu’il était accompli avec la violence exigée par ces lois (vis major). En outre, nous avons affirmé que le délit de justice privée n’existait que depuis Marc-Aurèle; jusqu’au Décret, seule la justice privée accomplie avec violence était punie. Voici nos raisons: En premier lieu, tous les textes se rapportant à ce délit privé, punis d’une peine privée, sont postérieurs à Marc-Aurèle: la loi 7 (D. 48-7) est de Callistrate, contemporain des Sévères; la loi 12 (D. 4-2) est d’Ulpien, jurisconsulte de la même époque, et Julien lui-même, que cite Ulpien est contemporain de Marc-Aurèle . En second lieu dans les deux versions du Décret, Marcianus répond à l’Empereur: vim nullam feci, ce qui prouve que la vis avant Marc-Aurèle ne comprenait pas ce cas . La plupart des auteurs constatent que la vis du Décret est différente de celle des lois Juliae. «La loi Julia de vi édicte une peine sévère contre le créancier qui use de violence pour se faire payer par son débiteur, dit M. Cuq (D. IV. 2-12-2; 48, 7-8). Un décret de Marc-Aurèle déclare déchu de son droit, le créancier qui, même sans violence, s’empare des biens de son débiteur sans y être autorisé par le juge (C. VIII, 13-3, D. 48-88)» Enfin, les lois Juliae prononcent des peines publiques, sanctionnent des actes qui constituent des troubles de la paix publique; c’est la violence comme telle qui est punie (D. 48, 7-4; 48-6-10-2; C. 9-12). Au contraire, le Décret punit un acte d’empiétement sur la sphère juridique d’un autre, dans le but de se faire justice, et prononce une peine privée. L’acte est donc moins grave et considéré uniquement comme lésant un intérêt privé. Il y a donc entre les deux dispositions, une différence de peine, de fait constitutif et de fondement. Et maintenant, comment expliquer les textes considérant l’acte de justice privée par le décret comme puni par la loi Julia? Il y a d’abord le texte de Paul Sent (V. 26-4). Or, ce texte ne parle que de la mainmise per vim et ne mentionne que les peines publiques de la loi Julia. Il ne se rapporte donc pas au cas du Décret, mais au cas d’un acte de justice privée accompli avec violence (violence de la loi Julia) Il faut croire que l’acte prévu par le Décret pouvait être frappé aussi bien des peines publiques de la loi Julia que de la peine privée du Décret. En effet, les actions pénales pouvaient se cumuler entre elles . La loi 12-2 (D. 4-2) et la Novelle 134-7 le prouvent pour notre cas. Quant à l’insertion du Décret au titre de la loi Julia de vi privata, on peut expliquer ceci ou bien par le fait que toutes les disposotions relatives à des actes de violence postérieurs aux lois Julias, ont été incorporés à celles-ci , ou bien par la tendance des compilateurs à grouper les matières se rattachant à une idée commune ou analogue .

En résumé : le Décret de Marc-Aurèle a créé un délit spécial de justice privée consistant à s’emparer, même sans violence, des choses du débiteur, dans le but de se faire justice. Cet acte n’était puni par les lois Juliae, que lorsqu’il était accompagné de la violence prévue par elles; donc en tant que viollence, et point en tant qu’acte de justice privée .

§ 4. Dispositions postérieures au Décret. — Nous trouvons à partir du Décret et jusqu’à Justinien, un certain nombre de constitutions impériales et de Novelles, frappant de peines privées ou publiques des actes particuliers de justice privée. C’est d’abord une constitution de Valentimen de l’an 389 C. 8-4-7 ainsi conçue:

«Si quis in tantam furoris pervenerit audaciam ut possessionem rerum apud fiscum vel apud homines quolibet constitutarum ante adventum judicialis arbitrii violenter invaserit, dominus quidam constitutus possessionem quam abstulit restituat possessoris, et dominium ejus amittat. Si verum alienorum rerum possessionem invaserit, non solum eam possidentibus reddat, rerum etiam aestimationem earumdaram rerum restituere compellatur».

Cette Constitution contient deux dispositions d’ordre différent. La première vise le propriétaire qui enlève violemment sa chose au possesseur, en se faisant ainsi justice à lui-même. La seconde se rapporte à toute autre personne qui s’empare violemment d’une chose ne lui appartenant pas. Dans le premier cas, nous sommes en présence d’une acte de justice privée, mettant face à face le propriétaire et le possesseur. Dans le second, c’est d’un simple acte de dépossession violente qu’il s’agit. Tandis que dans le premier, la peine est la même que celle du Décret, dans le second, il y a en outre une amende pécuniaire. Enfin, dans les deux cas, il faut que la dépossession soit violente (violenter), ce qui marque une opposition avec le Décret. Seul le premier cas rentre dans notre sujet, car il s’agit de réalisation d’un droit: le droit de propriété. Nous nous trouvons donc en présence d’un cas analogue à celui du Décret; il s’agit d’un acte de justice privée et qui est puni par une peine privée. La différence consiste dans les personnes qui dans le Décret sont le créancier et le débiteur, tandis que dans la constitution de Valentinien, il s’agit de propriétaire et possesseur.

Savigny croit que cette constitution n’est que l’extension de l’interdit unde vi aux meubles. Il en donne deux arguments: d’abord le fait que les sources mettent cette règle en rapport avec l’interdit (la constitution et insérée au titre unde vi dans le Code). En second lieu, le fait que les conditions d’application ne sont précisées en aucune manière: «ce qui en présence de son importance et des conséquences qu’elle entraîne, serait tout à fait inexplicable si nous ne devions y voir un renvoi implicite aux dispositions connexes de l’interdit unde vi.»

Nous croyons que si la deuxième disposition peut être considérée comme une extension de l’interdit unde vi aux meubles, avec en plus une peine privée (paiement de la valeur de la chose), l’acte étant le même que celui sanctionné par l’interdit, la première disposition est spéciale à la justie privée, ce que nous déduisons du fait qu’il s’agit d’un propriétaire qui veut réaliser son droit, et de la peine qui est la même que celle du Décret. Les interdits possessoires s’appliquent à toute dépossession, indépendamment du droit qui serait à sa base et l’existence d’un droit à réaliser n’est pas une condition exigée. Savigny lui-même a soutenu contre Rudorff que les interdits ne poursuivaient pas la répression de la justice privée, l’existence d’un droit à réaliser n’étant pas supposée.

La première partie de la constitution de Valentinien est donc une nouvelle prohibition de la justice privée.

Novelles de Justinien. Il y a deux Novelles de Justinien visant des cas de justice privée.

Novelle 52 cap. I de pigneratione.

Propterea sancimus nullam omnino pignerationem in nostra republica praevalere, neque in mercatis (hoc quod maxime ibi praesumptum invenimus),... neque alio omnino modo quoqumque, vel tempore; sed praesumentem alium proalio secundum pignerationis formam, aurum aut aliquid alium exigere hoc reddere in quadruplum, violentiam passo: et cadere etiam ab actione quam habuit, adversus eum pro quo exactionem fecit.

Cette Novelle frappe la saisie privée de la perte de la créance, comme le Décret. Mais en outre, elle prévoit le cas où le créancier saisit une chose entre les mains d’un autre que le véritable débiteur, et le punit en ce cas du paiement du quadruple de la valeur de la créance. Dans les deux cas, il s’agit de la saisie privée, c’est-à-dire de la mainmise sur une chose pour avoir une sûreté. La Novelle contient une disposition différente de celle du Décret, car elle prévoit le cas de la saisie d’une chose entre les mains d’un autre que le débiteur; en ce cas, le saisissant paiera le quadruple de la valeur de la créance; en même temps, il perdra sa créance contre le véritable débiteur (peine du Décret). Avant cette Novelle le saisi avait plusieurs actions: les interdits possessoires, les actions de vol et de rapine et la revendication. Par la Novelle, c’est l’acte de justice privée qui est puni, car le saisissant perd son droit de créance.

Novelle 134-7. —

Quia vero et hujusmodi iniquitatem in diversis locis nostrae reipublicae cognovimus admitti, qui creditores filios debitorum praesumunt retinere aut in pignus aut in servile ministerium, aut in conductionem: hoc modis omnibus prohibemus: et jubemus ut si quid hujusmodi aliquid deliquerit, non solum debito cadet, sed tantam aliam quantitatem adjiciat dandam ei qui retentus est ab eo, aut parentibus ejus, et post hoc etiam corporalibus poenis ipum subdi a loci judice: quia personam liberam prodebito praesumpserit retinere, aut locare, aut pignorare.

Cette novelle vise le cas du créancier qui retient les enfants du débiteur comme gages, ou les traite comme esclaves, ou enfin les loue comme esclaves afin de se payer de sa créance. Il sera frappé d’une double peine: perte de la créance et paiement de son montant à la personne retenue ou à ses parents; en outre, de peines corporelles publiques. C’est un acte de justice privée qui est puni de la perte de la créance à laquelle s’ajoute le paiement du montant de la créance à la victime.Jusqu’ici nous sommes en présence d’un cas semblable à celui du Décret de la constitution de Valentinien et de la Novelle 52. Il s’agit toujours d’un acte de justice privée frappé d’une peine privée. Cette peine, appliquée d’abord au créancier s’emparant de la chose du débiteur, ensuite au propriétaire prenant violemment possession de la chose se trouvant entre les mains d’un possesseur, enfin au créancier saisissant la chose d’un tiers, est étendue au créancier saisissant les enfants du débiteur. Ce qu’il y a de particulier dans cette Novelle, c’est la peine publique corporelle qu’elle édicté. Nous croyons pouvoir expliquer ainsi cette sanction: le fait, en tant qu’acte de justice privée, est frappé d’une peine privée, comme il est de règle. Mais cet acte présente une circonstance aggravante: il y a ici une atteinte à la liberté. En effet, le texte lui-même donne la raison de cette peine publique en ajoutant: «quia personam liberam... » Se faire justice en saisissant des choses, des esclaves, et même des choses appartenant à un tiers, constitue un défit privé, frappé de peines privées; mais s’emparer d’une personne libre, c’est un acte grave, constituante un crimen, donc puni d’une peine publique . Nous ajouterons que si le texte ne vise que les enfants du débiteur, la saisie de la personne du débiteur lui-même devra a fortiori, être aussi sévèrement punie. (V. Benfey, p. 32; Linde, p. 425).

La justice privée en droit moderne

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