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Section III. — Justice privée licite.

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Table des matières

Nous avons vu jusqu’ici, que les Romains n’ont jamais édicté une prohibition générale de la justice privée. Ils ont institué des procédures solennelles, rappelant la justice privée, mais entourées de toutes les garanties nécessaires; ils ont édicté des mesures répressives contre les actes graves par lesquels pouvait s’exercer la justice privée. Enfin, ils ont frappé la justice privée elle-même comme telle, dans des cas particuliers. Mais le principe de la justice étatique n’a jamais été formulé par le droit romain, même lorsque disparaissent les dernières traces de justice privée dans la procédure (procédure extraordinaire) . Et à l’absence de ce principe, nous devons l’existence en droit romain, de multiples cas de justice privée qui, n’étant prohibés par aucune disposition légale directe ou indirecte, restent licites . En dehors de ces cas, il y a des dispositions déclarant exceptionnellement licites, des actes normalement illicites c’est la justice privée nécessité. Nous allons, dans deux paragraphes successifs, parler d’abord de la première catégorie de cas de justice privée et en second lieu de la justice privée nécessité.

§ I. Cas de justice privée dont l’existence est due à l’absence de prohibition générale de la justice privée. — Ces cas ne peuvent être rattachés à un principe général: certains d’entre eux n’ont qu’un intérêt purement historique, car ils ont été peu à peu supprimés, leur existence n’étant due qu’au défaut de prohibition générale. D’autres ont subsisté jusqu’ à la fin et nous les retrouvons même aujourd’hui dans les législations modernes, ce qui prouve qu’il n’y avait pas de raison de les supprimer.

Comme nous avons tracé dans la section précédente le tableau des mesures prises contre la justice privée, nous ferons état surtout ici de ce qui reste permis sous Justinien. Or, d’après le Décret dans la versions des compilateurs (interpolée d’après nous) D. 4-2-12, 2 et 13, est défendu: l’acte par lequel le créancier prend possession ou reçoit (possidere vel accepisse), arbitrairement (temere), de choses ou de l’argent appartenant au débiteur (rem ullam vel pecuniam debitoris), ou à un tiers (Nov. 52-1), ces choses ne lui étant pas librement remises (non a sibi sponté datam), et sans autorisation du tribunal (sine ullo judice); de même s’il use de violence pour contraindre son débiteur à exécuter son obligation de faire ou de ne pas faire (vim adhibuit debitori suo ut ei solveret D. 4-2-12-2); enfin, s’il se saisit de la personne du débiteur ou de celle de ses enfants (Nov. 134-7 . En outre, le propriétaire qui s’empare violemment d’une chose lui appartenant qui se trouve en la possession d’un tiers, perd son droit de propriété (C. 8-4-7).

Restent donc en dehors de ces dispositions spéciales à la justice privée et en même temps échappent aux dispositions visant indirectement la justice privée (exemple lois Juliae), les actes suivants:

a) Le Décret (D. 4-2-13) dit: «non sponte datam », c’est-à-dire contre la volonté du débiteur Mais cela ne veut pas dire que le débiteur doive s’exécuter spontanément, de sa propre initiative, pour que le paiement soit valable. Les faits de presser le débiteur, de le sommer, de le mnacer de poursuites légitimes ne peuvent être considérés comme des contraintes viciant la volonté (violence juste; idem en droit moderne).

b) De même, on peut employer le dol pour déterminer le débiteur à payer, car le dol suppose un dommage pour être punissable (arg. D. 4-2-12-2) .

c) Pour qu’il y ait délit de justice privée, il faut que la chose enlevée appartienne au débiteur (res debitoris). Par conséquent, il n’y aura pas justice privée illicite lorsque le créancier s’emparera de sa propre chose. Ainsi le commodant pourra enlever la chose prêtée au commodataire (pourvu que ce ne soit pas violemment). Et le possesseur peut enlever la chose au détenteur, qui n’a pas les interdits contre lui (contre personne d’ailleurs) . Ainsi le bailleur peut expulser de sa propre autorité le locataire à la fin du bail. Le dépositaire peut enlever la chose déposée au dépositaire, même avec violence, car les interdits possessoires ne sont donnés qu’aux possesseurs et non aux détenteurs. De même le possesor justus (c’est-à-dire celui qui a acquis la possession nec vi, nec clam, nec precario), pouvait opposer (jusqu’ à Justinien) au possessor injustus qu’il avait dépossédé et qui usait de l’interdit unde vi contre lui, l’exceptio vitiosœ possessionis . Dans tous ces cas le Décret et la constitution de Valentinien étaient inapplicables, car il s’agissait de choses appartenant à l’auteur de l’acte de justice privée; or les deux dispositions exigent qu’il s’agisse de res alienae.

Enfin, le propriétaire d’une chose volée pouvait l’enlever au voleur, en se faisant ainsi justice. Le voleur n’avait aucune action contre lui, car aucune des actions sanctionnant le vol ne lui étaient données, pas plus que les interdits .

d) La saisie privée est également permise lorsqu’elle a été autorisée par contrat, car elle n’a pas lieu contre la volonté du débiteur. Des textes formels décident que le créancier qui s’empare de la chose du débiteur comme gage en vertu d’une convention, ne commet pas d’acte illicite.

Ce sont: Paul Sent, V. 26-4, dont nous avons vu le début p. 91 et qui finit ainsi: «Fiducia vero et pignora apud se deposita persequi et sine auctoritate judicis vindicare non prohibetur.» En outre C. 8-14-3: «Creditores, qui non reddita sibi pecunia, conventionis legem, ingressi possessionem exercent, vim quidem facere non videntur, attamen auctoritate praesidis adipisicis debent.» Enfin: C 4-24-II: «...nec creditor citra conventionem vel praesidialem jussionem debiti causa, res debitori arbitrio suo aufferre potest.»

Ces trois textes décident que le créancier non payé à l’échéance, ne commet pas de violence illicite en s’emparant d’une chose comme gage, si une convention lui permet de le faire en ce cas. Mais comment un gage peut-il être constitué , par simple accord de volonté, car nous savons que c’est un contrat re, qui ne se forme que par la remise de la chose? Benfey suppose que le débiteur s’est remis par hasard en possession du gage et que le créancier le reprend de sa propre autorité. Nous croyons qu’il s’agit ici de l’hypothèque, gage sans tradition ou contrat consensuel de gage, et cela résulte des expressions pignora obligata (Paul Sent V. 26-4) et res obligata (C. 4-24-11), qui sont employées pour désigner l’hypothèque par opposition au gage proprement dit pour lequel on emploie l’expression rem tradere . Donc, le créancier hypothécaire pouvait s’emparer de la chose hypothéquée, de sa propre autorité, s’il n’était pas payé à l’échéance.

e) Le droit de rétention qui est un acte de justice privée ne tombe pas sous le coup du Décret, car il n’y a pas prise de possession par le créancier, de sa propre autorité, mais seulement refus de restituer une chose remise par accord de volonté .

f) Le bailleur pouvait aussi enfermer les choses du locataire et empêcher celui-ci de les enlever, tant que ce dernier n’avait pas exécuté ses obligations, au cas où il avait affecté ses meubles au gage du bailleur. Cela s’appelait percludere. Les esclaves du locataire ne pouvaient même pas être affranchis D.: 20-2.9 .

g) Un dernier cas de justice privée est celui du propriétaire qui coupe les branches et racines des arbres qui empiètent sur son fonds (D. 43-27-2, 6-8-9). D’abord accordé seulement pour les branches, ce droit fut étendu aux racines par Alexandre Sévère (C. 8-11). L’utilité de ce droit était évidente, car avec l’action negatoria le propriétaire du terrain n’était pas sûr d’arriver à une exécution en nature et il pouvait craindre que le voisin ne préférât payer la litis œstimatio pour ne pas voir ses branches coupées. Ceci met en lumière un des avantages de la justice privée: obtenir l’exécution en nature, avantage précieux au temps de la procédure formulaire où toute condamnation portait sur une somme d’argent .

Nous en avons ainsi fini avec la première catégorie de cas de justice privée. La plupart de ces cas existent dans presque tous les droits modernes, notamment le droit de couper les branches et racines (673 C. Civ. Fr., 910 B.G.B.), le droit de rétention, le droit de retenir les meubles du locataire, la violence juste. D’autres cas, comme la mainmise par le possesseur sur la chose se trouvant entre les mains du détenteur, ont disparu des droits modernes, où les détenteurs sont protégés par les actions possessoires.

§ 2. Justice privée nécessité. — Nous allons voir que les Romains, avec leur esprit réaliste et pratique ont admis de nombreuses dérogations aux différentes règles de droit pour les cas de nécessité. Nous avons dans l’Introduction, défini ce que nous entendions par état de nécessité et quelle était la portée que nous lui donnions. Il s’agit, comme on le sait, de l’alternative où se trouve une personne de commettre un acte illicite en lui-même, ou de subir une lésion . L’autorité ne pouvant intervenir pour lui éviter cette lésion, elle se fait justice à elle-même. Et nous avons vu que ceci pouvait arriver dans deux circonstances différentes: il s’agit soit de maintenir une situation juridique existante contre les empiètements des autres, soit de rétablir une situation juridique conforme au droit. Dans le premier cas, nous sommes en présence de la justice privée défensive, dans le second, de la justice privée agressive. Pour plus de facilité, nous allons diviser la justice privée défensive en légitime défense et état de nécessité proprement dit; il reste entendu que les Romains n’ont jamais connu ctte division; pas plus qu’ils n’ont construit une théorie de la nécessité. Mais cela n’empêche pas qu’ils aient donné presque toutes les solutions dont nous nous servons aujourd’hui, et cela au fur et à mesure que les cas se présentaient. Les auteurs modernes ont donc trouvé déjà dans le droit romain les éléments des constructions juridiques qu’ils ont échafaudées sur la nécessité. De là l’utilité de cette étude. Nous ne reprendrons pas ici la controverse sur la distinction de la légitime défense et de l’état de nécessité . Nous considérons comme légitime défense, l’acte par lequel on repousse un danger en s’attaquant à la cause même de ce danger. L’acte nécessaire proprement dit est celui par lequel, pour éviter un danger, on lèse les intérêts d’un tiers.

Si les Romains n’ont jamais élaboré une théorie de l’état de nécessité, nous n’en trouvons pas moins des textes d’une portée assez générale, proclamant que la nécessité permet de déroger aux lois. Ce n’est pas, d’ailleurs, comme une exception à la prohibition de la justice privée qu’ils considèrent les actes nécessaires, une telle prohibition n’ayant jamais existé à Rome, comme nous avons essayé de le prouver, mais comme des dérogations aux lois prononçant des peines contre ces actes lorsqu’ils sont commis dans des circonstances normales. Ce sont des exceptions à la loi Aquilia, aux lois contre le meurtre et contre la violence, etc. L’état de nécessité nous apparaît donc comme une cause d’impunité, une excuse .

Nous avons d’abord deux textes de Paul Sent, qui ont une portée assez générale, car ils sont insérés au titre «De regulis juris» (D. 50-16). Le premier, c’est la loi 162: quae propter necessitatem recepta sunt, non debent in argumentum trahi. Le second semble poser un principe plus général: loi 172 ibidem): «Non et singulis concedendum quod per magistratum possit fieri; neo occasio sit majoris tumulti faciendi. Infinita aestimatio est libertatis dac necessitudinis.» Ce texte présente pour nous une double importance Il exprime l’idée que les particuliers ne doivent pas se faire justice, lorsque le magistrat peut le faire. Puis il ajoute que la liberté est la nécessité sont sérieusement prises en considération. Sans donner à ce texte une valeur trop absolue , il n’en reste pas moins l’idée que les particuliers peuvent se faire justice lorsque la nécessité les y oblige (deuxième phrase; arg. à contrario de la première: quod per magistratum possit fieri). Nous retrouvons la même idée dans une Constitution des empereurs Théodose, Valentinien et Arcadius, Code 3-27-1. «Melius est enim occurrere in tempore, quam post exitium vindicare». C’est dire qu’il est préférable de se faire justice pour éviter le danger, plutôt que de demander satisfaction après coup d’une lésion déjà causée.

Passons maintenant à l’analyse des trois cas de justice privée que nous avons distingués. Nous ne nous étendrons pas sur la légitime défense et sur l’état de nécessité proprement dit, qui ont fait l’objet de nombreuses monographies; nous nous bornerons à citer quelques textes pour mettre en évidence l’esprit dont s’inspiraient les Romains, dans leurs solutions .

a) Légitime défense. — La légitime défense est admise par tous les textes romains, qui la considèrent comme de droit naturel. D’après Titze les Romains l’auraient même considérée comme un droit. Nous ne discuterons pas ici la nature de l’acte de légitime défense, d’autant plus que les jurisconsultes romains ne s’étaient pas posés la question, se bornant à le déclarer licite. Nous ne citons que pour mémoire un passage de Ciceron (Pro Milone) , qui affirme que le droit naturel nous permet de nous défendre contre la violence.

Et Gaius nous dit: «Nam adversus periculum, naturalis ratio permittit se défendere» (D. 9-2-4). De même Ulpien: Vim vi repellere licet, Cassius scribit; idque jus natura comparatur (D. 43-16-1-27). Et Paul: «Qui cum aliter se tueri non possunt, damni culpa dederint, innoxii sunt: vim enim vi defendere omnes leges, omniaque jura permittunt. {D. 9-2-45-4) V. aussi C.,9-16-3.

En examinant ces textes nous constatons que le droit romain permet de commettre des actes tombant sous le coup des lois pénales, lorsqu’il s’agit de se défendre contre la violence. Et ces dispositions sont données comme des exceptions à l’application de la loi Aquilia (Gaius, Paul), de l’interdit de vi armata Ulpien) ou de la loi Cornelia de sicariis (C. 9-16-3). Ce sont donc des dérogations à des lois frappant des actes particuliers de violence, et non à la prohibition de la justice privée. Nous trouvons aussi dans ces textes l’idée que l’on a le droit de se faire justice lorsque l’on ne peut éviter le danger d’une autre manière (aliter se tueri non possunt). Ce sont donc des cas de nécessité.

Quid pour la légitime défense des biens? Il y a des textes permettant la défense de la possession par la violence: D. 43-16-3-9: «Eum igitur, qui cum armis venit, possumus armis repellere, sed hoc confestim, non ex intervallo; dummodo sciamus, non solum resistere permissum, ne dejiciatur; sed etsi de jectus qui fuerit, eundem dejicere, non ex intervallo, sed ex continenti .

Même idée D. 43-16-17 et 43-16-1-28. Ces trois textes déclarent que celui qui a été violemment dépossédé par le possesseur qu’il avait dépossédé lui-même avec violence, n’aurait pas l’interdit unde vi Mais il faut agir tout de suite (confestim.). Un autre texte C. 8-4-1 déclare: «Recte possidenti, ad defendendam possessionem quam sine vitio tenebat, inculpatœ tutelœ moderatione illatam vim propulsare licet.» Dans ce texte nous trouvons l’idée intéressante qu’il ne faut employer que la violence indispensable pour repousser l’usurpateur . Comme légitime défense des biens, on peut considérer celle contre le voleur. Nous savons que la loi des XII Tables permettait de tuer le voleur pris sur le fait la nuit ou le jour lorsqu’il était armé. Ce droit relève encore de la vengeance privée , car il n’implique pas du tout l’existence d’un danger dont on ne peut se défendre autrement; c’est encore l’impétuosité du premier sentiment qui réagit. (Gaius D. 9-2-4-1). On voit d’ailleurs très bien que la disposition se rattache à l’idée de flagrant délit, car la loi exige les clameurs de la victime pour le constater. Ce n’est qu’à l’époque classique que ce droit prit le caractère de la légitime défense, c’est-à-dire d’une défense contre un danger qu’on ne pourrait pas éviter autrement. Ulpien 48.8.9 «furem nocturnum si quis occiderit, ita demun impune fecerit, si percere ei sine periculo non potuit» . Lorsqu’il ne s’agit plus de légitime défense, la victime n’aura plus le droit de tuer le voleur, mais seulement une action au quadruple.

Nous pouvons constater en terminant, que le droit romain admet largement la légitime défense, même celle des biens; cette dernière est contestée en droit français (v. controverse sur l’art. 329).

b) Etat de nécessité proprement dit. — Nous avons dit qu’il s’agit ici du cas où une personne menacée d’un danger venant d’une chose, ou de la nature, lèse les intérêts d’un tiers pour y échapper . La plupart des textes romains s’y réfèrant sont insérés au titre de la loi Aquilia, loi comprenant la plupart des dommages causés à autrui (art. 1382 français).

Ils décident que la loi Aquilia ne sera pas applicable en cas de nécessité. Ici aussi on a discuté sur le point de savoir s’il y avait uniquement impunité ou bien aussi un droit de nécessité . Nous n’y insistons pas, nous bornant à rappeler que la question n’a pas grande importance, l’impunité attirant après elle la dispense de réparation en droit romain, qui ne distinguait pas la peine de la responsabilité civile.

Nous citerons la loi 29.3. D. 9.2 ad legem Aquiliam, où M s’agit du bateau pris dans des amarres ou des filets de pêcheurs, que les bateliers coupent pour le dégager. — C’est un cas classique de nécessité. Pour éviter un dommage, on commet un délit (en l’espèce délit de la loi Aquilia). Le texte exprime aussi l’idée que le danger ne peut être évité autrement (si nullo alio modo). En outre, nous trouvons dans ce texte une idée que l’art. 228 du B.G.B. a adoptée: si l’état de nécessité est dû à la faute du nécessité (culpa nautarum, en l’espèce), celui-ci sera responsable. La loi Rhodia de jactu est encore une application de l’état de nécessité. La loi 49.1.D.9.2 se rapporte au cas où le propriétaire d’une maison menacée d’incendie venant de la maison voisine, démolit cette dernière pour préserver la sienne. Il ne sera pas passible de la loi Aquilia. Un autre texte D.43.24. L. 7.4 exclut dans le même cas l’application de l’interdit quod vi aut clam. V. aussi D. 47.9. L. 3.7.

Les Romains exigeaient-ils aussi qu’il y ait une certaine disproportion entre les deux dangers ou les deux biens? M. Moriaud affirme qu’on peut trouver cette idée dans les textes. Ainsi, dans le cas du bateau pris dans les filets, le dommage causé aux pêcheurs est moindre que celui qu’eussent subi les bateliers.

c) Justice privée agressive.

Ici, il ne s’agit plus de se défendre contre un danger menaçant ou de maintenir une situation existante, mais de procéder à la réalisation d’un droit ou de rétablir une situation conforme au droit. C’est une exécution privée. C’est l’auteur de l’acte qui prend l’initiative, tandis que dans la justice privée défensive, il ne fait que réagir contre une attaque. Cette forme de justice privée est admise dans des limites bien plus étroites que la défense privée. Elle implique un empiétement sur la sphère juridique d’autrui, qui n’est pas provoqué par l’adversaire. Aussi la plupart de ces cas tombent-ils sous le coup des différentes lois, L. Aquilia, lois contre la violence et mêmes dispositions contre la justice privée comme telle (v. plus haut) .

Mais ici encore, on fait des exceptions pour les cas de nécessité et les auteurs sont unanimes à constater que le droit romain faisait une exception aux dispositions prohibitives, lorsque l’autorité était dans l’impossibilité d’assurer la satisfaction du droit aux particuliers. «La satisfaction privée est admise, nous dit Dernburg lorsque l’aide de l’autorité viendrait trop tard et pour éviter un dommage irréparable ». Et Girard : «En outre, il semble qu’il reste permis de recourir à la force pour réaliser son droit, en cas de force majeure, quand la justice régulière n’arriverait pas à temps».

Les auteurs sont donc d’accord pour admettre que l’on pouvait procéder à la réalisation du droit par justice privée, lorsque l’autorité ne pouvait pas intervenir à temps pour éviter au titulaire la perte de son droit. Nous sommes en présence d’un état de nécessité. Le titulaire du droit se trouve dans l’alternative de subir un dommage ou de réaliser son droit en commettant un acte illicite, qui sera un délit quelconque ou le Délit prévu par le Décret. Sur quoi se fondent les auteurs pour admettre cette exception dans le droit romain? La plupart invoquent la loi 10.16.D. quae in fraudem 42.8. (texte qui, nous le verrons plus loin, a inspiré les rédacteurs de l’art. 229 B.G.B.).

«Si debitorem meum, dit ce texte, et complurium creditorum consecutus essem fugientem, secum ferentem pecuniam, et abstulissem id ei quod mihi debeatur; placet Juliani sententia dicentis, multum interesse, antequam in possessionem bonorum ejus creditores mittantur, hoc factum sit, an postea: si ante, cessare in factum actionem; si postea, huic locum fore.»

Ce texte vise le cas où le créancier enlève au débiteur en fuite, l’argent que celui-ci lui doit. Ce n’est pas comme une exception au Décret qu’il est présenté, car il figure au titre de la fraus creditorum. C’est ce qui a fait dire à Titze qu’il ne vise pas la question de la justice privée, mais celle de savoir si dans ce cas les autres créanciers auront l’action Paulienne. En outre, il est de Julien, qui n’aurait pas pu prévoir une exception au Décret. Cet argument n’est pas décisif, car nous avons vu que Julien était contemporain de Marc-Aurèle. On ne peut nier en tout cas que ce texte admet au moins implicitement une exception pour le cas de fuite du débiteur. Et de ce cas particulier, les auteurs ont très bien pu déduire un principe plus général. — Regelsberger ne trouve même pas nécessaire de s’appuyer sur le texte cité : il considère que l’exception a sa base dans la nature des choses . Et Puchta croit trouver le fondement de cette exception de principe dans les termes mêmes du Décret. «Le Décret, dit-il, renvoie lui-même à l’aide judiciaire et autorise par là tacitement des exceptions (optimum est, dit-il). Il y a là une nécessité certaine, et ce serait peu raisonnable de défendre la justice privée là où l’aide judiciaire est impossible» . Donc, selon Puchta, l’Empereur lui-même en n’employant pas de termes impératifs, aurait laissé entendre que le créancier n’était tenu de recourir à l’autorité judiciaire que lorsque celle-ci était en mesure d’intervenir.

Moriaud voit dans la loi 10.16 D. 42-8, un droit spécial, basé soit sur les rapports d’obligation entre créancier et débiteur, soit sur l’état de nécessité, qui justifie un acte de justice propre, ordinairement frappé des peines sévères de la loi Julia de vi privata (au du Decretum Marci) . L’auteur montre ici clairement que la nécessité autorisait en droit romain le créancier à se faire justice, même en commettant des actes ordinairement illicites.

Titze cite un autre texte permettant la justice privée agressive. C’est la loi 7.3 D. 43.24 quod vi aut clam.

«Bellissime apud Julianum quaeritur an haec exceptio noceat in hoc interdicto Quod non tu aut vi aut clam feceris? utputa utor adversus te interdicto quod vi aut clam: an possis mihi objicere candem exceptionem: quod non tu vi aut clam fecisti? Et ait Julianus acquissimum esse, hanc exceptionem dare; nam si tu aedificaveris. vi aut clam; ego item demolitus fuero vi aut clam, te adversus me utaris interdicto: hanc exceptinem profuturam: quod non aliter procedere debeat, nisi ex magna et necessaria causa; alioquin haec omnia officio judicis celebrari opportet.

Quelqu’un a construit vi ont clam sur le terrain d’autrui. Le propriétaire du terrain démolit le travail, vi aut clam aussi. S’il est poursuivi par l’interdit quod vi aut clam, il pourra opposer l’exception du même nom. Julien ajoute que l’on ne peut procéder vi aut clam qu’ex magna et necessaria causa. Dans d’autres conditions (alioquin), tout cela doit être résolu par le juge. Il s’agit donc d’un acte admis en cas de nécessité seulement.

Moriaud cite un autre texte qu’il considère comme consacrant un acte de justice privée agressive, dans un état de nécessité. C’est la loi 1.4. D. 18.6 de periculo et commodo rei venditae. Il s’agit du vendeur qui répand le vin vendu dont l’acheteur n’a pas pris livraison avant les vendanges. C’est bien un cas de nécessité, le vendeur ayant un besoin absolu des tonneaux pour les vendanges.

Dans ces trois textes, nous trouvons des cas de justice privée agressive formellement admis par le droit romain. Ces trois cas nous prouvent que les Romains ne se faisaient pas scrupule d’écarter l’application de la loi, lorsque la nécessité l’imposait.

L’idée qui se dégage de toute cette matière de la justice privée nécessité, c’est que l’on ne peut exiger des individus de supporter la lésion de leurs droits, lorsque l’autorité est dans l’impossibilité de la leur éviter. Et nous pouvons conclure en constatant que les éléments de la théorie (ou des théories) actuelle sur l’état de nécessité se retrouvent tous en germe dans le droit romain .

La justice privée en droit moderne

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