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Les Idées modernes concernant les relations de l’Homme avec l’Univers.
ОглавлениеLes notions qui régnaient généralement jusqu’au temps de Copernic, sur la position subordonnée du soleil, de la lune et des étoiles vis-à-vis de la terre, commencèrent à faiblir, lorsque les découvertes de Képler, et les révélations du télescope démontrèrent que notre terre ne se distingue des autres planètes ni par sa grandeur, ni par sa position.
L’idée que les autres planètes pourraient bien être habitées, naquit alors d’emblée; et lorsque la puissance croissante du télescope et des instruments astronomiques en général révéla les merveilles du système solaire, et le nombre indéfini des étoiles fixes, la croyance à l’habitation des mondes devint aussi générale qu’avait été l’opinion contraire dans les siècles précédents; elle subsiste encore de nos jours sous des formes quelque peu modifiées.
Mais l’on peut affirmer que cette croyance, tant ancienne que récente, puise sa source bien plus dans des idées censées religieuses, que dans l’examen scientifique et sérieux de l’ensemble des faits, qu’il s’agisse d’astronomie, de physique ou de biologie, et nous sommes d’accord avec le défunt docteur Whewell, qui affirme que la croyance à l’habitation des autres planètes a été généralement affirmée, non point comme une conséquence de raisons physiques, mais en dépit de ces dernières. Et il ajoute: «Il fut tenu pour certain que Vénus, ou que Saturne, étaient habitées, non point parce que l’on y constatait quelque structure organique qui pouvait convenir à l’existence animale à la surface de ces planètes, mais parce que l’on estimait que la grandeur, la bonté, la sagesse du Créateur, ou quelque autre de ses attributs, seraient manifestement imparfaits, si ces planètes n’étaient pas habitées par des êtres vivants».
Les gens qui de nos jours s’appuient sur le fait que bien des astronomes éminents ont déclaré croire à «la pluralité des mondes», supposent tout naturellement qu’il existe de puissants arguments en faveur de cette thèse, et qu’elle doit être appuyée par des faits très concluants. Leur surprise sera probablement grande, lorsqu’ils apprendront qu’il n’en est rien, et que les arguments desdits astronomes sont, pour la plupart, aussi faibles que superficiels. Il est vrai que, depuis quelques années, divers auteurs ont osé signaler les nombreuses difficultés qui s’élèvent contre cette croyance, mais ceux-là même n’ont point étudié sous toutes ses faces la question, comme elle le méritait, ce qui fait que telle qu’elle est exposée de nos jours, l’on se contente de dire que, pour ce qui concerne certaines planètes, la vie peut y être considérée comme probable.
On suppose encore que les millions de systèmes planétaires, censés exister, sont peuplés d’animaux de toutes espèces, de créatures humaines, et peut-être supérieures à l’homme.
Ayant l’intention de prouver, dans le présent ouvrage, que toutes les probabilités tendent à une conclusion absolument contraire, je désire passer rapidement en revue les auteurs qui ont traité ce sujet, en parlant des arguments dont ils se sont servis, et des faits qu’ils ont exposés.
Pour ce qui concerne les plus anciens d’entre eux, j’emprunterai le texte du docteur Whewell, lequel, dans son Dialogue sur la pluralité des mondes, — qui sert de supplément à son ouvrage bien connu sur le sujet, — cite tous les auteurs importants qui lui sont familiers.
Les premiers sont les grands astronomes Képler et Huyghens, avec le savant évêque Wilkins, lesquels croyaient que la lune pouvait ou devait être habitée, et, parmi ceux-ci, Wilkins, au dire de Whewell, passe bien pour avoir été le plus sérieux dans son argumentation.
Puis vient Isaac Newton, qui a abondamment argué en faveur de l’habitabilité du soleil. Mais le premier ouvrage de fond écrit sur le sujet est celui dû à Fontenelle, secrétaire de l’Académie des sciences à Paris, qui publia, en 1686, ses Conversations sur la pluralité des mondes. L’ouvrage se compose de cinq chapitres; le premier explique la théorie de Copernic; le second affirme que la lune est un monde habitable; le troisième donne des détails sur la lune, et déclare que les autres planètes sont également habitées; le quatrième décrit en détail les mondes des cinq planètes; le cinquième, enfin, affirme que les étoiles fixes sont des soleils, et que chacune d’elles éclaire un monde.
Ce livre était si bien écrit et le sujet paraissait si attrayant, qu’il fut traduit dans la plupart des langues de l’Europe, et que l’astronome Lalande publia l’une des éditions françaises. Il parut trois traductions anglaises, et l’une d’elles eut six éditions, jusqu’à l’an 1737.
L’influence de cet ouvrage fut considérable et contribua sans doute à faire accepter cette théorie par des savants. tels que sir William Herschel, le docteur Chalmers, le docteur Dick, le docteur Isaac Taylor et M. Arago, malgré que tout le système fût basé sur une. pure hypothèse, et qu’aucun fait ne pût être prouvé dans un sens ou dans l’autre.
Tel était l’état de l’opinion publique, lorsqu’en 1853 parut un ouvrage anonyme, sous le titre quelque peu équivoque de: la Pluralité des mondes. Un Essai.
Dans cet écrit, le docteur Whewell émettait pour la première fois des doutes sur la théorie généralement adoptée, et démontrait que toute la somme des preuves que nous possédons tendait à conclure que quelques planètes ne sont certainement pas habitables, que d’autres ne le sont probablement pas, tandis que, dans aucune d’entre elles, l’on ne découvre cette similitude étroite avec les conditions terrestres, qui paraissent si essentielles à l’existence des hommes ou des animaux supérieurs.
Le livre, bien écrit, dénotait pour le temps une connaissance approfondie de la science, mais il était fort diffus, et l’auteur s’efforçait surtout d’y démontrer que ses vues n’étaient point opposées à la religion. L’un de ses plus solides arguments était basé sur la proposition suivante, à savoir que «l’orbite terrestre est située dans la zone tempérée du système solaire», et que ce n’est que là qu’il est possible de retrouver les variations modérées de la chaleur et du froid, de la sécheresse et de l’humidité qui conviennent à la vie animale.
Il suppose que les planètes extérieures du système ne contiennent que de l’eau, des gaz et des vapeurs, ainsi que l’indique leur faible densité, ce qui les rend par cela même tout à fait impropres à la vie terrestre; de même, celles qui sont plus rapprochées du soleil sont également inhabitables, la forte chaleur solaire les privant d’eau à leur surface.
Le docteur Whewell consacre beaucoup de pages pour prouver qu’il n’existe point de vie animale sur la lune, et, tenant le fait pour avéré, il l’emploie comme argument contre ses adversaires. Car ceux-ci insistent toujours sur l’idée que la terre étant habitée, les autres planètes le sont aussi, à quoi il répond: «Nous savons que la lune est inhabitée, malgré qu’elle ait tous les avantages de la proximité du soleil que possède la terre; pourquoi donc les autres planètes ne seraient-elles pas également inhabitées? »
Il considère Mars, et admet que cette planète est, autant que nous pouvons en juger, très semblable à la terre; il est donc possible qu’elle soit habitée, ou, selon l’expression de l’auteur, «qu’elle ait été jugée digne de posséder des êtres humains de par le Créateur».
Mais, d’autre part, il insiste sur les petites dimensions de Mars, sur la rigueur de son climat, provenant de sa distance du soleil, et aussi sur le fait que la fonte annuelle de ses deux calottes polaires glacées doit la maintenir froide toute l’année.
Si des animaux existent sur cette planète, ils appartiennent probablement à un type inférieur, tels les sauriens et les iguanodons de nos mers, durant la période crétacée. «Mais, ajoute-t-il, si même pour notre globe, il fallut une longue préparation, qui dura des millions d’années, pour arriver à l’homme, nous ne pouvons songer a discuter sur l’existence d’êtres intelligents dans la planète Mars, jusqu’à ce que nous soyons absolument certains qu’il y existe des êtres vivants.»
Whewell consacre plusieurs chapitres à adoucir les perplexités de certaines personnes pieuses oppressées par l’immensité et la complexité de l’univers matériel, tel qu’il est révélé par l’astronomie moderne; elles le sont peut-être davantage par l’insignifiance presque complète de l’homme et de la terre, sa demeure, petitesse qui s’accentue encore, s’il est vrai que, non seulement les planètes du système solaire, mais encore celles qui évoluent autour de myriades de soleils sont également des foyers de vie. Cesdites personnes sont encore troublées par le fait que ces mêmes théories sont exploitées par les sceptiques, dans leurs attaques contre le christianisme.
Ces auteurs insistent sur la folie et l’absurdité qu’il y a à supposer que le Créateur de cette masse incommensurable de soleils et de systèmes, remplissant des espaces infinis, puisse s’intéresser spécialement à une créature aussi misérable et infime qu’est l’homme, ce spécimen incomplet d’un des mondes inférieurs, satellite d’un soleil de second ou de troisième ordre. Bien plus, l’histoire de cet être humain n’est qu’une longue série de guerres, de tyrannie, de torture et de mort. Pour en revivre l’horreur, il suffit de lire l’Histoire des Juifs, de Josèphe; la Décadence et la Chute de l’empire romain, ou encore le Martyre de l’humanité, ou enfin ces deux vers, dans lesquels un poète plein de sens et de cœur a résumé la pensée suprême de son âme: «La cruauté de l’homme envers l’homme cause des lamentations infinies».
Et ce serait, disent-ils, pour un être pareil que Dieu aurait spécialement révélé sa volonté il y a des milliers d’années? Après quoi, constatant que ses ordres étaient méconnus, il aurait décidé, à son profit, le sacrifice suprême de son Fils unique, afin de sauver une petite partie de ces «misérables pécheurs» du châtiment bien mérité de leurs crimes sans nom?
«En vérité, disent ces raisonneurs, une telle croyance est trop ridicule pour être adoptée par aucun être raisonnable, et elle le paraît encore davantage, si nous gardons l’opinion que beaucoup d’autres mondes sont habités.»
Il est fort malaisé à l’homme pieux de répondre de façon concluante à de telles attaques; plusieurs même y ont renoncé, et ont perdu par là même toute foi aux dogmes de la chrétienté orthodoxe. L’esprit de ces infortunés se sent réellement acculé à un dilemme. Car, s’il existe des myriades d’autres mondes, il semble impossible d’admettre que chacun d’eux soit l’objet d’une révélation et d’un sacrifice spécial. Si, d’autre part, nous sommes les seuls êtres intelligents créés dans l’univers matériel, le seul produit supérieur émanant de la Toute-Sagesse, ces hommes ne peuvent comprendre la disproportion apparente entre le Créateur et la créature, et sont parfois poussés vers l’athéisme, incapables qu’ils sont de concilier un résultat aussi lamentable avec la puissance infinie de Dieu.
Whewell raconte que le grand orateur Chalmers s’efforça, dans ses Discours astronomiques, de résoudre ces difficultés, mais sans y parvenir d’une façon satisfaisante. Lui-même cherche à atteindre le même but dans son ouvrage. Son idée dominante, c’est que nos connaissances de l’univers sont trop imparfaites, pour que nous puissions résoudre le sujet en question, et que toute notion basée sur les desseins du Créateur; à l’égard du vaste système qui nous entoure, est forcément erronée.
Il faut donc prendre notre parti de cette ignorance forcée, et admettre que le Créateur poursuit un but, malgré qu’il nous reste inconnu. Et, à ceux qui rétorquent que, dans les autres mondes, il règne peut-être des lois naturelles qui peuvent les rendre aussi habitables pour des êtres intelligents que notre monde l’est pour nous, Whewell répond ce qui suit: «S’il faut supposer de nouvelles lois naturelles, afin de rendre chaque planète habitable, il faut renoncer à toute enquête rationnelle, et admettre et croire que les animaux peuvent vivre sur la lune sans eau et sans air, de même que sur le soleil, où règne une chaleur qui vaporise même les minéraux et les métaux».
Il conclut par un argument qui nous paraît assez fort, étant basé sur la dignité de l’homme, laquelle communique une vraie supériorité à la planète qui l’a produit. «Si, dit-il, l’homme n’est pas seulement capable de vertu et de responsabilité, d’amour et de dévouement universel, mais s’il est aussi immortel; si son âme doit durer éternellement et ne jamais mourir; alors, certainement, nous pouvons dire qu’une seule âme surpasse en valeur la création tout entière. »
Puis, s’adressant au public religieux, il insiste sur le fait que s’il croit que Dieu a racheté l’homme par le sacrifice de son Fils et lui a révélé sa volonté, une seule conclusion s’impose, à savoir, que l’homme est le meilleur résultat de l’univers.
«L’élévation des millions de créatures morales, religieuses et spirituelles, à une destinée ainsi préparée, consommée et développée, est digne de Celui qui possède toutes les capacités du temps, de l’espace et de la matière.
Suit un chapitre sur l’ «Unité du monde», puis un dernier sur le «Futur», qui n’ajoute pas grand’chose à la force de son argument.
La publication de ce livre remarquable, quoique un peu diffus, qui venait heurter les croyances populaires, fut suivie d’une protestation indignée, et cela de la part d’un savant fort érudit dans les sciences physiques, sir David Brewster; ce dernier, disons-le cependant, était, sous le rapport de la culture générale et du talent littéraire, fort inférieur à l’auteur qu’il attaquait.
Le livre qu’il lui opposa porte ce titre suggestif: Il n’existe pas seulement un Monde; le Crédo du philosophe et l’Espérance du chrétien.
Tout en étant écrit avec force et conviction, il fait principalement appel aux préjugés religieux, et affirme que chaque planète et chaque étoile sont des créations spéciales, et que les particularités de chacune furent créées pour un but différent.
«Si, dit-il, la lune devait simplement servir de lampe à la terre, quelle nécessité y avait-il de varier sa surface par des montagnes et des volcans éteints, et de l’avoir formée de larges continents, qui réflètent la lumière, puis de mers intérieures? Si elle eût été un simple bloc, elle eût bien mieux rempli son but.» Donc, pense-t-il, elle est préparée pour des habitants, et il en infère que tous les autres satellites sont également habités. Sir Brewster dit encore: «Lorsqu’on découvrit que Vénus était de mêmes dimensions que la terre, ayant des montagnes et des vallées, des jours et des nuits, des années semblables aux nôtres, l’absurdité de nier son habitabilité, alors qu’aucun autre but rationnel ne pouvait expliquer sa raison d’être, devint patente. On fut alors forcé de croire que, comme la terre, elle était le siège d’une vie animale et végétale. Puis, lorsqu’on découvrit que Jupiter était assez colossal pour nécessiter la lumière de quatre lunes, l’argument par analogie de son habitabilité fut renforcé par le fait qu’il s’étendait à deux planètes».
De cette façon, chaque nouvelle planète, présentant quelque rapport avec les précédentes, ajoute un nouveau poids à l’argument précité, ce qui fait, dit-il, «que si nous prenons en considération toutes les planètes munies d’une atmosphère, de nuages, de neiges arctiques et de vents alizés, la probabilité de leur habitation devient très forte. Quant à supposer, d’autre part, que des planètes puissent avoir des lunes et point d’habitants, des atmosphères et aucune créature pour y vivre, des courants d’air ne pouvant rafraîchir aucun vie, l’idée est si absurde qu’elle ne peut être soutenue».
L’ouvrage contient encore plus d’un argument d’une insigne faiblesse. Par exemple, après avoir décrit les étoiles doubles, il ajoute: «Personne ne voudra croire que des soleils aient été placés dans le ciel, pour le seul but d’évoluer autour d’un centre de gravité commun». Puis, au moment de clore son chapitre sur les étoiles, il dit: «Partout où règne la matière, là doit régner la vie: vie physique pour jouir de sa propre plénitude, vie morale pour adorer son Créateur, et vie intellectuelle pour annoncer sa sagesse et son pouvoir».
Et encore: «Une maison sans locataires, une ville sans citoyens, présente à nos esprits la même idée qu’une planète sans vie et qu’un univers sans habitants, c’est-à-dire une absurdité sans nom».
De pareils arguments, qui ne sont que des pétitions de principe, abondent dans ce livre, à la surprise du lecteur. Il va jusqu’à citer les Psaumes, dans l’Ancien Testament, pour étayer ses vues: «Lorsque je contemple les cieux, ouvrage de tes mains, la lune et les étoiles que tu a disposées, qu’est-ce que l’homme, que tu te souviennes de lui?» texte qui lui suggère la remarque suivante: «Nous ne pouvons douter qu’il — David — n’ait été inspiré par l’étendue, les distances et les origines des sphères glorieuses qui fixèrent son admiration».
Après d’autres citations tirées des prophètes, qui lui semblent appuyer ses dires, il émet la curieuse théorie que les planètes, ou plusieurs d’entre elles, tout au moins, doivent servir de futures demeures à l’homme. «Car, dit-il, l’homme, dans son existence future, possédera, comme actuellement, une nature spirituelle renfermée dans un corps matériel. Donc, il doit habiter une planète matérielle, sujette à toutes les lois de la nature.»
Et il conclut ainsi: «Si donc il n’y a pas assez de place, sur notre globe, pour les millions et millions d’êtres qui ont vécu et qui sont morts à sa surface, nous ne pouvons douter que leur future demeure ne doive être sur quelques-unes des planètes primaires ou secondaires du système solaire dont les habitants n’existent plus, et qui attendent depuis longtemps, ainsi que le fit jadis notre globe, l’avènement de la vie intellectuelle».
Quittons sans regret ces rêveries pour mentionner les seuls ouvrages modernes qui traitent ce sujet, à savoir: D’autres Mondes que le nôtre, du défunt Richard A. Proctor, ainsi qu’un livre publié cinq ans plus tard, sous ce titre: Notre Place parmi les infinis.
Ecrit par l’un des astronomes les plus éminents de son temps, aussi remarquable par l’exactitude de son raisonnement que par la clarté de son style, nous restons toujours sous le charme, quoique nous ne puissions pas souscrire à toutes les conclusions de l’auteur.
Dans son premier ouvrage, il affirme, comme sir David Brewster, la probabilité fondamentale de l’habitation des planètes, et cela d’après les mêmes raisons théologiques.
M. Proctor est tellement sûr de son fait qu’il parle sans cesse des planètes comme devant être habitées jusqu’à preuve du contraire, cherchant à rejeter la négation sur ses adversaires, tandis qu’il n’essaie pas de prouver son assertion, si ce n’est par de pauvres hypothèses sur les intentions du Créateur.
Partant de ce point, il essaie de démontrer comment les difficultés signalées par Whewell peuvent être surmontées, et se sert dans ce but de faits astronomiques et physiques bien contrôlés. Mais il est parfaitement loyal, et arrive à la conclusion que Jupiter et Saturne, Vénus et Neptune, ne peuvent être habitables; il affirme tout simplement le fait. Mais il suppose que les satellites de Jupiter et de Saturne pourraient l’être. Une grande erreur de son argumentation, c’est qu’il se contente de vouloir prouver que la vie existe actuellement, tout en passant sous silence la question de savoir si la vie aurait pu se développer à partir de ses rudiments les plus primitifs, jusqu’aux plus hauts vertébrés et jusqu’à l’homme; cela, comme je l’indiquerai plus tard, est le nœud de tout le problème.
Pour ce qui concerne les autres planètes, après les avoir soigneusement examinées, il arrive à la conclusion que si Mercure est protégé par une atmosphère chargée de vapeurs d’une espèce particulière, il est possible, mais non probable, qu’elle renferme des types supérieurs de vie animale.
Il trouve, en Vénus et en Mars, tant d’analogies avec notre terre, qu’il en conclut qu’elles ne sauraient être privées d’habitants.
Passons aux étoiles fixes. Nous savons maintenant, par le moyen des observations spectroscopiques, que ce sont des soleils, tout pareils au nôtre, et, comme lui, émettant de la lumière et de la chaleur, M. Proctor dit ceci:
«Les vastes réservoirs de chaleur, ainsi constitués par les étoiles, suggèrent non seulement l’idée de l’existence de mondes circulant le long de leurs orbites, et pour lesquels sont préparés ces foyers de chaleur, mais ils indiquent les diverses formes d’énergie dans laquelle cette chaleur peut se transformer. Nous savons que les rayons solaires recueillis par la terre se retrouvent dans les formes animales et végétales de la vie; qu’ils existent dans tous les phénomènes de la nature, dans le vent, la pluie et les nuages, dans le tonnerre et la foudre, la tempête et la grêle; et que, les travaux humains eux-mêmes sont accomplis aux dépens de l’énergie fournie par ces mêmes rayons. Donc, le fait que les étoiles rayonnent de la chaleur sur les mondes qui évoluent autour d’elles, suggère de suite la pensée que, sur les mondes, la vie animale et végétale doit aussi exister».
Remarquons ceci, c’est qu’au début de ce passage, la présence des mondes ou des planètes est «supposée», tandis que, plus loin, l’auteur parle «des mondes ou des planètes qui tournent autour des étoiles» comme d’un fait certain, entraînant avec lui l’existence d’une vie végétale et animale.
Une suggestion dépendant d’une suggestion précédente n’est pas une base bien sérieuse pour une conclusion aussi grave.
Dans le second ouvrage mentionné plus haut, se trouve un chapitre intitulé : «Une nouvelle théorie de la vie dans les autres mondes», où l’auteur donne ses opinions raisonnées sur la question, qu’il résume dans sa préface, en disant: «L’évidence favorise ma théorie au sujet de la rareté relative des mondes».
S’occupant tout d’abord de la terre, il montre que la période durant laquelle la vie y existe, est bien minime, comparée au temps qu’il lui a fallu pour se former et se refroidir, afin que l’atmosphère s’y condensât suffisamment. pour constituer la terre et l’eau à sa surface.
Et si nous considérons la durée pendant laquelle la terre a été occupée par l’homme, nous voyons qu’elle atteint à peine la millième partie de la période de son existence en tant que planète. Il s’ensuit que si nous étudions seulement les planètes qui nous paraissent susceptibles de posséder des êtres vivants, il y a peut-être une chance sur cent pour qu’elles se trouvent dans la phase spéciale où la vie a commencé à se développer, et où elle a atteint un degré d’avancement pareil au nôtre.
Pour ce qui concerne les étoiles, l’argument atteint encore plus de force, parce que la durée requise pour leur formation nous est inconnue, ainsi que les conditions nécessaires pour la formation des systèmes planétaires qui les entourent.
A. cela j’ajoute que nous ignorons également si lesdits soleils peuvent produire des planètes, lesquelles seraient capables, par leur position, leurs dimensions, leur atmosphère, et par d’autres conditions physiques, de devenir des centres de vie animale. Comme nous le verrons plus loin, ce point spécial a été omis par tous les auteurs, y compris M. Proctor. Sa conclusion est donc celle-ci, c’est que, malgré que les mondes animés de même façon que notre terre puissent être de nombre restreint, étant donné cependant que l’univers est infini comme étendue, ils doivent être réellement très nombreux.
Il a fallu donner cette esquisse des auteurs qui ont spécialement traité de la pluralité des mondes, parce que lesdits ouvrages ont été beaucoup lus, et ont influencé l’opinion des gens cultivés dans le monde entier.
Bien plus, M. Proctor, dans son dernier ouvrage sur le sujet, parle de cette théorie comme «faisant partie de l’astronomie moderne», et, en effet, les ouvrages populaires la discutent encore.
Mais tous suivent la même argumentation que celle dont nous avons parlé, et, chose curieuse, tandis qu’ils omettent plusieurs conditions essentielles, ils en introduisent d’autres sans valeur, telles que celle-ci: c’est que l’atmosphère doit renfermer la même proportion d’oxygène que la nôtre.
Ces auteurs s’imaginent que si quelqu’un de nos quadrupèdes ou de nos oiseaux, transporté sur une autre planète, ne pouvait pas y vivre, aucun animal d’organisation spéciale ne pourrait y exister également. Ils ignorent absolument ce fait certain, c’est que, étant donné que l’oxygène est nécessaire à la vie, quelle que soit la proportion dudit oxygène sur ces planètes, les créatures vivantes qui s’y trouveraient seraient organisées en vue de cette proportion, laquelle pourrait être, soit très inférieure, soit très supérieure à celle de la terre.
Ce volume montrera combien cette question a été insuffisament traitée, malgré qu’elle abonde en considérations importantes qui auraient dû être étudiées avec soin. Le fait qu’elles aboutisent toutes à la même conclusion — conclusion qu’aucun auteur, à ma connaissance, n’a encore indiquée, — mériterait l’examen consciencieux de tous les penseurs non prévenus.
Il n’est pas possible de prouver l’entière évidence de ce sujet, mais j’ose croire que la convergence de tant de probabilités vers une théorie pleinement définie, intimement unie qu’elle est avec la nature et la destinée de l’homme, rend cette théorie bien plus certaine que les vagues possibilités et les suggestions théologiques, suprême argument des auteurs précédents.
Afin de rendre intelligible à tous mes lecteurs cultivés chaque degré de son argumentation, il sera nécessaire de m’en référer continuellement à l’extension merveilleuse de notre connaissance de l’univers, obtenue durant le dernier demi-siècle, et appelée la Nouvelle Astronomie. Le chapitre suivant sera donc consacré à l’exposé populaire des nouvelles méthodes, afin que les résultats obtenus, dont nous parlerons dans la suite de l’ouvrage, soient non seulement acceptés mais clairement démontrés.