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VIII
ОглавлениеUn époux malheureux.
Ce jour-là, Mme Lauter s'enquit dès le matin s'il ne lui manquait rien; elle lui conseilla de se bien couvrir et de mettre des bas de laine, parce qu'il avait fait la veille un orage dont l'air était refroidi; le déjeuner fut servi de bonne heure; les pommes de terre furent cuites à point et parfaitement farineuses; ce ne fut, pendant tout le repas, qu'attentions charmantes de la part de Mme Lauter: elle épiait dans les yeux de son mari la pensée la plus fugitive, avec une tendresse inquiète; elle ne lui laissait pas le temps de désirer la moindre chose, elle avait deviné et prévenu son désir; après le déjeuner, elle se mit au clavecin, et joua à M. Lauter de vieux airs qu'il aimait.
De ce jour-là, tout fut changé dans la maison. On admira les peintures de M. Lauter. Stoltz accepta avec reconnaissance deux grandes toiles de sept pieds sur quatre, dont les cadres lui coûtèrent cinq cents francs. Il était trop heureux quand M. Lauter voulait bien se servir de son cheval pour ses affaires ou pour la promenade; il le suivait à la chasse avec plus de zèle et d'abnégation que le braque le mieux dressé, et, au retour, il se confondait en récits de la miraculeuse adresse de M. Lauter. Si M. Lauter avait besoin de quelque chose à la ville voisine, Stoltz n'était-il pas là pour faire la commission? M. Lauter pouvait raconter dix fois la même histoire, sans qu'il se trouvât personne pour l'en faire apercevoir, ou même pour le lui laisser soupçonner par une attention moins soutenue. Stoltz faisait autant de parties d'échecs ou de trictrac qu'il plaisait au malheureux époux de Rosalie.
La maison était devenue l'asile de la plus douce paix; toutes les voix y étaient calmes et bienveillantes. Quand, autrefois, M. Lauter avait à faire quelque petit voyage, c'était un affreux désordre; on se plaignait amèrement du soin de faire sa malle, et du léger bouleversement dont un départ sert toujours de prétexte aux domestiques; on lui soutenait que ses prétendues affaires n'existaient pas, que son voyage n'était qu'un caprice, ou quelque plaisir qu'il avait sans doute de bonnes raisons pour ne pas avouer. Maintenant tout est changé: on fait les préparatifs avec une sollicitude minutieuse; Stoltz prête son cuir à rasoir qu'il a fait venir d'Angleterre; Rosalie fait les plus tendres recommandations de ne pas être trop longtemps, de ne pas se risquer la nuit sur les chemins, de ne pas se mettre en route le matin sans avoir pris quelque chose de chaud, etc., etc.
Enfin, M. Lauter est parti; Mme Lauter l'a accompagné jusqu'à la porte de la rue; et, à l'angle du chemin, à l'endroit le plus éloigné d'où il soit encore possible de voir la maison, M. Lauter ayant arrêté son cheval et s'étant retourné, il a vu sa femme lui faire, avec un mouchoir blanc, un signe d'adieu et d'affection.
La nuit vint, et tout le monde dormait du plus profond sommeil, lorsqu'on entendit frapper plusieurs coups à la porte; en effet, l'horrible temps qu'il faisait au dehors justifiait l'empressement de la personne qui demandait à entrer. On demanda du dedans: «Qui est là?
—Eh, parbleu! répondit-on du dehors, c'est moi, Lauter; je suis mouillé jusqu'aux os.»
Sur cette réponse, au lieu d'ouvrir à son maître, la servante alla frapper à la chambre de Rosalie. Ce ne fut qu'après quelques minutes que M. Lauter put rentrer chez lui.
«Vite, Rosalie, un grand feu; un noyé ne doit pas être aussi mouillé que moi.»
Lauter se déshabilla, se chauffa, et, quand il fut un peu remis: «Mon Dieu, Rosalie, comme tu es pâle! dit-il.
—C'est, reprit Mme Lauter, que vous m'avez réveillée brusquement, et que votre aspect n'avait rien de bien égayant.
—Où diable sont donc mes pantoufles, Henriette?
—Quelles pantoufles? demanda la servante.
—Eh, parbleu! mes pantoufles; mes pantoufles vertes, celles qui ont de hauts quartiers.
—Je ne sais pas.»
Rosalie tremblait de tous ses membres.
«J'espère, dit-elle, qu'il ne vous est arrivé aucun accident qui ait causé votre retour aussi inattendu?
—Nullement, reprit Lauter.... Mais je voudrais bien avoir mes pantoufles.... J'ai rencontré à quelques lieues d'ici un messager qui m'apportait les renseignements que j'allais demander; je me suis figuré que j'arriverais avant la pluie, et j'ai préféré passer la nuit auprès de ma jolie Rosalie au séjour dans une auberge. Mais où peuvent être mes pantoufles?
—Mon ami, dit Rosalie, vous n'avez pas besoin de pantoufles pour dormir; et c'est ce qu'il y a de plus opportun en ce moment; vous voilà séché, le lit achèvera de vous réchauffer.»
Lauter se coucha, non sans jeter autour de la chambre un coup d'œil destiné à la recherche de ses pantoufles; mais, une fois au lit, il ne put s'endormir. Il était revenu à cheval tellement vite, que son sang en mouvement chassait invinciblement le moindre sommeil; il se retourna cent fois dans le lit, cherchant en vain une position plus favorable; puis il se détermina à dire à demi-voix: «Rosalie, dors-tu?» Rosalie dormait moins que lui encore, mais elle ne répondit pas. Elle attendait impatiemment que Lauter succombât à un de ces sommeils profonds qui succèdent à la fatigue; mais quand elle entendit sonner cinq heures et qu'elle vit que le jour ne tarderait pas à paraître, elle se leva précipitamment.
«Où vas-tu? demanda M. Lauter.
—Je descends.
—Pourquoi? il ne fait pas encore jour.
—Je n'ai plus sommeil.
—Ni moi, quoique je n'aie pas fermé l'œil de la nuit; reste auprès de moi, nous causerons.
—Non, j'ai donné des ordres hier aux domestiques, et il faut que je veille à leur exécution.
—Je t'en prie.
—C'est impossible.»
Quand elle fut partie, Lauter alluma une bougie et essaya de lire un livre qui se trouvait par hasard sur le somno: ce livre l'ennuya sans l'endormir; il se leva pour en prendre un autre, et un mouvement naturel lui fit encore chercher ses pantoufles et dire: «Ah çà! mais où sont mes pantoufles?» Il prit la bougie, et chercha autour de la chambre. Tout à coup il s'arrêta stupéfait en voyant le quartier d'une de ses pantoufles qui passait sous la porte-fenêtre qui s'ouvrait sur le balcon; il alla replacer la bougie sur le somno, en grommelant: «Eh bien! elles vont être jolies! Cette folle d'Henriette qui les laisse sur le balcon par un temps comme celui-là!» Il ouvrit alors la fenêtre et se baissa pour saisir ses pantoufles en tâtonnant; il ne tarda pas à mettre la main sur une, mais il y avait quelque chose dedans: ce quelque chose était un pied; au bout de ce pied, il trouva une jambe, au bout de cette jambe, un monsieur. Il saisit le monsieur au collet, l'entraîna dans la chambre, et s'écria: «Ah! vol...» Mais tout à coup il s'arrêta en reconnaissant M. Stoltz, et lui dit d'une voix terrible: «Monsieur Stoltz, comment se fait-il que vous soyez dans mes pantoufles?»