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XII

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A cette lecture, Mme Modeste Rolland tomba assise sur un fauteuil. Elle vit d'un seul coup son empire détruit, son bonheur renversé; elle se sentit domestique; mais bientôt il lui parut tellement impossible que ce qui était si bien et depuis si longtemps établi pût changer ainsi tout à coup, qu'elle se demanda quelle avait été la réponse de son maître. La rapidité avec laquelle cette réponse avait été faite lui semblait d'un bon augure; un refus seul pouvait admettre aussi peu de réflexion et d'examen. Avant de consentir à l'arrivée de Mme Lauter, M. Chaumier n'aurait pas manqué de la consulter, d'examiner les difficultés de l'établissement et les moyens d'y obvier. D'ailleurs elle connaissait l'histoire du mariage de Mme Lauter; M. Chaumier n'avait jamais vu son beau-frère, ils n'avaient eu ensemble d'autres rapports qu'une correspondance relative à des affaires, qui s'était terminée par de l'aigreur et la cessation de toutes relations. M. Chaumier avait alors juré solennellement qu'il ne verrait jamais son beau-frère, et qu'il ne reverrait pas sa sœur. Le résultat des réflexions de Modeste fut que M. Chaumier avait nécessairement répondu par un refus formel; elle remit la lettre dans la poche de l'habit, et appela la petite Rose, qui pleurait de peur dans le jardin; après quoi, elle la déshabilla et la coucha.

Le lendemain, cependant, elle se réveilla moins rassurée que la veille sur les probabilités du refus de son maître de la proposition de sa sœur; et, pendant le déjeuner, elle fit de nouveaux efforts pour le faire parler. Enfin, à propos d'une histoire en l'air, elle lui dit «Croyez-vous, monsieur, qu'un honnête homme puisse violer un serment quel qu'il soit?

—Je ne crois pas, Modeste, répondit M. Chaumier; cependant, ajouta-t-il après un instant de réflexion, il est des serments que l'on peut, et que l'on doit même oublier: je parle des serments impies qui s'échappent dans un moment de colère, d'emportement, et dans ce cas, je crois que la faute n'est pas de violer le serment, mais de l'avoir fait.

—Mais, dit Modeste, si la colère qui a fait faire le serment n'était pas un mouvement aveugle, mais au contraire un légitime ressentiment?

—Quel que soit le motif de la colère, elle est toujours aveugle, Modeste. Je me rappelle qu'il y a deux ans, ayant à me plaindre de plusieurs de mes collègues, à la Société pour l'abolition de l'esclavage, et voyant que mes travaux n'étaient pas appréciés à leur valeur, je jurai de ne plus me mêler à ce qu'ils faisaient. Eh bien! Modeste, c'est là un serment que je ne devais pas tenir et que je n'ai pas tenu, parce que je ne pouvais, sous prétexte de fidélité à un serment, abandonner la cause des malheureux noirs.

—Mais, monsieur, dit Modeste, si votre abandon n'avait été préjudiciable qu'aux gens dont vous aviez à vous plaindre?

—Et encore, Modeste, je ne sais ce que j'aurais fait: il faut bien avoir un peu d'indulgence les uns pour les autres; et, au résumé, je crois que, si on doit tenir, à quelque prix que ce soit, un serment dont les résultats sont favorables à celui qu'il concerne, on ne trouvera qu'indulgence de la part de Dieu, si on ne donne pas suite à un serment de haine et de méchanceté.»

Modeste rentra dans sa cuisine, et se dit: «Je suis perdue!» De ce jour, elle fit son devoir avec une exactitude scrupuleuse, mais affectée et chagrine, et ses réponses, courtes et sèches, témoignèrent d'un mécontentement dont je ne puis assurer que M. Chaumier s'aperçût.

Une semaine après, M. Chaumier, ayant reçu une nouvelle lettre, avertit Modeste que sa sœur allait venir demeurer près de lui avec ses enfants, et que cela nécessiterait un peu de dérangement dans la maison. Ainsi, Modeste devait quitter le premier étage, qui appartiendrait à Mme Lauter et aux deux petites filles, et monter à l'étage au-dessus, qu'elle partagerait avec les deux garçons. Modeste obéit sans faire une observation, mais d'un visage froid et impassible: elle enfouit dans son cœur le regret de la belle chambre parquetée, ornée d'une grande glace et de rideaux jaunes, et elle attendit Mme Lauter avec les sentiments de la haine la plus profonde.

Les enfants eurent bientôt fait connaissance et furent enchantés de trouver des cousins et des compagnons de jeu. Léon et Geneviève, les enfants de Mme Lauter, étaient plus âgés que Rose et Albert: les premiers avaient douze et dix ans, tandis qu'Albert n'avait que dix ans, et Rose huit. Léon fut installé avec Albert chez M. Semler. Mme Lauter, qui était, depuis la disparition de son mari, restée grave et triste, s'occupa sans relâche des soins du ménage et de l'éducation de ses deux filles: c'est ainsi qu'elle appelait également Rose et Geneviève. Quand elle avait annoncé à son frère qu'elle retirerait 30 000 fr. de la vente de ce qui lui restait, elle s'était à elle-même exagéré la valeur des objets, et cette vente n'alla pas tout à fait à 20 000 fr. Elle fut un moment écrasée de ce désappointement; elle ne voulait ni n'osait être à charge à son frère, et celui-ci avait accepté les propositions de sa sœur, dans l'hypothèse qu'elle apportait un revenu de 1500 fr., ce revenu, diminué presque de la moitié, la mettait dans un grand embarras; elle prit le parti de placer son argent en rente viagère: par ce moyen, il ne resterait rien à ses enfants, mais au moins elle leur assurerait une bonne éducation: comme on dit dans les universités, cela mène à tout, et elle contribuerait à la dépense de la maison, ainsi qu'elle l'avait annoncé: elle dit simplement à son frère qu'elle avait placé son argent, sans lui dire les conditions.

Elle avait parfaitement compris, dès le premier jour de son arrivée, à quel point sa présence était désagréable à Modeste, et elle était bien décidée à ne rien négliger pour vaincre cette antipathie que lui laissait voir Mme Rolland. Elle lui fit quelques petits cadeaux d'objets de toilette, mais Mme Rolland affecta de n'en faire aucun usage. Elle essaya d'être avec elle polie et même affectueuse; mais, le premier jour qu'elle l'appela Modeste, celle-ci lui répondit que monsieur l'appelait ainsi, mais que toutes les autres personnes l'appelaient Mme Rolland: ce à quoi Mme Lauter s'empressa de se soumettre. Mais, quelle que fût sa résolution, il y avait des usurpations qu'elle était obligée de faire: ainsi, d'accord avec son frère, elle se chargea de la dépense, qui jusque-là avait été faite sans contrôle par Modeste; elle fit rentrer Modeste à l'état de domestique vis-à-vis de Rose, qui n'aurait pu que perdre aux caprices, aux façons vulgaires et à la mauvaise humeur de maman Modeste, comme elle l'avait appelée jusque-là. Ce ne fut plus à elle que s'adressa Albert pour les objets dont il avait besoin, ou pour quitter, le lundi, la maison paternelle une heure plus tard. Il lui fut impossible de décider, comme de coutume, avec les fournisseurs, sans en référer préalablement à Mme Lauter; de quoi elle se vengeait en parlant d'elle avec le plus grand mépris, et en la peignant comme une femme qui, après avoir poussé son mari au suicide par sa conduite dépravée, venait aujourd'hui, avec ses deux enfants affamés, gruger ce bon M. Chaumier, et faire dans la maison un embarras qui ne lui convenait pas. Elle ne manquait jamais une occasion d'être désagréable à Mme Lauter: s'il y avait quelque chose de cassé ou de gâté, c'était toujours par Léon ou Geneviève; quoique les quatre enfants fussent traités sur le pied de la plus parfaite égalité, qu'ils fussent habillés de même, comme s'ils eussent été tous quatre frères et sœurs, la seule Modeste n'admettait pas cette égalité: elle servait toujours à table les petits Chaumier avant les petits Lauter; elle trouvait toujours moyen de laisser prendre à ceux-ci une foule de petits soins dont elle se chargeait volontiers pour les autres; elle nettoyait la chambre de Mme Lauter avec une négligence si affectée, que celle-ci feignit que cela la gênait qu'on entrât dans sa chambre, et prit le parti de la balayer elle-même. Quand elle revenait de la provision, elle rapportait à Rose des fruits ou des friandises, sans en donner à Geneviève; mais la petite Rose venait d'elle-même partager avec sa cousine: alors Modeste se plaignait que Geneviève eût jeté par terre des noyaux de cerises. Pendant un an, elle s'obstina à servir à table M. Chaumier avant sa sœur, quoique, pendant un an, M. Chaumier ne se laissât pas servir une seule fois le premier. Mme Lauter faisait semblant de ne pas s'apercevoir de ses impertinences, et ne s'appliquait qu'à lui ôter l'occasion de les renouveler. Mais les domestiques ne reconnaissent qu'un maître dans une maison, et les devoirs de la domesticité paraissent toujours moins durs à remplir à l'égard d'une personne de l'autre sexe.

D'ailleurs, l'inégalité entre les femmes ne se manifeste pas d'une manière aussi évidente qu'entre les hommes. L'esprit, les talents, une certaine autorité, séparent suffisamment les hommes; mais, entre les femmes, il ne peut y avoir d'inégalité réelle que celle de la beauté. Les servantes, comme les maîtresses, le savent bien, et il n'est pas une femme qui ne se défie d'avoir auprès d'elle une trop jolie servante.

Un artiste, un homme politique, un homme d'esprit, ne sont certainement pas de la même race qu'un domestique; mais on peut (les exemples ne manquent pas), quand on veut, faire d'une jolie chambrière une duchesse à peu près présentable.

Mme Lauter, toute jolie femme qu'elle était, ne jouissait même pas du bénéfice de cet avantage qu'elle possédait sur Modeste, laquelle n'était plus jeune et n'avait jamais été belle: car les femmes ne peuvent apprécier leur beauté que par les hommages qu'elle leur attire; et, dans cette maison si fermée, la beauté, qui n'avait personne pour l'admirer, cessait d'être un avantage et même d'être quelque chose.

C'était pour les enfants une grande fête que le dimanche. Albert et Léon arrivaient de bonne heure, et cependant déjà depuis longtemps Rose et Geneviève les attendaient. Plus de dix fois elles avaient ouvert les portes du jardin, croyant les entendre venir. Ce jour-là, on avait fait cuire une galette, et toute la maison était sens dessus dessous. Les garçons arrivaient toujours avec quelque nouveau jeu, un peu plus bruyant et martial qu'il ne convenait à des filles.

Geneviève

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