Читать книгу Geneviève - Alphonse Karr - Страница 4
II
ОглавлениеIl est bon de dire comment ce jeune homme était arrivé sur le balcon.
Mme Lauter, qui, avant son mariage, s'appelait Mlle Rosalie Chaumier, demeurait chez une tante. C'est là que M. Lauter la rencontra, et qu'il fut obligé de faire une variante au mot de César, et de dire: «Je suis venu, j'ai vu, j'ai été vaincu.» M. Lauter avait trente-cinq ans. Mlle Rosalie Chaumier, dix-huit; en attendant qu'elle prît du goût pour son mari, elle avait, comme toutes les filles, un goût prononcé pour le mariage; en peu de temps elle devint Mme Lauter, et vint habiter, à Châlons, la maison de son mari.
Le faible de M. Lauter était une grande prétention à la force et au stoïcisme. Cette prétention n'était nullement justifiée, et n'avait pour prétexte que l'admiration qu'inspirent naturellement, entre les qualités que l'on n'a pas, celles dont on est le plus éloigné. De cette admiration on passe graduellement au regret de ne les avoir pas, au désir de les acquérir, à la conviction de les posséder, à la vanité de s'en parer.
M. Lauter était bon, sensible, généreux; c'était assez de chances pour souffrir dans la vie; mais son prétendu stoïcisme les augmentait singulièrement: il lui fallait, en effet, souffrir en dedans sans avouer ses souffrances, sans les faire évaporer en plaintes, en récits, en gémissements, en imprécations, qui ont le double avantage de diminuer les chagrins et de s'en faire plaindre davantage.
Mme Lauter était, comme sont toutes les femmes (excepté vous, madame, qui lisez ce livre), comme sont toutes les femmes, même les plus sages.
Elle était coquette; elle voulait qu'on la trouvât belle, et elle l'était en effet; elle voulait qu'on fût amoureux d'elle. Elle n'eût trouvé que juste et raisonnable que tous les cœurs de l'univers fussent tournés vers elle, et, si quelqu'un paraissait se diriger d'un autre côté, quelque méprisable qu'il fût ou qu'il lui parût, quelque peu d'attention qu'elle eût donné à sa soumission, s'il se fût soumis, elle ne laissait pas d'en ressentir un peu de mauvaise humeur et de colère.
Il n'est pas de femme, toujours excepté vous, madame, qui ne se croie des droits inattaquables à tout ce qu'il y a d'amour dans tous les cœurs qui sont au monde.
De même qu'un parfum précieux répand les mêmes émanations conservé dans un flacon d'or ciselé, ou dans une cruche de grès, l'amour est toujours l'amour; et il contient tant d'admiration qu'on peut l'inspirer sans honte au plus obscur des hommes: tout ce qu'on se doit est de ne pas l'éprouver soi-même.
Chaque femme se croit volée de tout l'amour qu'on a pour une autre.
C'est ce qui explique le soin que semblent prendre tant de dames de la chasteté de leur femme de chambre, et la brusquerie qu'elles ne peuvent s'empêcher de lui témoigner si elles ont quelques raisons de lui croire un amant: car, si elles ne l'honorent pas du titre de rivale, elles peuvent, sans déroger, l'appeler voleuse, et la traiter, quand elle se permet d'être aimée, comme si en leur absence, elle s'était permis de mettre des fleurs dans ses cheveux ou sur ses épaules un mantelet garni de dentelles, ou tout autre ornement réservé à sa maîtresse.
C'est ce sentiment qui avait attiré l'attention de Mme Lauter sur un jeune homme assez insignifiant qui vint un jour s'établir dans la ville; Mme Lauter, quoique jeune encore, avait cependant deux enfants que l'on élevait à la maison. La médisance l'avait toujours respectée. Sa coquetterie avait trouvé si peu de résistance jusque-là, qu'elle était restée parfaitement innocente; les cœurs s'étaient toujours rendus sans coup férir. Tout combat coûte des pertes, même au vainqueur, mais on n'avait pas combattu; tout le monde s'était rendu de si bonne grâce, que Mme Lauter n'avait pas attaché plus de prix aux gens qu'ils n'en semblaient mettre à eux-mêmes.
M. Stoltz était un jeune homme dont la profession était d'attendre avec quelque fortune que la mort d'un vieux parent lui en apportât une plus considérable. La première fois qu'il se manifesta à Châlons, ce fut à une assemblée où se trouvait également Mme Lauter. M. Stoltz, timide et embarrassé, choisit, pour s'occuper d'elle, la femme autour de laquelle il vit le moins de monde, celle qui, par son peu de beauté, lui parut condamnée à la plus grande indulgence. Cette modestie, que tout le monde prit pour un libre choix, parut au moins une bizarrerie, et il est à gager que Mme Lauter ne fut pas la seule qui dît le soir à son mari en rentrant au domicile conjugal:
«On nous a présenté ce soir un jeune homme bien nul. Il s'est rendu justice en prenant Mme Reiss pour but de ses gauches attentions. N'avez-vous pas remarqué avec quelle maladresse il a salué en entrant?»
A quoi M. Lauter ne répondit rien, parce que M. Stoltz lui était parfaitement indifférent et qu'il ne l'avait peut-être pas vu.
Le lendemain, au déjeuner, Mme Lauter dit à son mari:
«Connaissez-vous rien de plus ridicule que Mme Reiss? Elle était décolletée hier comme s'il se fût agi d'un bal à la préfecture, sans compter une douzaine de gros vilains diamants qu'elle mettrait, je crois, pour aller manger de la crème à la campagne, et avec lesquels elle ne peut manquer de coucher.»
A quoi M. Lauter ne répondit rien.
«C'est chez nous dans trois jours qu'a lieu l'assemblée, ajouta Mme Lauter. Pensez-vous qu'il faille inviter ce Koltz ou Stoltz?
—Vous ferez à ce sujet absolument tout ce que vous voudrez, répondit M. Lauter.
—Je l'engagerai, parce que sa présence m'exemptera de l'obligation de prescrire aux hommes qui viennent chez moi la corvée de faire valser Mme Reiss à tour de rôle.»