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VI

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A C*** S***.

Certes, au bal, et dans ces cohues, où l'on vient pour se coudoyer; où les femmes se mettent nues, sous prétexte de s'habiller; où des maris crétins exhibent les épaules de leurs femmes ainsi que leurs seins et leurs bras (et puis ce que je ne dis pas, car toute la pudeur n'est que dans les paroles); au milieu d'un essaim frisé de jeunes drôles qui n'ont pas même soin de leur dire tout bas qu'ils voudraient bien coucher avec elles, beaux rôles pour messieurs les époux! Ils ne savent donc pas que la femme d'un autre a bien assez d'appas, et que par cela seul elle est assez jolie, sans qu'il leur faille encore aller la couronner de perles et d'immodestie, bouchon de paille, emblème, hélas! d'ignominie! qui dit qu'elle est à vendre ou du moins à donner.

Certes, au théâtre, et sous un soleil d'huile, à l'ombre d'arbres de carton, lorsque les histrions roucoulent à la file une monotone chanson; au théâtre, où la reine des coulisses, et la plus cher payée au milieu des actrices, celle que l'on dit grande, est toujours la catin qui sait un nouvel art, de nouveaux artifices, pour montrer aux quinquets, le soir, de maigres cuisses que personne autre part ne voudrait voir pour rien.

Au théâtre, au salon, il suffit d'être belle, d'avoir sur un front pur d'épais cheveux lissés, sous des sourcils arqués une noire prunelle, et d'humides regards sous des cils abaissés: un pied étroit et des mains blanches, un corsage bien fin avec de larges hanches.

Mais j'étais seul, un de ces derniers soirs, seul sur le gazon vert d'un tranquille rivage; les étoiles du ciel, dans les peupliers noirs, semblaient des fruits de feu semés dans le feuillage. Le soleil au couchant ne laissait qu'un reflet toujours s'assombrissant du pourpre au violet. La lune se levait rouge et grande derrière l'église au toit aigu que couronne un vieux lierre; on n'entendait plus rien que l'onde qui coulait, et, contre ma chaloupe, en grondant, se brisait, l'haleine de mon chien étendu sur la terre, et, sous les jaunes fleurs de larges nénufars, des grenouilles en chœur les longs concerts criards.

Et j'étais tout en proie à ces mornes extases que l'on doit renoncer à peindre par des phrases. Mon âme s'éveillait au milieu des odeurs dont les fleurs, à la nuit, remplacent leurs couleurs. Mes rêves d'autrefois, chers morts! riantes ombres! revenaient voltiger parmi les herbes sombres, comme, pendant le jour, et sous les chauds rayons, mêlant aux fleurs des prés leurs crépitantes ailes, voltigeaient au soleil les vertes demoiselles, insectes nés des eaux, nautiques escadrons, sur les roses sainfoins, sur les jaunâtres gaudes, fleurs sans tige, ou plutôt vivantes émeraudes.

Et je vis, dans ce rêve étrange et sans sommeil, les fantômes de mes journées, les unes de fleurs couronnées, avec un sourire vermeil, les autres traînant en silence, d'un pas morne et majestueux, de longs habits de deuil, avec de grands yeux creux sans regards et sans espérance.

Mais ce qui, ce soir-là, frappa surtout mes yeux, ce fut votre figure, ô C*** S***! non telle que vous fit un parjure odieux, mais telle qu'autrefois je vous vis, jeune fille, avec vos cheveux bruns en bandeau sur le front, ce sourire d'archange et ce regard profond.

Et je pensais: à l'heure où l'on sonne à l'église la dernière prière, au loin silencieux, du sol on voit monter comme une vapeur grise, sortant de l'herbe et s'élevant aux cieux; c'est l'encens qu'exhale la terre, c'est la solennelle prière de la création entière au Créateur: chaque fleur, chaque plante y mêle son odeur, la campanule bleue en fleur dans nos prairies, l'alpen-rose, le pied dans la neige des monts, et le grand cactus rouge, hôte des Arabies, et les algues des mers dans leurs gouffres sans fonds, l'oiseau son dernier chant au bord de sa demeure, et l'homme des pensers qu'il ne sait qu'à cette heure.

Ce nuage divin, formé de tant d'amours, monte au trône de Dieu, dîme reconnaissante de ce que doit la terre à sa bonté puissante, s'étend.... et c'est ainsi que finissent les jours.

Ah! qu'il est beau l'amour, tel qu'on le sent dans l'âme, sous les saules, le soir, l'amour mystérieux qui s'échappe du cœur et s'en retourne aux cieux! Qu'il est beau, noble et pur!... Mais, hélas! quelle femme mérite ce trésor, cette divine flamme?...

Au théâtre, au salon, il suffit d'être belle, d'avoir sur un front pur d'épais cheveux lissés, sous des sourcils arqués une noire prunelle, et d'humides regards sous des cils abaissés; un pied étroit et des mains blanches, une fine ceinture avec de larges hanches.

Mais ce que l'on désire à l'instant solennel dont je parle, et ce dont l'indulgente nature a mis dans notre sein un portrait immortel, c'est une vierge sainte et pure! Cherchez-la dans notre Babel!

Vierge d'âme et de corps, ignorante, ignorée, vierge de ses propres désirs, vierge qu'aucun n'a vue et désirée, vierge qui n'a jamais été même effleurée par de lointains soupirs!

Vierge qui m'attendrait, en elle recueillie, qui garderait pour moi chaque sensation; vierge dont l'âme encore incomplète, engourdie, tranquille, m'attendrait comme un soleil fécond qui doit l'éveiller à la vie!

Car médiocrement, pour moi, je me soucie de ces tristes virginités, invalides soldats dont les corps dévastés, sans jambes et sans bras, n'ont gardé que la vie.

Virginité, grand Dieu! rose dont chaque feuille tombe à son tour sur le gazon, et qui ne laisse, à celui qui la cueille, qu'une fleur de convention! Virginité, collier de perles rares, de belles perles d'Orient, qui s'effile en tombant, et dont des mains avares se partagent les grains sur la terre roulant! Car je n'appelle pas vierge une jeune fille qui donne des cheveux à son petit cousin, ou qui chaque matin se rencontre et babille avec un écolier dans le fond du jardin; je n'appelle pas vierge une fille qui donne un coup d'œil au miroir sitôt que quelqu'un sonne.

Pour celui-ci, d'abord, pour la première fois, elle voulut être belle et parée; par cet autre sa main en dansant fut serrée; celui-là vit sa jambe, un certain jour qu'au bois on montait à cheval: un autre eut un sourire; un autre s'empara, tout en feignant de rire, d'une fleur morte sur son sein; un autre osa baiser sa main. Dans ces jeux innocents, source de tant de fièvres qui troublent les jeunes sens, un monsieur a baisé, devant les grands parents, tout en baisant la joue, un peu le coin des lèvres; on a rougi vingt fois d'un mot ou d'un regard; on a reçu des vers et rendu de la prose; et c[ae]tera.... Mais il est une chose, une seule il est vrai, peut-être par hasard, que l'on a su garder, soit par la maladresse ou l'ignorance du cousin, ou la clairvoyante sagesse d'une mère au coup d'œil certain. C'est encore une chose rare et difficile, et c'est ce qu'on appelle une vierge! On l'habille tout de blanc, et l'époux se rengorge au matin.... Ce n'était pas ainsi que je t'aimais, C***, et que j'aurais voulu te presser sur mon sein.

J'aurais été jaloux, dans mes sombres délires, de la fleur que tu sens; de l'air que tu respires, qui s'embaume dans tes cheveux, du bel azur du ciel que contemplent tes yeux; j'aurais été jaloux de l'aube matinale, de son premier rayon venant teindre d'opale tes rideaux transparents; j'aurais été jaloux de cet oiseau qui chante, que ton œil cherche en vain tout blotti sous sa tente d'épines aux rameaux blancs; j'aurais été jaloux de cette mousse verte, dans un coin reculé de la forêt déserte, gardant sur son velours l'empreinte de tes pieds; j'aurais été jaloux du fruit que mord ta bouche; j'aurais été jaloux du tissu qui te touche, qui te touche et te cache! O trésors enviés! J'aurais été jaloux du baiser que ton père sur ton front eût osé poser, et de l'eau de ton bain t'embrassant tout entière, tout entière d'un seul baiser.

Geneviève

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