Читать книгу L'élite des contes du sieur d'Ouville - Antoine d' Ouville - Страница 18
P. 476. — D’vn bouffon efpaignol qui se mocquoift du pont de Madrid.
ОглавлениеNe vous eftonnez point si vous voyez en ce présent volume plusieurs contes des Efpaignols. L’autheur qui a fait ce recueil, y ayant demeuré sept ans dans la cour, & la langue efpaignole luy estant fort familière, n’a pas voulu oublier ceux qu’il a remarquez dans le pays, & quoy qu’ils ayent beaucoup plus de grâce en leur langue, il n’a pas laissé de les mettre en françois pour obliger ceux qui n’entendent pas la langue castillane & ceux aussi qui l’entendent. Il eft vray que les vns y peuuent prendre plus de diuertiffement que les autres, i’entends ceux qui ont cognoiffance de la langue, puisque l’autheur les met en l’vne & en l’autre, afin que la subtilité de l’esprit particulier en chaque nation puisse eftre entendue de ceux qui la fçauent, cecy ne foit pas dit feulement pour cette prefente rencontre, mais pour toutes les précédentes & pour celles qui fuiuront où il eft plus de besoin de faire cette différence qu’en celle-cy, qui a quasi aussi bonne grace en une langue eftrangère qu’en la sienne propre. Il faut remarquer feulement que la ville de Madrid, qui eft quasi fcituée au cœur de toutes les Efpaignes & où eft la cour du Roy, n’a pas seulement de riuière nauigable, mais vn méchant petit ruisseau qui n’eft pas la moitié si considérable en esté que la riuière des Gobelins de Paris. Elle se defcharge dans la riuière de Hénarès, & celle de Hénarès dans le Charame, & le Charame dans le Tage, à cette belle maison royalle d’Aranjuets, lequel Tage se defcharge dans la mer à Cafcais, sept lieues par delà Lisbonne en Portugal. Cecy, quoy que hors de noftre projet, foit dit pour les curieux. Ce petit ruisseau de Mançanarès, qui passe à Madrid, eft si sec en esté qu’il faut longtemps fouiller fous le fable pour trouuer l’eau, & néantmoins en hyuer eft extrefmement grand à cause des neiges fondues qui le grossissent, qui viennent des montagnes de Guadarrame, qui séparent la vieille Castille d’auec la nouuelle, au pied desquelles eft ce superbe monaftere de Sainct-Laurens de l’Escurial, dont il eft fait tant de mention. Ouurage commencé & acheué par Philippe II, roy des Efpaignes, ce qui eft cause qu’on luy a fait vn pont fort beau & fort magnifique, fous lequel le plus beau & le plus large fleuue de France pourrait passer, ce que considérant, un iour d’esté, un bouffon du roy d’Efpaigne, il luy dit en passant ce pont: «Senor, vueftra Mayeftad hade vender la puente, ò̀ comprar aqua!» qui veut dire: «Sire, il faut que Voftre Maiefté vende le pont ou qu’elle achète de l’eau.» Si i’ay esté si long à defduire ce discours pour un si petit fuiet, i’ay voulu imiter la cause qui estant si peu de chose a vn si grand pont. Ce qui a donné fuiet à vn des meilleurs esprits d’Efpaigne de dire que la riuiere de Mançanarès, qui passe à Madrid, ressemble aux faux amis qui n’ont que le lustre & la splendeur, comme les faux efcus, ce les perdent à l’efpreuue & au besoin. C’eft-à-dire que cette riuiere ou ruisseau a beaucoup d’eau en hyuer, quand tout en regorge d’ailleurs & qu’on n’en a aucun besoin, & qu’elle manque en esté où l’on en a affaire; mais il luy donne une plaisante excuse, disant qu’il eft courtisan, c’eft-a-dire qu’il passe au pied de la cour du roy, & que cela estant il ne doit point eftre blafmé s’il manque quand on a affaire de luy, comme la plufpart des courtisans font.»
D’Ouville n’a pas imité uniquement Quevedo, mais nous laissons à de plus compétents, M. de Puymaigre ou M. Morel-Fatio, le foin de découvrir des sources cachées; nous constatons feulement que d’Ouville a vécu sept ans à la cour d’Espagne, sans pouvoir dire à quel titre. Les renfeignemens que Boisrobert nous fournit sur son frère se réduifent à deux passages de ses Épîtres, 1654, 2 vol. in-8° ; il dit de lui, épître cinquième du troisième livre:
Le pauvre Douville eft mon frère...
Il porte le titre d’Hydrographe,
D’Ingénieur, de Géographe,
Mais avec ces trois qualités,
Il eft gueux de tous les côtés.
Bref il n’a plus d’autre ressource
Que celle qu’il trouve en ma bourse.
Il avait dit ailleurs, en parlant du même frère:
Melchifedech étoit un heureux homme
Et son bonheur eft l’objet de mes vœux,
Car il n’avoit ni frères ni neveux.
D’Ouville traduisit encore de l’espagnol de Caftillo Sovorzano la Fouine de Séville, ou l’Hameçon des bourses; cette traduction ne fut publiée qu’en 1661, Paris, Courbé, in-8°. On la réimprima fous le titre d’Histoire & Aventures de Dona Rufine, fameuse courtisane de Séville, enrichie de figures. Amsterdam, 1723, 1733, 2 v. in-12; Paris, 1724, 1731, et La Haye (Paris) 1734 L’avis au lecteur confirme le jugement que nous avons exprimé sur les connaissances de d’Ouville:
«Voicy l’Efcolle des ruses & des fubtilitez dont l’esprit d’vne femme coquette & fripponne peut eftre capable. D. Alonso de Caftillo Souorçano, célebre Autheur efpaignol, a composé cet agréable ouurage en sa Langue, & il a este traduit en françois par feu Monsieur d’Ouville, qui certainement eftoit l’homme de toute la France qui parloit le mieux efpaignol & qui cognoiffoit le plus parfaitement toutes les grâces de cette Langue. Mais comme il n’efcrivoit peut-eftre pas assez purement en la noftre, un des plus délicats esprits du fiecle, qui a trouué après sa mort cette traduction parmy ses papiers, en a corrigé le ftile, & n’en voulant pas priuer le public, il a tafché de luy rendre toutes les graces qu’il auroit pu dérober à son Autheur. Il luy donne pour titre: la Fouyne de Seuille, ou l’Hameçon des bourses, parce que, comme cet animal a vne inclination à dérober, il a voulu, fous le nom supposé de Rufine, faire icy le portrait & eftaler tous les artifices & toutes les fubtilitez d’vne iolie femme de cette fameuse ville, qui se trouua assez adroitte pour voler les voleurs même les plus subtils, qui fit autant de duppes qu’elle fit d’Amants, & qui visa toûjours plus aux bourses qu’aux cœurs de ceux qui furent assez malheureux pour la trouuer belle. Si ie découure la feconde partie de ce diuertiffant ouurage, ie te promets, Lecteur, de te la donner si i’apprens que celle-cy ne t’ait pas esté defagréable.»
Cette feconde partie n’a point paru; d’autre part, nous ignorons quel eft le «délicat esprit» qui a publié d’Ou-ville en le corrigeant.
Il y a dans la Bibliothèque des Romans, décembre 1782, une analyse de la Fouine qui commence d’une manière piquante: «La fouine eft un animal joli, souple, léger, rufé & fripon, qui craint, se cache & se glisse partout, qui s’apprivoise & ne s’attache jamais, dont la physionomie eft tout à fait aimable, fine & qui ne fait que mordre, sucer & faire du dégât. On voit que ce petit caractère pourrait bien convenir à certaines femmes, & c’eft ce qui a déterminé l’auteur de cet ouvrage à donner le nom de fouine à son héroïne févillane. Son ouvrage n’eft ni commencé ni fini: il servait de fuite à d’autres romans du même genre satyrique & populaire, & il attendait lui-même une fuite. Il fut autrefois estimé en Espagne; il n’a jamais pu l’être en France, apparemment parce qu’on s’y soucie moins d’être éclairé sur les artifices des jolies filles, ou parce qu’accoutumés à ne rire que des choses ferieufes, nous entendons moins la plaisanterie sur les objets qui fervent au plaisir.
«L’art que profefoit Rufine eft aujourd’hui très-détaillé, perfectionné, encouragé, répandu & honoré chez toutes les nations. Il eft presque vrai que nous l’avons rangé dans la classe des arts neceffaires. C’eft dommage qu’il faille descendre dans la boue du vice pour traiter de cet art charmant...»
La Bibliothèque ajoute qu’on a traduit la Fouine deux ou trois fois fous différens titres, mais ne donne pas les noms des traducteurs.
Mentionnons encore que d’Artigny (Nouv. Mém., VI, 192) dit avoir vu de d’Ouville la Vengeance d’Aminte affrontée, qui eft probablement une édition séparée d’une des nouvelles de Maria de Zayas, & ne quittons pas les Contes aux heures perdues sans leur emprunter sur Desportes une anecdote que nous ne trouvons pas dans la Notice de M. Michiels sur ce poète: