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SCIENTIFIQUES PROPOS

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Il paraît que je m’étais contenté jusqu’ici d’un tas de faux raisonnements, en admettant, comme nombre de mes concitoyens, que la lune n’était pas habitée. Cette assurance me rendait doucement irrespectueux envers le satellite de notre planète et j’osais l’employer dans mille comparaisons n’ayant rien de flatteur pour sa figure. Je me réservais, de plus, quand je serai pur esprit, d’aller rôder autour de ses volcans éteints et y goûter le lumineux repos des solitudes éternelles, tandis que les autres âmes, moins avisées que moi, continueraient à fréquenter les imbéciles déliés de leurs terrestres chaînes. Car il n’est pas probable que la mort donne de l’esprit à ceux qui n’en avaient pas de leur vivant. Je me rêvais ainsi l’hôte recueilli d’un silence sans fin dans la profondeur des espaces, oubliant à jamais l’odieuse faconde des politiciens, les propos évaporés des cabotines, les plaintes ridicules de Géronte, tous les bruits de la sottise humaine, et je contemplais avec une vague tendresse cet astre hospitalier à mes farouches espoirs de désert et de méditation. Onéant du néant lui-même! Je viens de lire quelques pages d’un homme compétent, lesquelles ruinent, à la fois, une des gaietés de ma vie et tous mes projets d’outre-tombe. Je ne plaisanterai plus la lune, parce qu’une affaire posthume avec un spadassin sélénite ne me tente pas. Qui sait de quelles armes se servent ces gens-là? Ce sont peut-être tous d’anciens pharmaciens. Je n’élèverai plus vers elle le vol découragé de mes songes puisqu’elle est vraisemblablement pareille à notre immense taupinière sans cesse remuée par la pétulance des appétits, des ambitions et des désirs. Homme compétent, je te maudis pour les illusions dont tu me découronnes!

C’est qu’il n’y a pas à dire. Le raisonnement de ce misérable savant est le plus juste du monde. Il affirme que les meilleurs télescopes ne rapprochent pas la lune à moins de quarante lieues. Or, à cette distance, on ne reconnaîtrait pas son meilleur ami. Allez donc regarder de Paris s’il y a encore des pucelles à Orléans! Alors de quel droit affirmerions-nous que des quidams que nous ne saurions voir n’existent pas? L’observateur Klein a, paraît-il, décidé qu’il y avait de l’herbe dans la lune. Il faut bien, dès lors, quelqu’un pour la manger; sans quoi cet astre, plus chevelu qu’Absalon, traînerait depuis des siècles, dans l’espace, une perruque de verdure qui retarderait sa course et désolerait nos almanachs. De quoi, sinon de foin, pourraient se nourrir, en effet, des êtres nécessairement dénués de toute poésie? Car apprenez encore cet affreux secret: il n’y a ni printemps ni automne sur cet astre déshérité. Pas de printemps! aucun parfum de renouveau, aucune musique d’espérance: ni caresse dans la tiédeur de l’air, ni jeunes amours renaissantes dans l’âme! Pas d’automne1aucun adieu des fleurs, aucune chanson du souvenir: ni mélancolie dans le déclin des feuillages, ni tendresses suprêmes au seuil des mauvais jours! Ces deux saisons où la Nature nous parle de si près sont les plus belles de l’année. Mais là-bas,–mon savant l’affirme–rien que l’hiver succédant brusquement à l’été, comme une lampe qu’on emporte. Hier le soleil rouge dans les chaudes splendeurs du couchant; le matin l’ombre affilant les couteaux aigus de la gelée. Et cela tous les quinze jours, sans une seule trêve pendant le long combat de l’éternité! Comment trouvez-vous le séjour que mon ignorance m’avait fait choisir?

Et encore nous ne jugeons la lune que sur un de ses côtés, puisque les astronomes ont établi qu’elle nous montrait toujours le même. A moins de lui supposer des sentiments désobligeants à notre endroit, il faut supposer que c’est celui qui est le mieux, et que l’autre doit être particulièrement malpropre puisqu’elle le cache avec tant d’obstination. Fi! mademoiselle! Je me plais à croire qu’il n’en était pas ainsi au temps où vous vous appeliez Phébé et que votre amoureux Endymion vous pouvait contempler sous toutes les faces, quand, traversant pour lui les bleus chemins de l’espace, sous l’œil indiscret des petites étoiles, vous veniez vous abattre à son flanc, dans les gazons scintillants aux lumières argentées de votre corps de déesse. Savez-vous que c’était le bon temps, ma mie, pour vous que suivaient, autour de votre char de nuées, les encens d’un culte immortel, et pour les hommes épris d’une fable plus charmante que la réalité, vivant dans le beau rêve païen, les regards droit vers le ciel peuplé de visions sacrées, non pas penchés, comme aujourd’hui, vers la pointe insensible des compas ou la clarté desséchante des creusets. Je veux bien que cet état manquât de compétence, mais il était assurément plus près du bonheur que le nôtre, et c’est un héroïsme bête que celui qui préfère aux innocentes douceurs du mensonge les farouches désenchantements de la vérité.

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