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NOX


NOX

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A Théodore de Banville.

Une clarté d’argent si blanche, si nette, traçait, entre mes rideaux, une raie estompée de lumière, que je ne doutai pas, un seul instant, que ce fût le petit jour qui me venait souhaiter, à la fenêtre, une ironique bienvenue. Honteux d’avoir été surpris par lui, je me jetai à bas de mon lit et, ouvrant largement ma croisée, je me trouvai en face d’un ciel d’azur sombre tout illuminé d’étoiles et que trouait une lune éblouissante. Alors seulement je regardai ma montre et vis qu’il n’était pas encore deux heures. N’étais-je pas bien excusable de m’être ainsi trompé après six mois de nuits sans flambeaux et d’ombre absolue sous la grande aile noire des nuages? Aussi mon impression fut-elle toute de surprise et de ravissement, comme celle des premiers pâtres de Chaldée cherchant des chemins inconnus dans le champ des astres et j’aurais cru volontiers que chacun de ces feux m’annonçait, comme aux mages, le glorieux berceau de quelque Messie. Je demeurai donc en contemplation devant cette féerie, d’autant qu’il me sembla bientôt qu’une chose extraordinaire se passait autour de moi. A bien regarder les étoiles, je me convainquis rapidement qu’elles n’étaient pas moins étonnées que moi, en revoyant la terre qu’elles avaient vraisemblablement oubliée. Leurs beaux yeux d’or échangeaient des clignements qui ne laissaient aucun doute à ce sujet et leurs rayons se croisaient en signe d’intelligence, comme les regards des personnes qui se communiquent de loin un sentiment commun. Que pouvait être ce sentiment? Je le compris bientôt en m’assurant que la mâchoire de la grande ourse était tordue par un formidable rictus, et, un souffle de brise ayant traversé l’air en ce moment, j’entendis distinctement de petits éclats de rire qui venaient d’en haut. On se moquait de nous au firmament, c’était clair. Je pensai tout d’abord modestement que c’était moi qui soulevais cette tempête de gaieté, et je passai une culotte pour ne plus prêter aux inconvenantes plaisanteries des. planètes et aux indécentes remarques des constellations. Mais ce bout de toilette ne me parut pas désarmer leur belle humeur. Je ne le regrettai pas néanmoins, puisqu’il m’empêchait de m’enrhumer.

Ainsi nous en sommes venus à ce point de ridicule que les sphères éternelles, elles-mêmes, ne peuvent plus nous contempler en gardant leur sérieux! Tout le secret des saisons bouleversées m’était révélé en un instant. Le grand magicien des théâtres célestes avait fait afficher la première d’un vaudeville. Les répétitions avaient duré longtemps, mais l’ouvrage paraissait réussi, puisque, à peine le rideau levé, tout le monde s’était esclaffé. Le vaudeville, c’est nous qui le jouions pour la plus grande distraction des spectateurs juchés aux voûtes sidérales. Je me réjouis intérieurement de n’avoir eu qu’une panne dans la distribution des rôles; car je dus reconnaître que les hommes de politique et de finance avaient eu beaucoup plus à faire que les poètes lyriques dans la comédie qui se représente actuellement. Ils en sont les pères nobles et les jeunes premiers, les grandes utilités et même les jocrisses. Ils y décrochent des timbales et y reçoivent des coups de pied au derrière. Ils sont les mouches du coche dont les chevaux sont dételés depuis longtemps. Ils ne font aucun chemin, mais ils créent beaucoup de poussière. Ils n’ont pas produit une once de farine, mais ils soufflent comme des diables sur les ailes des moulins à vent. Ils n’ont pas une idée, mais ils fouettent les mots sonores comme des toupies et excellent à les faire bourdonner dans le vide. Ils s’agitent et rien ne les mène; ils bâtissent en l’air; ils ont acheté à Pénélope son canevas et aux Danaïdes leur tonneau. Ils ont loué au mois le rocher de Sisyphe pour faire croire qu’ils travaillent et ont mis le déjeuner de Tantale en actions. Certes, ces fantoches du Parlement et ces marionnettes de la Bourse sont de risibles personnages, et vous avez raison, étoiles mes mies, de vous divertir à leurs sauts de carpe dans le néant. Cela ne vous coûte rien à vous qui, plus glorieuses encore que les lys, êtes vêtues d’or fin et buvez l’ambroisie dans la coupe de diamant des matinales rosées. Nous ne serions pas moins que vous, amusés de ce spectacle, si les complets en cheviotte se distribuaient gratuitement sur les ponts et si les garçons de café épiaient notre réveil pour nous verser un apéritif exempt de tous droits. Mais voilà! c’est vous qui rigolez dans vos loges tendues d’azur, et c’est nous qui payons vos places au bureau de location, après avoir fait les frais de costumes et de décors!

De petits nuages blancs traversent le firmament, se frangeant d’orange aux approches de la Lune. Mais c’est simplement le rideau de scène qui s’est abaissé un instant. A mon tour de regarder la comédie qui se joue là-haut. Comédie? non! Les saintes mélancolies que l’homme moderne a voulu chasser de sa vie revivent dans tout ce qui lui vient du monde extérieur. Quoi qu’il fasse, il n’empêchera jamais la mer de gémir aux confins du monde qu’il habite, ni le ciel de rouler sur sa tête, avec le char des astres et l’avalanche des nuées, les préoccupations de l’Infini et les tristesses du Souvenir. C’est ainsi que, dans votre vol pâlissant, étoiles sous qui s’allumera bientôt le formidable bûcher de l’Aurore, je cherche les images ailées des bien-aimées d’autrefois, de celles qui ont pris un peu de ma vie et l’ont emporté sur d’autres routes que la mienne. Vos yeux de lumière, railleurs tout à l’heure, s’attendrissent pour moi, et des regards s’y rallument qui descendent jusqu’à mon cœur; bientôt votre rayonnement n’est plus qu’un scintillement de larmes et c’est un baiser que le premier souffle de l’Aube m’apporte, après avoir effleuré vos lèvres de feu. Dans le lent tourbillon qui vous entraîne, je vois passer mes ivresses et mes fureurs, les flèches brisées de mes désirs et les fleurs souillées de vos trahisons, tout ce qui fut mon âme et votre jouet éparpillé en fugitives étincelles, balayé par l’inexorable vent des destinées. 0joies amères et profondes que la beauté donne et reprend, mortelles extases de l’amour que le Temps mesure à notre faiblesse, frisson divin que la chair de la femme met à notre chair, infini menteur dont elle fait éclater notre âme, aiguillons de feu que son regard plante dans nos reins, tortures indicibles de la passion immortelle, je vous sens renaître aux silences de cette nuit étoilée, aux splendeurs mystérieuses de ce ciel où brûlent les flammes longtemps éteintes!

Cependant une buée de vapeurs blanches monte de l’horizon. Cette fois-ci, c’est bien le jour qui gravit les premières marches encore obscures de son escalier de feu. Un à un les astres vont s’envoler devant le rayonnement d’argent de son armure. Je salue la dernière étoile obstinée au manteau flottant du ciel. C’est Vénus, comme si tout devait proclamer, dans ma pensée, qu’alors que tout s’évanouit comme un rêve, le culte de la Beauté et les chers supplices de l’Amour assurent au souvenir une immortalité.

En pleine fantaisie

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