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I
LETTRES DE MON JARDIN

Table des matières


VERE NOVO

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A Léon Fauré.

Je veux bien que nous ne soyions pas des bêtes comme les autres, et la preuve, c’est que nous faisons plus de bêtises que la majorité des animaux. Je veux bien que nous ayons des destinées particulières dans les planètes à venir, où j’espère bien cependant qu’il y aura des chiens aussi, car je m’ennuierais beaucoup sans leur société. Je consens encore à ne pas descendre des singes, mais, sapristi, vous m’accorderez bien que nous subissons quelques-unes des influences auxquelles sont périodiquement soumis nos confrères à poils et à plumes de la création: celle du printemps, par exemple. Mon Dieu, je ne vous demande pas d’aller chanter sur les arbres comme les pinsons, ni d’éventrer vos rivaux dans les forêts comme les cerfs en rut, bien que beaucoup d’entre vous aient tout ce qu’il faut pour cela. Mais vrai, ce renouveau des choses, cette attraction universelle des êtres, ce souffle de rajeunissement qui monte des fleurs en boutons ne vous dit rien? Tant pis! Je suis moins corrompu que vous par le raffinement des civilisations, et je me sens malgré moi mêlé à ce grand mouvement de la nature vers les reproductions infinies. Je parle au moral, bien entendu, et je ne voudrais pas que vous l’entendissiez autrement. Tenez, vous êtes un tas d’hypocrites! Et il n’y en a peut-être pas un d’entre vous, –je dis pas un,-qui n’ait éprouvé, sous les premiers soleils, le vague désir d’une amoureuse inconnue, une étrange envie de soupirer aux pieds d’une beauté nouvelle, le besoin de faire, comme les oiseaux, des madrigaux à une conquête mal assurée. Voyons, ne vous en cachez pas; c’est la saison qui veut ça.

–Mais la fidélité, me direz-vous?

–Oui, la fidélité. Mon Dieu, personne ne professe pour elle une plus sympathique adoration. Elle m’inspire le genre de respect qu’on a pour les choses dont on a été longtemps à comprendre la beauté. La fidélité est la base du lien social. Je le proclame. Vous voyez que lorsque j’en veux discourir, je parle aussi mal que les moralistes les plus autorisés, puisque j’attribue une base à un lien, ce qui est digne d’un orateur politique. Mais elle a encore d’autres vertus. Ainsi, c’est une attitude excellente pour les hommes qui commencent à mûrir. Il est, en effet, beaucoup plus noble et poétique de répondre à une dame qui voudrait franchir le Pruth de la flirtation: «Madame, mille regrets, mais je ne voudrais pas tromper ma bonne amie pour un fauteuil à l’Institut.» que de lui dire: «Pardon, ma petite chatte, mais j’ai des lombagos dès que je fais un peu la fête.» Donc mon estime pour la fidélité est hors de cause. Je la tiens pour une invention contraire à toutes les aspirations de l’humanité, mais qui n’en fait que plus d’honneur, pour cela, au législateur qui l’a fourrée dans la boîte de Pandore de nos institutions. Animal, va! Eh bien, oui, j’en conviens, cette humeur printanière que je signale chez tous les gens qui ne sont pas absolument cacochymes est un danger pour la fidélité. Mais, franchement, qu’est-ce que vous voulez qu’un pauvre écrivain comme moi y fasse?

Je ne peux pourtant pas vous conseiller de vous enfermer dans vos caves pour ne pas respirer l’odeur des premières roses et le parfum vivant qu’exhalent les toilettes fémi nines plus légères. Vous y prendriez l’habitude de l’ivrognerie. Ça serait du propre M. Thiers a fait afficher dans tous les cabarets une loi pour réprimer l’ivresse publique. Hein! hein! l’ivresse publique, pour: les habitudes d’intempérance du peuple. C’est assez osé comme français. A bien parler, le gouvernement qui réprouverait l’ivresse publique serait tout simplement un gouvernement embêtant. Mais allez relire cette loi tout de même, bien qu’elle soit mal écrite, et vous vous convaincrez que la ressource de la claustration dans vos celliers serait pire que le mal. Vous aurez beau regimber en dedans, il faut faire la part de ce feu-là et vous laisser flamber un peu le cœur sous le ciel bleu. Si vous craignez de vous jeter dans l’inconnu, faites revivre un souvenir. Toutes les violettes en fleur ne fleurissent pas pour la première fois, et leur odeur n’en est pas moins douce. Parmi les maîtresses d’antan, il en est bien une qui se dira comme vous: Si nous nous aimions encore un peu?

Et vous vous aimerez beaucoup peut-être, ce qui sera autant de pris sur la monotonie hébétante des habitudes.

Mais c’est surtout si vous caressez depuis longtemps quelque chimère qu’il faut mettre ce temps à profit pour la réaliser. Avez-vous entrevu, il y a des mois peut-être, quelque front de femme qui vous ait laissé un rayonnement dans les yeux, quelque doux visaga dont le premier sourire vous ait mordu le cœur. C’est celle-là qu’il faut chercher dans la foule indifférente. Vous vous jetterez à ses pieds, vous baiserez le bas de sa robe, vous vous fondrez devant elle en extase, et, peut-être, l’indulgence lui venant de la tiédeur de l’air autant que la bonté de son âme, elle abandonnera sa main dans la vôtre–et laissera votre bouche tremblante monter jusqu’à son baiser. Cet instant sera, je vous l’avoue, un des plus délicieux de votre existence. Cueillez-le comme une de ces fleurs rares qu’on trouve de loin en loin au revers du chemin poudreux, et respirez-le jusqu’à en mourir. Oubliez tout un instant, et l’hiver, et le remords et l’oubli lui-même. Assez tôt, trop tôt vous retomberez dans la vie. Plus cette heure aura été enivrante, moins vous y retomberez meurtris, car la douceur du souvenir est comme une cuirasse contre les cruautés du sort. Et cela surtout si, dans votre souvenir, vous avez su mettre une espérance, un mot de retour dans l’inévitable adieu. Toutes les amours, Dieu merci, ne meurent pas avec le printemps!

Et maintenant, mes enfants, allez par les bois recevoir, sur vos cheveux au vent, la neige odorante des acacias qui seront bientôt défleuris. Allez-y deux par deux, si vous le pouvez. C’est la fête de la Nature. Allez, comme le pauvre au festin du riche, recueillir les miettes du grand repas.

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