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ÉLOGE DES MOUCHES

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Que le Dieu de mes pères–nous autres, gens de ce siècle, n’en avons plus guère– soit à jamais loué! Nous ne savons encore rien des événements et des récoltes que nous garde cette année, si elle nous donnera de bons députés et du pain. Nous ignorons absolument si elle nous offrira des lois équitables et du vin généreux. Mais un fait est acquis: nous aurons certainement des mouches.

J’en ai compté jusqu’à quatre hier, qui prenaient en commun, une leçon de gymnastique, le long d’un morceau de sucre que j’avais soigneusement omis de mettre dans mon café. Car il faut être le plus superficiel des hommes pour ne pas avoir encore remarqué que, dans le café, c’est le sucre qui empêche de dormir. Les propriétés antisomnifères du sucre ne sont un mystère que pour les gens absolument dénués d’esprit d’observation. Voyez plutôt les conférenciers. Ils sont obligés de s’en bourrer dans le verre traditionnel pour résister eux-mêmes à l’effet immédiat de leur coupable industrie. Avez-vous fait seulement attention au nombre de bonbons que croquent les dames, dans leurs loges, pendant les pièces ennuyeuses? Gourmandise ou genre! dites-vous. Erreur! Précaution polie pour pouvoir écouter, jusqu’au bout, de la prose sans raison ou des vers sans rimes. On ne’ saura jamais ce que le seul M. Doucet a rapporté aux confiseurs. Ah! les réputations usurpées! (je ne parle pas de celles des académiciens, mais des renommées menteuses de certains comestibles). Soyez convaincu que, dans le gingembre, c’est la voisine qu’on regarde qui fait tout. Et l’absinthe donc! Les dernières analyses effectuées .sur le vert breuvage que de prétentieux cafetiers vendent sous ce nom ont démontré qu’il devait ses émeraudes à l’épinard seul. Voilà donc l’épinard passé à l’état d’herbe vénéneuse! l’innocent épinard qui imitait si bien les arbres taillés du parc de Versailles! A qui donc se fier, Seigneur? C’est moi qui suis bien aise de ne pas l’aimer!

Mais je reviens à mes moutons–non, à mes mouches.

Donc, nous en aurons cet été. Cela n’a l’air de rien; eh bien, cela est beaucoup. Il y a trois ou quatre ans, nous avons eu un été sans mouches et je n’oublirai jamais ce que j’ai souffert. Je ne me rappelle plus, par exemple, le nom de l’animal qui m’en fit faire l’observation, et c’est tant mieux pour lui; car je me laisserais encore aller à maudire sa mémoire. Le monde est, ma parole, peuplé de drôles qui vous empoisonnent la vie avec leurs inutiles propos. J’en sais dont la profession est de vous guérir de vos maîtresses en en faisant l’objet de comparaisons déplaisantes.. Enfin, ceux-là sont encore les plus inoffensifs.

Je précise mon dire: l’animal en question ne m’eut pas plutôt fait remarquer que nous manquions de mouches que je me fis une foule d’idées désagréables sur ce thème, en apparence insignifiant. La plus horrible fut certainement celle-ci:

–Est-ce que, par hasard, pensai-je, les mouches se dégoûteraient de la société des hommes et trouveraient que nous nemangeons plus assez proprement!

Et, dans mon rêve, je voyais ces petites bêtes se faire soigneusement brosser par leurs domestiques, et je les entendais se dire entre elles, d’un air pincé: «Décidément, la compagnie de ces goujats devient intolérable. Depuis qu’ils font tant de politique, il faut se laver les pattes à tout moment, dès qu’on les a touchés.»

Eh! mon Dieu! ce genre de billevesées-là est fort naturel au cerveau humain. Nous avons tous été plus ou moins opprimés,– plutôt plus que moins,–par des compagnons ennuyeux, et, quand ils cessaient de nous martyriser, au lieu de nous livrer, in petto, aux transports d’une joie profonde, mais décente, ou d’essayer, en plein boulevard, les pas congrus d’un menuet de délivrance, nous nous demandions avec une anxiété douloureuse:–Ah ça, est-ce que nous sommes devenus plus ennuyeux qu’eux-mêmes, puisqu’ils nous fuient?

Imaginez un peu qu’on eût délivré. (quelque maladroit comme mon animal de tout à l’heure) Socrate de Xantippe. Immédiatement la vie du sage, qui dut principalement sa renommée à sa patience conjugale, devenait un enfer. Sa renommée était immédiatement compromise. Tout en étant l’homme le plus honorable du monde, en même temps que sa femme il perdait son gagne-pain. Il n’y a pas à nier.–Socrate! eût-on commencé à dire dans les clubs d’Athènes, Socrate? eh bien! qu’est-ce qu’il fait donc de si malin? Il enseigne la résignation, mais il n’a pas les moyens d’en donner l’exemple. C’est un simple farceur comme ce Sénèque, qui, plus tard, écrira sur un pupitre d’or massif l’éloge de la pauvreté! Et voilà mon Socrate ruiné, sans leçons, courant inutilement après de problématiques cachets. Et sa tendresse pour Alcibiade donc! que de cancans! L’insupportable présence de Xantippe était tout simplement l’honneur et la raison d’être de ce philosophe. Une seule hypothèse eût été plus terrible que celle de sa disparition.

Imaginez, un instant, qu’elle fût devenue aimable. Voilà Socrate en méfiance contre les bons procédés de son épouse transformée, redoutant le poignard sous les fleurs et le poison dans cette ambroisie. Non! c’eût été à se casser la tête contre les murs. La vérité, c’est que nous aimons nos bourreaux.

Tiens! j’allais oublier les mouches.

Vous ne saurez jamais toutes les imaginations qui m’étaient venues à propos de leur absence dans cet été maudit.

J’avais cru, un moment, que le sérieux de notre jeunesse en était peut-être le motif. Car les collégiens d’aujourd’hui sont un peu plus graves que les professeurs d’autrefois. Ces futurs tripoteurs du cinq pour cent sont d’un ennuyeux prématuré. Ah! ceux de mon temps sacrifiaient mieux à tous les jeux de leur âge et réservaient, en particulier, aux mouches, une partie des prévenances qui comblaient les longueurs des études. Ils n’avaient pas leurs pareils pour les débarasser de leurs ailes quand elles avaient trop chaud, pour les faire courir sans tête, sur les tables, afin qu’elles fussent plus légères, pour leurs entrer délicatement dans le corselet le timon de victorias en papier, pour les piquer, dans une héroïque attitude, sur des bouchons moelleux, pour les enfermer dans des cages de liège et d’épingles, enfin pour leur prodiguer les supplices ingénieux qui attachent. Au dire des moralistes de brasseries, tout cela était cruel. Et cependant, en vertu de l’axiome que je viens d’émettre tout à l’heure, les mouches prenaient une joie amère à toutes ces distractions. La preuve, c’est que, nulle part, elles n’étaient plus abondantes que dans les salles d’études.

–Aujourd’hui, me disais-je, elles n’ont plus de partenaires pour s’amuser à tout cela dans nos lycées, elles s’embêtent.

Il n’était rien qui ne me fît sentir le vide qu’elles laissaient dans la création tout entière. D’abord les coches marchaient infiniment moins vites, cochers et chevaux s’endormant faute de mouches. Les oisifs, n’ayant plus rien à gober, devenaient affreusement méchants et faisaient des vers sans rimes. Les sauces de cuisines de banlieue étaient tellement maigres que les clients étaient obligés d’y tremper leurs doigts pour leur donner un peu de corps. Les vitres avaient perdu leur sonorité charmante et, ne servant plus de water-closet à ces facétieux coléoptères, étaient d’une transparence uniforme qui donnait beaucoup de dureté aux objets vus au travers. Enfin les gens rageurs, n’ayant plus rien à prendre, étaient bien plus insupportables encore. Et les pêcheurs à la ligne, donc! Plus désespérés que celui de Puvis de Chavannes lui-même, on les voyait, le long des rives, cherchant en vain l’amorce chère, entre toutes, à la naïve ablette. Je ne parle pas de la souffrance des araignées qui, perdirent tout embonpoint cet été-là et furent obligées d’aller se faire nourrir, dans les prisons, par un tas de Pélissons à qui le gouvernement servait, dans ses propres édifices, une pension alimentaire. Quel cataclysme! mes enfants! et comme tout se tient dans la nature!

Mais enfin les mouches sont revenues cette année. Elles paraissent même plus insupportables que jamais. Bonnes petites bêtes! Comme vous allez nous ennuyer! Mais si vous nous manquiez, comme nous nous ennuierions!

En pleine fantaisie

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