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PRO DOMO MEA


PRO DOMO MEA

Table des matières

A Paul Ginisty.

Je ne suis pas d’un tempérament querelleur, mais je hais les injustices. Je venais de prendre un plaisir extrême, et que je vous recommande, à lire le joyeux volume de mon confrère Paul Ginisty: Paris à la loupe quand, à la dernière page, mon front s’est rembruni, pour parler suivant l’usage.–Car jamais, je l’avoue, je n’ai observé sur nature cet effet du mécontentement. Je me refuse même à croire que les nègres soient simplement des blancs qu’on ait horriblement contrariés. Mais vous m’entendez, de reste, monsieur Ginisty, et vous avez deviné, j’en suis convaincu. C’est fort bien de raconter Clamart à vos lecteurs, de leur exalter le Vésinet, de leur parler de Meudon avec l’onction d’un curé et de Longjumeau avec l’enthousiasme d’un postillon. Et Asnières? monsieur. Asnières, ma patrie d’adoption? Asnières (ô juvénile erreur!) n’est donc pas digne d’un coup de plume? Vous vous trompez, jeune homme, et je vous condamne, de par le respect dû à un littérateur de mon antiquité, à ajouter ce chapitre de mon cru à votre volume dans la nouvelle édition que votre éditeur en prépare certainement. Je sais que ceux qui s’intitulent, comme Ernest d’Hervilly, élèves de l’École des Beaux-Arbres et vont rechercher, petits-fils des antiques faunes, l’umbram hospitalem de Virgile sous les hautes futaies de Fontainebleau, affectent de mépriser notre petit paysage Asinarien. Mais je le veux précisément venger, lui et son beau ruban de Seine déchiré par des îlots boisés, et son horizon, où le Mont-Valérien dessine sa ma jestueuse dentelure. Calchas lui-même ne se plaindrait pas d’y trouver trop de fleurs, mais le solitaire Narcisse n’y eût pas été réduit à mourir d’amour pour sa propre image. Quant à Sapho, tout porte à croire qu’elle s’y fût plu énormément. Vous voyez que, depuis l’origine du monde, beaucoup de gens eussent été de mon avis.

Paysage animé, que diable! Paysage avec figures, comme on dit dans un concours de peinture. Les amateurs sérieux pour qui les trains de banlieue sont un enseignement, ont pu remarquer que sur cent jolies femmes qui montent en wagon à la gare Saint-Lazare, soixante, pour le moins, descendent à Asnières, ce qui est une glorieuse proportion. Les observateurs plus subtils encore ont noté que ce sont toutes les mieux en chair et les plus largement dotées postérieurement. Aussi leur descente est-elle signalée par un soulagement malhonnête dans les voitures qu’elles quittent, où tout le monde se trémousse joyeusement, comme les poules qui prennent leur distance sur le nocturne perchoir. Le train allégé repart avec tant d’impétuosité que le mécanicien ne sait plus comment en ralentir la marche. Durant ce temps, ces somptueuses personnes emplissent l’heureuse station du rayonnement de leur santé. Quand le khédive proscrit vint chercher un asile en France, il n’eût pas un moment d’hésitation. En musulman plein de flair il se dirigea tout droit vers Asnières, où fleurit l’embonpoint des dames. L’air y est si favorable que les six sultanes qui composaient son sérail et dont j’eus l’honneur d’être le voisin ne purent plus, au départ, passer par la grille du parc, et durent être hissées par-dessus le mur au moyen de puissantes machines. Cette délicate opération se fit la nuit, et un astronome qui était en observation à Montsouris en profita pour noter un tas de bêtises sur les phases de la lune. Ces mahométans sont dans le vrai, et je me demande encore pourquoi c’est un simple croissant qui figure sur l’étendard du Prophète. «Asnières la sainte!» diraient ces poètes s’il leur était donné de contempler les beautés dodues dont foisonne ce coin de Paradis. Et, de plus ici, le. soleil (je n’ose répéter la lune) luit pour tout le monde. Pas de ces tristes célibataires dont le néant habite les larges culottes et dont le soprano suraigu rappelle le petit piaillement des cou-coupés du Sénégal qui, eux non plus, ne se reproduisent pas dans nos climats.

Sept villes se disputèrent l’honneur d’avoir donné le jour à Homère, prétention absolument ridicule, puisque, Homère étant aveugle, le jour était pour lui un bien médiocre cadeau. Mais Asnières seul pourra revendiquer la gloire d’avoir presque constamment possédé Thérésa dans ses murs qui d’ailleurs n’existent pas, l’enceinte de la ville étant la plus vague du monde. Mais Thérésa existe et ceux qui ne l’ont pas entendue chanter du Schubert toute seule à son piano ne peuvent pas se vanter de la connaître. Un des crimes du goût contemporain sera d’avoir condamné cette étrange artiste au genre qui fit, il est vrai, sa renommée, mais n’était pas assurément digne de ses merveilleux dons de sentiment. Ceux-là n’auront été goûtés que de quelques familliers qui seuls pourront dire de quelle émotion vibre parfois

Cette harpe vivante attachée à son cœur,

comme a dit Musset. Voilà qui vaut bien les rossignols de Cernay, maître Ginisty. Nous avons d’ailleurs des rossignols à Asnières; mais ils sont tous dans la maison du comédien Silvain, qui est en train de leur abandonner son merveilleux castel, pour aller loger lui-même dans une petite hutte qu’il fait bâtir au bout de son jardin. Le bien-être de ses oiseaux passant de beaucoup avant le sien, dans ses propres visées, il se contentera d’être leur concierge. Que lui importe la rigueur de l’hiver, pourvu que ses martins-pêcheurs ne manquent pas de poisson frais et que lui-même continue à dire de beaux vers, seule chose qu’il préfère encore à ses ornithologiques occupations! Encore un établissement unique dans le monde; car au Jardin d’acclimatation môme, on ne trouve pas des nids de bécassines dans les blouses de billard. Et c’est Asnières qui le possède!

Il faut nous voir, les jours de fête, nous autres du pays, parmi les Parisiens endimanchés. Ce que les toilettes de la grande ville nous semblent ridicules! Au bord de la Seine nous sommes les vrais marins, puisque nous gagnons des prix tout le long du littoral normand. Dans l’intérieur des terres nous sommes de vrais paysans, puisque toutes les cultures nous sont familières. La belle merveille pour les propriétaires de la Beauce de faire rapporter quelque chose à leurs immenses plaines! Encore se catégorisent-ils dans d’uniformes natures de plantation ou d’ensemencement, ce qui donne à leurs campagnes l’aspect régulier d’un jeu de jaquet. Mais nous! quelques mètres de terrain nous suffisent pour offrir aux regards et à l’appétit un assortiment complet des richesses végétales de la contrée.

Moi qui vous parle, j’ai récolté, dans une même année, plusieurs litres de pommes de terre, deux assiettes de fraises, onze asperges ayant le goût de celles d’Argenteuil, plusieurs salades de laitue, trois plats de haricots bruyants comme des diables, une demi-bouteille de vin doux, six poires d’hiver qui se sont malencontreusement gâtées en automne, un plein panier de coings si vigoureusement restrictifs des intempérances digestives, qu’on les pourrait appeler des cadenas, assez de prunes pour constater qu’elles n’avaient pas la même propriété, sans préjudice de tous les escargots que je n’ai point fait accomoder, parce que cet animal a un goût d’ail que je ne saurais supporter et qui me fait supposer qu’il a ou une dentition malade ou un mauvais estomac. «Je n’aime rien de ce qui sent mauvais», dit un jour à table devant moi une fort belle dame, et cette profession de foi si naturelle souleva parmi ses voisines une clameur d’étonnements dont je demeurai blême. Je reviens à mes moutons. à mes moutons, non! Je n’en ai pas. Mais je possède un coq à qui je suis obligé d’aller pincer la queue tous les matins pour le réveiller et six poules qui se cotisent pour faire un œuf par semaine. Mais quel œuf! un œuf énorme! un petit crâne de vieux! Je termine cette nomenclature de mes biens. Je suis comme le cuirassier à qui un confesseur indiscret demandait combien de fois il avait failli dans la même nuit, et qui répondit sèchement: Mon père, pardon, mais je ne suis pas là pour me vanter!

J’ai voulu cependant réclamer une place pour toi dans la légende du Paris suburbain, ô doux pays où les femmes sont grasses, où le fleuve a des bercements maternels, que j’ai peuplé de mes chimères et d’où mes rêves se sont envolés si souvent vers le ciel étoilé des souvenirs!

En pleine fantaisie

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