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Chapitre I : L’aéro de combat


A Saint-Mandé, par une belle fin d’après-midi d’octobre, le tramway qui part des fortifications venait de stopper à l’intersection du cours de Vincennes et de la grande rue de la République.

Hâtivement, quelques personnes en descendaient, se frayant un passage entre les gens qui se pressaient autour du marchepied de la voiture, lorsque le conducteur, s’adressant à un voyageur qui s’apprêtait à gagner le trottoir, lança d’une voix forte et bourrue : — Hé là-bas… monsieur, vous oubliez quelque chose ! Instinctivement, l’homme se retourna et, apercevant l’employé qui lui tendait une serviette remplie de dossiers, il fit, l’air un peu égaré : — Je vous remercie bien, mon ami.

— Puis comme s’il se parlait à lui-même, il ajouta : — Décidément, je ne sais plus ou j’ai la tête !

Alors, traversant la chaussée, il s’engagea dans l’avenue de la tourelle, les épaules voûtées, la tête basse, marchant d’un pas traînant et fatigué, et s’arrêtant par instant comme s’il hésitait à regagner sa maison.

Enfin, il tourna rue du Parc, poussa une porte grillée, traversa un jardinet jonché de feuilles jaunies qui commençaient à tomber des arbres et pénétra sans sonner dans un petit pavillon dont, les murs étaient garnis d’un treillage vert où s’accrochait une vigne vierge dont les tons mordorés annonçaient la fin des beaux jours.

— Melle Germaine est-elle rentrée ? demanda-t-il à une femme de ménage, qui, la taille entourée d’un tablier de grosse toile bleue, était accourue à sa rencontre.

— Pas encore… monsieur Aubry.

Mais la brave femme, dont le visage épanoui respirait la santé et la franchise, ajouta aussitôt, remarquant l’air sombre, préoccupé de son maître : — Il n’est rien arrivé à monsieur ?… Monsieur n’est pas malade ?…

— Pourquoi me demandez-vous cela ?

— Parce que monsieur a l’air tout drôle.

— C’est une idée que vous vous faites, ma bonne Victorine…

— Pourtant… monsieur…

— C’est bon… laissez-moi… interrompit nerveusement le maître de la maison qui, pénétrant dans son cabinet de travail, referma brusquement la porte…

Jetant d’un air découragé sa serviette sur la table placée au milieu de la pièce, il se laissa tomber dans un fauteuil en cuir ; et se cachant la tête entre les mains, il éclata en sanglots…

Jean Aubry pouvait avoir une cinquantaine d’années. De haute stature ; les cheveux gris, taillés en brosse, le regard ardent sous les sourcils touffus, la bouche surmontée d’une moustache à la gauloise, le front creusé par des rides précoces, il semblait en proie à une douleur violente qu’il avait longtemps concentrée en lui, mais qu’il ne pouvait plus contenir davantage…

De temps en temps, des lambeaux de phrases s’échappaient de ses lèvres : — Il n’y a plus rien à faire… rien… c’est la fatalité… Ah s’ils voulaient m’écouter… mais ils ne veulent pas… ils ne voudront jamais… C’est à désespérer de tout !…

La porte venait de s’ouvrir. Une jeune fille de vingt ans, dont le costume noir très simple faisait ressortir la taille impeccable et dont une toque de velours sombre, négligemment jetée sur une magnifique chevelure brune, rehaussait encore l’éclatante beauté, se précipitait dans les bras de Jean Aubry en disant : — Bonsoir, papa !

— Bonsoir, ma chérie ! fit l’inventeur en cherchant à dissimuler le chagrin qui l’étreignait.

Enveloppant son père d’un regard très bleu, très clair, ou il était impossible de lire autre chose que de l’intelligence, de la douceur et de la fierté, Germaine reprit, sur un ton de tendre reproche : — Je suis sûre que tu t’es encore fait de vilaines idées ?

— Mais non, ma petite.

— Oh ! si… pauvre cher papa !…

Comme Jean Aubry détournait la tête, Germaine, lui prenant les mains et le forçant doucement à s’asseoir près d’elle, sur le canapé, lui dit d’une voix aux inflexions à la fois câlines et profondes : — Je vois bien que depuis quelque temps tu te décourages. Il ne faut pas. Un homme de génie tel que toi triomphe forcément de tous les obstacles…

— Je l’ai cru un moment, répliquait l’inventeur d’une voix sourde, mais aujourd’hui…

— Aujourd’hui… qui sait si nous ne sommes pas à la veille de réussir ?…

— Je me suis encore rendu cet après-midi au ministère de la Guerre.

— Eh bien ?

— On ne m’a même pas reçu… Et cela ne m’étonne pas ; car la dernière fois que j’ai eu un entretien avec le président de la Commission, il m’a ri au nez et presque traité de fou, m’affirmant mon aéro de combat était une utopie irréalisable.

« Alors, que veux-tu que je fasse ?… A qui veux-tu que je m’adresse ?

— Et le capitaine Evrard ?

— Oh ! le capitaine Evrard !…

— Tu sais combien, lui aussi, croit en toi.

— Oui, je sais Mais que veux-tu qu’il fasse contre la force d’inertie des uns et la malveillance des autres ?

— Le capitaine Evrard, déclarait Germaine avec conviction, n’est pas seulement un aviateur d’une audace incomparable et d’un sang-froid à toute épreuve ; mais, enthousiaste de ton œuvre, il la défendra jusqu’au bout. Ses derniers exploits aériens lui ont conquis l’admiration des plus hautes personnalités. Il t’a promis d’aller plaider ta cause auprès du ministre, il le fera et il la gagnera…

— Ce serait trop beau !… soupira l’inventeur, complètement abattu.

Et comme, silencieusement, de nouvelles larmes tombaient de ses yeux, Germaine, appuyant sa tête sur son épaule, lui murmura avec une expression de douceur infinie.

— Mon papa… mon cher papa… tu ne peux pas te figurer combien cela me désole de te voir désespérer ainsi, toi que j’ai connu si fort, si vaillant…

« Les beaux jours viendront… J’en ai la certitude…

Le brave homme secouait négativement la tête. La jeune fille ajouta : — Tu m’effraies… Je crains que tu ne me dises pas toute la vérité.

— Mais si.

— Non, papa, tu me caches quelque chose !… Depuis la mort de ma chère maman, j’ai toujours été pour toi la confidente, l’associée… Eh bien ! parle… je t’en supplie…

— Ma pauvre petite…

— Oui, parle !…

— Je ne voulais pas te le dire, révéla Jean Aubry… Pourtant il faut que tu le saches… Mes dernières ressources sont épuisées… je n’ai plus d’argent, et je me demande ce que nous allons devenir.

— Ne suis-je pas là ?… répliqua simplement Germaine.

— Toi, ma chérie ! s’exclama le père, en enveloppant la jeune fille d’un regard plein de paternelle tristesse.

— Oui, moi !… affirmait Germaine. Quand j’étais enfant, tu t’es imposé de lourds sacrifices pour me donner une éducation supérieure. Tu m’as envoyée deux ans en Angleterre, puis trois années de suite à Berlin pour me perfectionner dans l’étude de la langue allemande. Grâce à cela, à mon retour en France, non seulement j’ai été nommée professeur au lycée Fénelon, mais je puis encore facilement trouver des leçons particulières…

— Non, je ne le veux pas.

— Pourquoi ?

— Parce que je ne me pardonnerais pas si tu tombais malade.

— Ne crains rien, je suis robuste…

— Et puis… mon enfant, j’ai un autre chagrin…

La voix tremblante, angoissée, le professeur ajouta : — Pourquoi ne veux-tu pas épouser le capitaine ?

A ces mots, la jeune fille avait tressailli…

Elle s’était levée subitement, frémissante, tandis qu’une vive rougeur se repandait sur son visage.

— Il t’aime… poursuivait l’inventeur… je n’ai pas besoin de te faire son éloge… Tu le connais aussi bien que moi. C’est un véritable héros.

— Père !… balbutiait Germaine au comble de l’émotion.

— Certes, je n’ignore pas combien il doit être parfois pénible d’être la femme d’un aviateur qui, chaque jour, risque d’ajouter son nom au glorieux martyrologe ou sont inscrits en lettres d’or et de sang les noms des Ferber, des Caumont et de tant d’autres.

« Mais il m’avait semblé, ma chère enfant que, toi aussi, tu éprouvais pour notre ami Evrard un sentiment…

— Mon père… interrompit brusquement la fille de Jean Aubry… j’ai pour le capitaine beaucoup d’estime et d’amitié ; j’admire sa belle audace… je lui sais surtout un gré infini de tout ce qu’il veut faire pour nous ; mais je ne peux pas être sa femme…

Et baissant la tête, elle ajouta en un murmure où sa voix semblait se briser : — Je ne l’aime pas…

Elle s’arrêta hésitante, comme si les mots s’étranglaient dans sa gorge…

Enfin, en un souffle, elle acheva :

— Et… je sens bien que je ne l’aimerai jamais…

D’un bond, comme s’il retrouvait toute son énergie, Jean Aubry s’était relevé.

— Alors… s’écria-t-il… que veux-tu que je devienne ?

— Nous lutterons encore.

— J’en ai assez ! je suis écœuré, désillusionné, je ne veux plus de cette existence abominable faite de combats quotidiens et d’incessantes défaites. Un forçat… tu m’entends, un forçat est plus heureux que moi… Lui, au moins, peut espérer son évasion ou sa grâce… tandis que moi, je suis l’éternel condamné qui n’a plus qu’à se briser le crâne aux murs de sa prison !…

Et, s’emparant de la serviette qui était restée sur le guéridon, fou de désespoir et de rage, il revint vers sa fille… lui clamant : — Tu sais ce qu’il y a là dedans… tous mes plans… tous mes secrets… tout le fruit de mes veilles… toute l’émanation de mon cerveau… Toi qui es initiée, tu sais aussi qu’il y a là de quoi rendre une armée invincible. Eh bien, tout à l’heure, j’avais oublié tout cela dans le tramway… Et sans le conducteur qui m’a rappelé… eh bien, ça serait allé ou ? Je n’en sais rien… peut-être faire des cornets chez un épicier… ou dans un bureau de tabac… Au moins, cela aurait servi à quelque chose !…

Et secouant les deux poches de la serviette dont les dossiers s’éparpillèrent sur la table, l’inventeur ajouta en un ricanement sinistre : — Au vent, les belles idées ! Dehors, les grands projet ! Mon aéro de combat va enfin flotter dans les airs, car je vais tout jeter par la fenêtre.

— Oh ! père, s’écria Germaine, en se précipitant vers l’inventeur.

— Arrêtez… mon cher monsieur Aubry, fit tout à coup une voix mâle, sonore, qui vibra dans la pièce.

Et la silhouette toute de sobre élégance d’un officier d’artillerie se profila sur le seuil !…

— Le capitaine Evrard !… s’écria la jeune fille en pâlissant…

Alors de la joie plein les yeux, la figure illuminée, d’une allégresse qui débordait de tout son être, le jeune aviateur reprit : — Oui, le capitaine Evrard qui vous apporte la bonne nouvelle…

Coeur de Française (Chantecoq)

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