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Chapitre III : La révolte

Il était près de minuit lorsque Jean Aubry, son cours terminé, regagna son domicile.

Rajeuni de dix années, il marchait d’un pas allègre, roulant mille projets nouveaux dans son cerveau toujours en ébullition, lorsqu’en arrivant devant le pavillon et remarquant de la lumière aux fenêtres , il fit : — Elle m’aura encore attendu, la douce entêtée… Ah ! ce n’est pas moi qui la gronderai ce soir !…

Mais il s’arrêta surpris.

La grille du jardin était entrebâillée.

— Pourtant, s’étonna-t-il, je l’avais bien fermée en m’en allant…

Hâtant le pas, il traversa le jardin. La porte du pavillon était également ouverte.

Cette fois, Jean Aubry sentit l’inquiétude l’envahir. Il se précipita dans le vestibule, appelant d’une voix forte : — Germaine !… Germaine !…

Rien ne répondit…

Le cœur serré d’angoisse, il allait pénétrer dans son bureau, lorsqu’il s’arrêta, cloué sur le seuil… Il venait d’apercevoir sa fille étendue sur le parquet.

— Morte !… s’écria le père en un cri de désespoir. On me l’a assassinée !…

Alors, se jetant sur la jeune fille, il aperçut le sillon sanglant sur le cou… puis, à terre, la chaînette d’or brisée.

Instinctivement, l’inventeur dirigea ses yeux vers le secrétaire et constatant qu’il était ouvert et que les dossiers avaient disparu, il eut un hurlement de douleur indicible : — Ils m’ont tout volé et ils ont tué ma fille !…

Retombant à genoux auprès de Germaine, il se pencha sur elle, la saisit dans ses bras, écoutant si elle respirait encore. Puis, au bout de quelques secondes d’attente effroyable, il murmura : — Vivante !… Elle est vivante !…

Et, la transportant sur un canapé, il chercha à la rappeler à elle.

— Germaine… ma fille adorée… reviens à toi… Je suis là… pour te défendre…

Tout en parlant, Jean Aubry couvrait de baisers le front de son enfant qui, peu à peu, insensiblement, entrouvrait les pau pières, respirait plus librement et faisait entendre quelques plaintes douloureuses, tout en cherchant, en des gestes saccadés, à éloigner de ses yeux une terrible vision qui revenait la hanter à mesure qu’elle recouvrait ses sens.

— Père… c’est toi ?… demanda-t-elle bientôt d’une voix éteinte.

— Oui, ma chérie…

Alors, soulevant la tête, elle interrogea :

— Il est parti, n’est-ce pas ?…

— Qui donc ?…

— Jacques Müller…

— Jacques Müller !… répéta l’inventeur tout interloqué.

— Oui… le voleur… le bandit… le traître !… révéla Germaine d’une voix sifflante. C’est lui qui a tout pris… lui qui a tout emporté…

— Lui !… Tu deviens folle !…

— Non, non… c’est lui, te dis-je… Il est revenu tout à l’heure… Moi, sans défiance, je l’ai reçu… Il semblait troublé… Il a prétendu que tu l’avais envoyé pour chercher,des notes que tu avais oubliées… Mais il a vu que je ne le croyais pas… il a compris que je me défiais de lui… il s’est jeté sur moi… Il m’a arraché la clef de ton secrétaire… J’ai cru qu’il allait me tuer… Il un m’a saisie… empoignée à la gorge… Un nuage a obscurci mes yeux et il m’a semblé que je mourais…

— Alors, reprit Jean Aubry d’une voix sourde, cet homme serait…? Non, non, ce n’est pas possible… Jacques Müller m’a quitté en s’excusant de ne pas assister à mon cours parce qu’il était un peu souffrànt. Tu te trompes… Un Alsacien… un patriote…

— Un Alsacien… un patriote, lui !… s’écria la jeune fille qui, peu à peu, retrouvait toute sa force et son énergie. Non, père, c’est un misérable qui, connaissant l’importance de tes secrets, s’est introduit chez nous afin de les surprendre… spéculant sur notre bonté, trompant notre confiance et trahissant indignement l’amitié qu’avec tant d’habileté perfide il avait su nous inspirer…

— Mais c’est abominable !…

— Ce soir, il a appris que tu étais sur le point de remettre le plan de ton aéro de combat au ministre de la Guerre, et il s’est dit « Il est temps d’agir !… Demain, il serait trop tard ! »… Il a pris une excuse pour te quitter… Il est revenu ici, où il savait que j’étais seule, et voilà ce qu’il a fait…

— Mon Dieu !… Etre trahi ainsi… Et tu crois que Jacques Müller est ?…

— Un espion Prussien, j’en suis sûre !… affirma la jeune fille dont l’œil étincelait d’indignation et de colère.

— Un espion !… fit l’inventeur avec un accent déchirant.

— Ainsi, non seulement tout mon travail est perdu pour moi, mais il va encore leur servir là-bas !… Et cette supériorité que j’allais donner à mon pays, c’est l’ennemi qui va en profiter pour nous écraser à jamais… Le misérable ! comme il m’a bien dupé en m’exaltant sa haine du vainqueur et son désir de revanche !… Comme il se jouait de moi en me parlant de son grand-père le franc-tireur… Ah ! si je le tenais, je le briserais… je l’étranglerais… Oui, je tuerais ce bandit !… Mais il est loin déjà… et il emporte ma pensée volée… mon rêve détruit… tout ce qui allait être ma vie, mon orgueil, ma gloire !…

— Père, proposa Germaine qui avait repris tout son sang-froid, il faut courir chez le commissaire de police et donner le signalement de cet homme… En téléphonant dans toutes les directions, peut-être parviendrait-on à l’arrêter.

— Peine inutile !… fit Jean Aubry en secouant la tête, un gredin de cette envergure s’est entouré de toutes les précautions… Songe qu’il est minuit passé !… Avant que nous eussions mis la police en mouvement le traître aura franchi la frontière… Et cela au moment où je touchais au but… au moment où nous nous réjouissions d’un succès que je n’osais plus espérer !… Que dira le ministre, demain, quand je lui raconterai qu’un espion allemand s’est introduit chez moi et m’a volé mes plans ?… Qui sait s’il me croira ?… Qui sait s’il ne m’accusera pas d’avoir vendu mon invention à l’étranger ?…

— Père !…

Alors, envahi par une hallucination soudaine, l’inventeur s’écria : — Oh ! je les vois, ces engins de guerre enfantés par mon cerveau… Ils ne planent plus au-dessus de nos têtes, précurseurs des revanches sacrées… Mais ils s’avancent, sombres oiseaux de nuit, semant sur notre territoire la dévastation, le carnage et la mort !…

— Eh bien !… non ! s’écria tout à coup Germaine, dans un sublime et impétueux élan d’amour filial et de patriotisme exalté. Non, cela ne sera pas… Je sais ce que j’ai à faire… Je vais partir !…

— Partir ?…

— Oui, là-bas… non seulement pour m’efforcer de reprendre tes secrets à nos ennemis, mais pour tâcher de dérober les leurs !…

— Quelle folie, ma pauvre enfant !…

— Non, père, car je saurai vaincre tous les obstacles… Je passerai partout… Je pénétrerai au cœur des places fortes, des citadelles, dans le bureau des inventeurs, jusque chez les généraux et les ministres… et je te jure que je rapporterai à la France dix fois ce qu’on lui a volé !…

— Projet insensé qui te perdra…

— Noble tâche que je réaliserai…

— Que feras-tu seule, là-bas ?…

— J’ai vécu trois années à Berlin… Je parle l’allemand aussi bien que ma langue maternelle… L’amour de mon pays et ta chère pensée me guideront et me donneront la force nécessaire…

— Et ton fiancé ?…

A cette évocation, l’héroïque jeune fille eut un tressaillement douloureux ; mais elle domina aussitôt son émotion ; et, superbe elle reprit : — Tu lui diras… adieu… ou plutôt au revoir pour moi. Car je reviendrai… Oui j’en suis sûre, je reviendrai ! Mais il vaut mieux que je parte sans le revoir… Ce serait trop cruel… Il m’approuvera, j’en suis sure… Oui… il m’approuvera !

— Mais moi, éclata alors Jean Aubry, je ne veux pas que tu partes… Non., je ne le veux pas !… Je te le répète, ce serait de la folie… Tu serais, tout de suite découverte par la police, arrêtée comme espionne, enfermée dans quelque forteresse dont tu ne sortirais jamais… Il suffira, en effet, que l’on sache là-bas que tu es ma fille pour que tu sois suspectée tout de suite.

— Là-bas, je ne serai pas ta fille, répondit Germaine dont la résolution était déjà mûrie. Demain matin, à la première heure, j’irai trouver le Directeur de la Sûreté générale ; je lui dirai qui je suis et ce que je veux faire… il se chargera de me procurer un état civil grâce auquel je passerai partout sans être reconnue.

— Non, je ne veux pas… je ne veux pas… refusait toujours le père. Tu peux te trouver en face de cet espion, de ce misérable qui te dénoncera lâchement.

Il ne me dénoncera pas… Je l’aurai tué avant !… prononça Germaine avec une énergie inmplacable… il faut que je parte père !… Maintenant j’ai ma mission comme tu avais la tienne… et de même qu ’hier je n’avais pas le droit de te quitter, aujourd’hui tu n’as pas le droit de me retenir !… Quand la Patrie est en danger, un Français n’empêche pas son enfant d’aller se battre !…

Alors ouvrant tout grands ses bras à l’héroïque créature, Jean Aubry s’écria en un tragique sanglot : — Eh bien ! va, ma fille !… va.

Coeur de Française (Chantecoq)

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